N° 57, août 2010

Chelow Kabâb et fâloudeh made in France


Mireille Ferreira


L’importante opération d’urbanisme du Front de Seine à Paris, lancée à partir des années 1970 sur la rive gauche de la Seine en aval de la Tour Eiffel, a longtemps attiré une clientèle étrangère aisée venue s’y installer plus ou moins durablement, parmi laquelle on comptait de nombreux Iraniens. [1] C’est donc logiquement que quelques épiciers et restaurateurs, venus eux-mêmes d’Iran, se sont installés dans ce secteur, à la grande satisfaction d’une clientèle restée fidèle à ses traditions culinaires et à celle d’une clientèle parisienne curieuse de saveurs nouvelles venues du Moyen-Orient. Le centre commercial Beaugrenelle du bord de Seine ayant entretemps connu quelques vicissitudes – il est actuellement en complète rénovation - les quelques restaurants iraniens qui s’y étaient installés ont choisi d’émigrer un peu plus au sud. Ils sont dorénavant regroupés autour de quelques épiceries iraniennes, au cœur même du quartier de Grenelle, dans un pâté de maisons situé entre les numéros 60 et 72 de la rue des Entrepreneurs.

Façade du restaurant Perchiana
Photos : Mireille Ferierra

De Shiraz à Paris

Sur le trottoir côté impair, se trouve le restaurant Mazeh. Il est tenu par Ali Tavassoli, originaire de Shiraz, qui me reçoit avec la courtoisie propre aux Iraniens, me présentant son épouse et son fils Sam, qui gèrent également l’établissement. Ali espère que Sam, qui est diplômé de la très renommée école d’art culinaire Grégoire-Ferrandi de Paris, lui succèdera le moment venu. L’entreprise familiale possède également un autre restaurant, le So Rice dans le même quartier du 15e arrondissement de Paris. Elle organise, par ailleurs, de nombreuses réceptions pour une clientèle haut de gamme, partout en France et en Europe. 60% de sa clientèle est française, marque de l’intérêt suscité par la cuisine iranienne en Occident.

Ali a été le premier iranien à s’installer dans le quartier. Traiteur et restaurateur depuis 1984, il est arrivé à Paris en 1971 à l’âge de 20 ans, après trois années passées en Angleterre. Diplômé de l’Ecole des Beaux Arts de Paris, il se destinait à l’origine aux arts plastiques et à l’architecture. N’ayant, selon ses dires, ni le génie ni le carnet d’adresses nécessaires à l’exercice de ce métier, il ne voyait pas son avenir dans l’architecture. Depuis toujours intéressé par la gastronomie, il a donc préféré s’orienter vers cette activité, au grand désespoir de sa mère qui se mit à pleurer quand il lui fit part de ses projets. Pour cette mère, cette activité qui manquait de prestige, était le signe d’un échec. Depuis cette époque, le succès de son fils lui a fait changer d’avis.

D’abord épicier, il a, depuis, revendu Shalizar (champ de riz en persan), l’épicerie qui fait face au restaurant Mazeh, renommée Eskan par l’actuel propriétaire, iranien lui aussi. Pendant quelque temps, il a loué, chaque dimanche, un restaurant tunisien du centre commercial du quartier Beaugrenelle où il préparait des plats iraniens.

La carte des restaurants de la famille Tavassoli comporte tout ce qui se fait en Iran. Les recettes iraniennes classiques (soupes, brochettes, ragouts, crèmes glacées, pâtisseries) sont souvent modifiées de manière à mettre à profit le savoir-faire culinaire français. Le plat le plus demandé est le joujeh kabâb, les brochettes de poulet ou de coquelet, qui peuvent être cuisinées d’une manière traditionnelle mais aussi parfumées à l’estragon, à la moutarde, au basilic ; ces recettes s’inspirant des mets de la cuisine française, lapin à la moutarde ou poulet à l’estragon. De même, les ragoûts de la carte sont moins classiques qu’en Iran, comme par exemple le khorecht tchaghâleh bâdam, ragout aux amandes fraîches, dégusté au printemps.

