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“Douce est la brise au printemps caressant la joue des roses
Doux un visage charmant dans les fleurs fraiches écloses
D’hier qu’est-ce que tu chantes ? Tu m’attristes. Tu m’ennuies.
Goûtons ce bel aujourd’hui, car douce est l’heure présente”. [1]Khayyâm (poète du Ve siècle de l’hégire lunaire)
C’est bientôt Norouz [2]. Norouz est une histoire simple faite de trois mots : les hommes, la sensibilité et la nature. Bien que vieille de plus de 3000 ans, cette tradition iranienne n’a pas pris une ride, et a même pris une nouvelle importance à une époque où l’on tend de plus en plus à vivre loin de la nature. Norouz peut ainsi été considéré comme une invitation à établir de nouveau un lien avec la nature renaissante : outre le traditionnel nettoyage de la maison, Norouz signifie aussi faire germer des grains de blé, porter de nouveaux vêtements, donner et recevoir des billets neufs comme eidi, [3] quitter la maison au treizième jour et aller pique-niquer à l’extérieur (sizdah bedar)...
Héritière du calendrier zoroastrien, le passage du temps, les guerres et les diverses invasions n’ont pu faire oublier cette fête. Norouz était autrefois célébré près des temples de feu des zoroastriens (âtashkadeh), était un jour important sous la dynastie achéménide (vers 648 av. J.-C. - 330 av. J.-C.) et a survécu en Iran même après l’entrée de l’islam. Seul différence : si autrefois on commençait le nouvel an avec les propos d’Ormuzd, on le commence désormais en récitant des versets coraniques et des vers de Hâfez.
Norouz est également l’une des rares occasions d’aller rendre visite à l’ensemble des membres de la famille, en commençant par les plus âgés. On va même voir les familles en province. Si l’un de ses membres est décédé, on se rend sur sa tombe et on partage sa joie avec lui en allumant des bougies. On essaie de réconcilier tous ceux qui se sont fâchés. Et quand l’heure du nouvel an arrive, les familles iraniennes se réunissent autour d’une nappe et font une prière pour obtenir santé et prospérité.
Haft sin (les sept ’S’), sept objets dont le nom commence par la lettre S ou "sin" de l’alphabet persan, sont sept objets disposés sur une nappe à cette occasion : germes de blé poussant dans un plat, dessert fait de germes de blé, ail, pommes, baies de sumac, vinaigre, jacinthe et pièces symbolisant respectivement la renaissance, l’abondance, la médecine, la beauté, la santé, l’âge et la patience, l’arrivée du printemps et la prospérité. On y dispose également un livre sacré (par exemple, le Coran, la Bible, la Torah ou l’Avesta) ou encore un livre de poésie (le Shâhnâmeh ou le Divân de Hâfez) qui évoquent la grâce de Dieu. Rassembler ces haft sin sur une nappe décorée n’est que l’expression de remerciement et de reconnaissance envers des biens octroyés par le Créateur.
Norouz est également très présent dans les légendes et la littérature classique iranienne, et renvoie à certaines croyances profondes des Iraniens. Ferdowsi évoque dans son Shâhnâmeh que Norouz est le jour où Djamshid, le quatrième roi de la plus ancienne dynastie légendaire iranienne, accéda au trône. La littérature persane classique confère toujours un aspect spirituel et mystique au printemps en le comparant avec la notion de Résurrection. Les poètes classiques considèrent Norouz comme la fête nationale et religieuse et le printemps comme le reflet de la beauté et le pouvoir résurrecteur de Dieu. Beaucoup d’entre eux ont également été inspirés par des versets coraniques faisant allusion à l’existence d’une vie après la mort en donnant l’exemple du printemps et de la renaissance de la nature. Selon les légendes iraniennes, Norouz est aussi le jour de la mort de Siâvash, héros légendaire iranien. Ce jour légendaire symbolise donc le mouvement et l’évolution, et associe étroitement poésie, mythe et réalité.
[1] Cent un quatrains de Khayyâm, traduit par Gilbert Lazard, Hermès, 3e éd., 2002, p. 115.
برچهره گل نسیم نوروز خوش است
بر طرف چمن روی دل افروز خوش است
از دی که گذشت هر چه گویی خوش نیست
خوش باش و مگو ز دی که امروز خوش است
[2] Premier jour du printemps. Le mot norouz vient de l’avestique signifiant "nouveau jour".
[3] Cadeau offert à l’occasion du nouvel an.