N° 51, février 2010

Le développement de la langue persane à l’époque seldjoukide


Mahnâz Rezaï


La langue persane se développa considérablement à l’époque seldjoukide durant laquelle les rois seldjoukides, les aristocrates et les riches commerçants encouragèrent et aidèrent considérablement les écrivains et poètes. La présence d’hommes de lettres et de savants courtisans était considérée alors comme l’une des marques de la supériorité d’une cour. Suite aux conquêtes des Seldjoukides et des Ghaznévides, le persan se propagea depuis la Transoxiane jusqu’à la Méditerranée, la Mésopotamie, le subcontinent indien, en particulier la région du Pandjâb qui fut le berceau de nombreux grands poètes. Les centres littéraires ne se limitaient plus à l’est du pays. Dans les autres régions comme l’Irak persan et l’Azerbaïdjan, d’importants centres littéraires furent fondés qui encouragèrent l’apparition d’une nouvelle génération de poètes et d’écrivains. La révolution intellectuelle provoquée au début du XIe siècle par les mo’tazilites ou des savants comme Al-Birouni, Avicenne et ses élèves, - qui ont révolutionné la science et le langage scientifique persan -, continua de se poursuivre avec plus de rigueur à cette époque et de nombreux ouvrages scientifiques furent rédigés en persan. Au cours des premières années de cette époque, la poésie et la prose persane pénétrèrent les khâneghâh (lieu où se rassemblaient les derviches) et donc dans les ouvrages des soufis. Tous les recueils de poèmes mystiques soufis de cette époque ont été rédigés dans un persan simple et facile à comprendre.

La langue persane

A cette époque, le persan, en tant que langue littéraire, se développe notamment en Irak, en Azerbaïdjan et dans d’autres régions à l’ouest, et connaît en même temps un enrichissement syntaxique et lexical important de par son contact avec les langues régionales. D’autre part, suite à la transmission du dari de l’est du pays aux autres régions de l’Iran après l’attaque des Mongols, la destruction de la Transoxiane et du Khorâssân et la disparition des centres actifs littéraires de l’est du pays, l’emploi de certains mots disparut.

Il faut noter également qu’à cette époque, le lexique de la langue persane continua à s’arabiser. Cette entrée progressive de l’arabe fut un résultat logique de la situation politico-intellectuelle qui exigeait que les lettrés connaissent l’arabe et sa littérature. A cette époque, l’enseignement de deux matières était obligatoire dans les écoles : les sciences religieuses et la littérature. C’est pourquoi les doctes et hommes de lettres se devaient de connaître l’arabe. Cette connaissance était d’ailleurs l’une des conditions nécessaires pour pouvoir exercer une fonction dans l’administration ou à la cour, en tant que scribe ou poète. D’autre part, vu la nécessité d’un vocabulaire plus étendu que la normale en poésie, les mots arabes, rythmés et synonymes des mots persans, étaient utiles, surtout pour la rime. D’ailleurs, plus l’Iran s’islamisait, plus l’usage de mots arabes se généralisait au niveau du langage populaire. Cette situation ne concernait pas seulement l’utilisation du vocabulaire arabe, mais aussi de sa grammaire.

Statue de Khâghâni, Tabriz

Le persan de cette époque est très différent de celui des siècles précédents. C’est une langue qui a subi une importante évolution et qui en entame une autre à partir de la première moitié du XIIe siècle, en particulier sous l’influence du langage littéraire.

Il faut également citer l’influence de la langue turque sur le persan. Les XI et XIIe siècles furent marqués par l’attaque et le règne des Turcs de l’Asie centrale (les Seldjoukides) en Iran, qui entraînèrent l’immigration de certaines tribus turcomanes en Iran. Au début du XIe siècle, des tribus turkmènes s’installèrent en Transoxiane et dans le nord du Khorâssân, ainsi qu’à Rey et à Ispahan. Cette vague d’immigration continua jusqu’au XIIe siècle et par ce biais, des expressions militaires et sociales turques s’introduisirent dans la langue persane. Les mots turcs sont également nombreux dans les vers des grands poètes de cette époque tels que Nezâmi, Khâghâni et Suzani. Les noms turcs des rois se généralisent également chez les Persans et certains titres honorifiques persans ou arabes perdent leur place au profit de leurs équivalents turcs.