La maison ne transige pas avec la qualité. Les ingrédients spécifiquement iraniens sont importés d’Iran, la viande servie à sa table est française, pour des questions évidentes de transport et de conformité aux habitudes culinaires locales.

Le dessert favori de la clientèle est le paloudeh, (nommé fâloudeh à Téhéran), les cheveux d’ange glacés, spécialité de Shiraz. Le restaurant fabrique lui-même les vermicelles d’amidon qui le composent. Les incontournables bastani, glaces traditionnelles, parfumées à la rose ou au safran qui l’accompagnent sont aussi faites maison. La carte des desserts est également enrichie du flan iranien et autres pâtisseries diverses d’Iran.

Pour Ali, la cuisine iranienne se distingue par sa simplicité, elle utilise très peu d’épices, ce sont les herbes qui en parfument les plats dont le goût reste naturel. La qualité des ingrédients est mise en valeur par leur mode de cuisson, c’est notamment le cas pour le riz. Elle occupe une place importante dans l’Histoire, dont celle de l’Empire romain qui est à la base de toute la cuisine occidentale, et celle de la cuisine chinoise dont s’inspire la cuisine asiatique. La cuisine perse est à l’origine de la cuisine d’une partie de la Russie, de l’Inde, de la Grèce, rapportée par Alexandre le Grand après sa conquête de la Perse. L’ail, l’oignon, ainsi que de nombreuses herbes sont d’origine perse. Le riz, ramené d’Inde par Nader Shâh au XVIIIe siècle, a été adapté aux rives de la mer Caspienne et est devenu le riz très parfumé qui accompagne tous les plats iraniens.

Ali considère que si l’art culinaire français est salué comme le plus riche du monde c’est, en partie, parce que les cuisiniers de ce pays ont toujours joui de la liberté d’aller dans le monde entier pour en rapporter des épices aux saveurs nouvelles et de s’inspirer des recettes qu’ils y découvrent.

Menu du restaurant Perchiana - recto

Epiceries et bazars

Un petit saut de l’autre côté de la rue me projette dans un « super », ces petites épiceries des quartiers iraniens remplies du sol au plafond. Les rayonnages de l’épicerie Eskan sont pleins des produits que l’on a l’habitude d’acheter chez ses confrères d’Iran. Les fruits secs viennent de chez Tavâzo, le célèbre fournisseur de Téhéran, le thé, les pistaches, les conserves, proviennent sans doute des bazars de Tabriz, Téhéran ou Ispahan. On y trouve aussi les zereshk (épine-vinettes), ces petits fruits rouges séchés dont le goût acidulé se marie si bien avec le riz basmati iranien.

Amir, l’aimable jeune homme qui tient la boutique, m’informe que tout est en effet importé, via l’Allemagne, où réside une importante communauté iranienne. Des journaux iraniens sont en vente à l’entrée de la boutique.

La porte voisine ouvre sur l’épicerie Sepide, qui était initialement une boulangerie ayant appartenu à Manoutchehr Pirouz, maire de Téhéran et gouverneur du Khouzestân à l’époque de l’Empire. L’actuel propriétaire possède aussi le restaurant Cheminée situé sur le même trottoir, tenu par son épouse.

Un peu plus loin, au numéro 72 de la rue, j’entre dans Bazartche, le petit bazar ouvert depuis sept mois seulement par Hamid. J’y rencontre le Professeur Ehsân Narâqi, venu faire ses courses en voisin. Aujourd’hui à la retraite, il a enseigné à l’Université de Téhéran et dans de grandes universités occidentales. Je ressors de la boutique après avoir acheté mon thé préféré, le Ahmad Tea spécial Ceylan parfumé à l’Earl Grey, et, inspirée sans doute par mon entretien avec le Professeur Narâqi, je choisis un livre parmi ceux de la vitrine, sur l’histoire compliquée des relations entre l’Iran et la France au fil des siècles.

Il ne faut pas se fier à la modestie de ces petits magasins. Fournissant une grande partie des restaurants et traiteurs iraniens locaux, elles sont en réalité la vitrine d’un important négoce.

Façade du petit bazar d’Hamid

Spécialités caspiennes

Ma dernière visite sera pour Perchiana, petit restaurant affichant des spécialités persanes et des régions qui entourent la mer Caspienne. Situé dans la rue Mademoiselle, au bout de la rue des Entrepreneurs, cet établissement appartient à Ghamir Zoli, originaire de la ville de Tâleghân, dans la province caspienne du Guilân. Arrivé à Paris à la suite de son frère ingénieur informaticien, il a ouvert cette petite salle de restaurant qu’il est en train d’agrandir après avoir acheté la boutique voisine. Les ingrédients de base des très classiques et délicieux plats iraniens proposés par la carte de l’établissement proviennent en grande partie de l’épicerie Eskan.

Pendant notre entretien, le plat de brochettes koubideh, (à la viande hachée) servi à nos deux voisines venues de l’ambassade de Chine, parfume le restaurant. Ghamir est très fier de sa clientèle. Shâhrokh Moshkin Ghalam, comédien et danseur iranien, pensionnaire de la Comédie Française, habite le quartier et fait aussi partie de ses habitués.

Je prends congé après avoir dégusté un rafraîchissant fâloudeh aux griottes, agréable conclusion de mon voyage dans ce petit bout d’Iran à Paris.

Notes

[1Cette opération fut une des réalisations les plus spectaculaires liées à la disparition du tissu industriel de Paris, planifiée à partir des années 1950 et qui s’est étendue dans les décennies suivantes aux installations industrielles de la proche banlieue. Un ensemble d’une vingtaine de tours de bureaux et d’habitation, d’une hauteur encore jamais atteinte à cette époque dans la capitale pour des immeubles destinés à l’habitat, voyait le jour sur les terrains des anciennes usines du quai de Grenelle installées depuis la canalisation des berges de la Seine vers 1860.


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4 Messages

  • Chelow Kabâb et fâloudeh made in France 13 septembre 2010 21:59, par Véronique Lefèvre

    Pourquoi nous donner les coordonnées complètes de ces lieux alléchants ?

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    • Bonjour Véronique,
      Comme indiqué en début d’article, ces restaurants et épiceries se trouvent rue des Entrepreneurs dans le 15e arrondissement de Paris, à partir du numéro 65. Le petit restaurant Perchiana, sans prétention mais délicieux et bon marché (voir une partie de sa carte reproduite dans l’article) se trouve 7 rue Mademoiselle, dans le même quartier. Mazeh est le meilleur restaurant iranien de la capitale, aussi bien pour sa carte que pour son ambiance sympathique et feutrée de restaurant parisien, fréquenté par une clientèle connaisseuse et exigeante.
      Le mieux pour vous en faire une idée par vous-même est d’aller faire un tour dans ce quartier et de pousser les portes.

      Nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre revue.
      Cordialement
      Mireille Ferreira

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  • Chelow Kabâb et fâloudeh made in France 10 janvier 2013 01:09, par kim

    Bonjour,
    A ce jour, le meilleur restaurant iranian est de loin NOROUZ dans le 13ème au 48 rue dessous des berges
    A part l’ambiance vous mangez très bien et pas cher.
    A eviter d’aller le midi car vous risquez d’attendre . ouvert les jeudi, vendredi et samedi soir.

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  • Chelow Kabâb et fâloudeh made in France 3 décembre 2014 18:05, par Aziz Issoufaly

    Bonjour,

    Nous vendons :
    Safran en Filament
    Qualité : Pushali
    Origine : Iran
    Marque : Gohar
    Mise en conditionnement : Novembre 2014

    Conditionnement 1 Gramme Net
    en sachet
    1 boite = 12 paquets

    Conditionnement 5 Grammes Net
    en boite metallique
    1 boite = 12 paquets

    Prix : 2.50 Euros H.T./gramme

    Cordialement
    Agence IHK
    Aziz Issoufaly
    Tel : 0688506446

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