A l’époque seldjoukide, le persan dari se développe aussi hors de l’Iran. Les Ghaznévides, qui ne parvenaient pas à étendre leur royaume plus à l’ouest, tentèrent avec succès de développer leur pouvoir à l’est et au sud-est, c’est-à-dire dans l’actuel Pakistan et une partie de l’Inde. Suite à leurs attaques, la majorité des Indiens de la région se convertirent à l’islam. Ainsi à partir du XIe siècle, dans le Pakistan, le Pandjâb et l’ouest de l’Inde, le persan devient non seulement la langue politique et militaire du subcontinent, mais également une langue de lettres tandis qu’une éminente littérature d’expression persane voit le jour. Le premier représentant célèbre de cette littérature irano-indienne fut Massoud Ibn Sa’ad de Lahour, qui vécut au XIVe siècle.

Le persan était la langue officielle de la cour des Seldjoukides. Les Etats soumis en Asie mineure et dans le Croissant vert contribuèrent également au développement du persan dans leur royaume. C’est ainsi que vers la fin du XIIe siècle et durant tout le XIIIe siècle, de grands écrivains d’expression persane de l’Asie mineure enrichirent également la littérature iranienne.

Nezâmi

A cette époque, le persan ne se développa pas uniquement à l’extérieur du territoire proprement iranien, mais aussi à l’intérieur même de l’Iran où il commença à devenir la langue parlée par les Iraniens. Les premières régions où le dari pénétra furent Gorgân, Ghoumess (le Damghân actuel) et Rey. Le premier poète de Ghoumess fut Manoutchehri Dâmghâni, qui vécut au XIe siècle. Et à Rey, on commença à imiter le langage des poètes du Khorâssân et de Transoxiane dès le Xe siècle.

C’est en particulier à partir des débuts de l’ère seldjoukide (XIIe siècle) que les poètes provinciaux commencent à imiter les poètes de l’est, c’est-à-dire ceux dont le persan dari était la langue maternelle. Ainsi, l’Azerbaïdjan dont la langue était l’azéri (l’azéri de l’époque était un dialecte purement iranien, contrairement à l’azéri actuel, qui est turc), devint un centre important pour le persan dari. Le plus ancien poète azéri à avoir suivi la voie des poètes khorâssâniens fut Ghatrân Tabrizi.

Alors que le Khorâssan vivait une crise provoquée par l’attaque seldjoukide, l’un des grands poètes du Khorâssân, Assadi Toussi, quitta Toûs pour l’Azerbaïdjan où il vécut jusqu’à sa mort. Il y composa son dictionnaire Loghat-e Fors (Mots persans), consacré à l’explication des termes dari dans le but d’aider les poètes et les écrivains de l’Azerbaïdjan à apprendre le persan. Dans la préface de ce dictionnaire, il précise : "J’ai vu de grands poètes en Azerbaïdjan qui connaissaient mal le persan, c’est pourquoi j’ai décidé d’écrire ce livre". Ce passage, mis à côté du commentaire de Nâsser Khosrow sur Ghatrân, montre que les poètes persans non natifs du Khorâssân avaient des difficultés pour apprendre et comprendre certains mots persans dari fréquents dans les régions de l’est. Ils étaient donc obligés de faire appel aux poètes ou aux locuteurs de l’est. Dans son récit de voyage, Nâsser Khosrow écrit : « En Azerbaïdjan, j’ai rencontré un poète nommé Ghatrân, qui composait de beaux poèmes, mais qui ne savait pas bien le persan ; il vint chez moi et lut quelques poèmes de Mandjik et de Daghighi et me demanda la signification des termes difficiles persans ; il a écrit mes explications et m’a lu ses propres vers..."

Alors que la nouvelle école littéraire persane était en train de se former et de se développer en Azerbaïdjan, préparant l’avènement de la seconde grande historique littéraire iranienne, dans les autres régions de l’Iran, comme l’Ispahan ou le Fars, d’importants centres littéraires s’établirent pour lesquels le dari était préféré aux autres accents régionaux. Ainsi, aux XIe et XIIe siècles, le persan dari qui était autrefois limité aux régions de l’orient, fut utilisé par de grands poètes non Khorâssâniens. A partir du XIe siècle, l’école littéraire persane de l’Azerbaïdjan trouva ses grands noms parmi lesquels on peut citer Nezâmi et Khâghâni Shervâni. Tous ces poètes possédaient un langage particulier et leur façon de penser était radicalement différente des poètes des autres régions. Cependant, même s’ils restèrent inimitables, le style et le langage de Khâghâni et de Nezâmi influencèrent durablement la littérature persane et son langage poétique.

Sources :
- Bahâr, Mohammad Taghi, Sabk Shenâsi, éd. Amirkabir, 2007. Khatibi, Hossein,
- Fan-e She’r, éd. Zavar, 2007. Safâ, Zabihollâh, L’histoire de la littérature persane, éd. Shemshâd, 1989.


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