N° 61, décembre 2010

Une exposition de peinture à Téhéran ayant pour thème « la résistance »


Djamileh Zia


A l’occasion du trentième anniversaire de l’invasion de l’Iran par l’armée irakienne, le Musée d’art contemporain de la Palestine de Téhéran expose du 22 septembre au 6 novembre 2010 une quarantaine de tableaux ayant pour thème « la résistance ». Ces œuvres ont été créées lors d’un atelier de trois jours organisé en 2007. Elles témoignent du sens qu’a le mot « résistance » pour les participants à cet atelier.

Tableau de Naser Palangi

Le Musée d’art contemporain de la Palestine a été inauguré au cours de l’été 2006. Comme nous l’explique Mahboubeh Palangi, directrice du musée, « actuellement, la Palestine est le symbole de la résistance dans le monde, et notre objectif dans ce musée est de montrer la résistance du peuple palestinien face à la violence, à l’injustice et à l’oppression qu’il subit au quotidien ». C’est cela qui motiva les responsables du musée à organiser, en septembre 2007, un atelier de trois jours ayant pour thème « la résistance ». Quatre-vingt treize peintres, célèbres pour certains et encore étudiants pour d’autres, y travaillèrent côte à côte. Plus d’une centaine de tableaux fut créée et fait actuellement partie du fond du musée. Cet atelier, eut lieu un an après la guerre des 33 jours d’Israël contre le Liban. « De plus, pour les Iraniens, le mois de septembre évoque le Vendredi noir (le 8 septembre 1978) qui fut un tournant dans les mouvements de protestation contre le régime du Shah, et surtout, l’invasion de l’Iran par l’armée irakienne le 22 septembre 1980 », précise Mme Palangi.

Tableau de Mohammad-Ali Taraghijah

Cette guerre entre l’Irak et l’Iran est appelée "la Défense Sacrée" (Defâ’-e moghaddas) en Iran. Elle dura huit ans, fit des centaines de milliers de morts et de blessés, transforma les provinces du sud-ouest de l’Iran en champs de ruines où l’on continue encore aujourd’hui à y déterrer des mines antipersonnel, et détruisit l’économie du pays. Les Iraniens combattirent et réussirent à repousser l’armée irakienne. Ceux qui ne participèrent pas directement aux combats durent faire face aux conséquences destructrices de la guerre, tant au niveau matériel qu’au niveau psychique. On peut donc deviner que le thème de la résistance eut un écho en chacun des artistes qui participèrent à cet atelier, des plus âgés, qui avaient vécu la guerre de huit ans entre l’Iran et l’Irak, aux plus jeunes, qui n’étaient pas nés à cette époque ou n’en avaient que de vagues souvenirs d’enfance. « Cet atelier fut l’occasion, pour la jeune génération, de côtoyer les peintres iraniens de renom, d’apprendre d’eux en les regardant peindre et en leur demandant des conseils. De plus, il fut une occasion pour que de jeunes iraniens – qui ont généralement peu de connaissances sur la guerre dans laquelle l’Iran fut plongé entre 1980 et 1988 - perçoivent mieux l’atmosphère qui régnait en Iran au cours des années de guerre », ajoute Mme Palangi.

Tableau de Habib Tohidi
Tableau de Hossein Esmaeli

Des points de vue multiples à propos du sens du mot « résistance »

Un certain nombre des participants à l’atelier de 2007 sont connus pour les peintures qu’ils avaient réalisées dans le passé, dont le thème était la guerre entre l’Iran et l’Irak. Leurs tableaux dans cette exposition en garde des traces. M. Emrani, responsable des expositions du musée, énumère les éléments picturaux des tableaux exposés qui évoquent les peintures des années de guerre. « Le cyprès, indépendamment de son sens symbolique dans la culture de l’Iran Antique [1], est devenu au cours des huit ans de guerre en Iran le symbole de la résistance et du don de soi.

Tableau d’Azadeh Sherkat

Le bandeau dessiné autour du front des personnages évoque celui des volontaires qui partaient au combat. Dans certains tableaux, les martyrs de guerre sont directement représentés. Dans d’autres tableaux, plus abstraits, les couleurs rouges et vertes sont évocatrices de la guerre de huit ans en Iran : le rouge, couleur du sang, est symbole du martyre, du don de soi ; le vert est à la fois symbole de l’islam et de l’espoir. Le triangle a également été un symbole de la persévérance dans les tableaux peints au cours de la Défense Sacrée », nous explique-t-il. On peut donc penser que pour ce groupe d’artistes, la résistance est plutôt synonyme de combat, et évoque la guerre que subirent les Iraniens à partir du 22 septembre 1980. La peinture de Mohammad-Ali Taraghijah est une scène de combat elle aussi, mais elle évoque les histoires épiques du Shâhnâmeh [2] et les scènes de ta’zieh [3]. Pourtant, il n’y a pas de représentations de combats dans la plupart des tableaux exposés. Quelques artistes ont représenté les destructions de la guerre : Habib Tohidi a peint des corps humains courbés, tordus ; plusieurs peintres ont représenté des bâtiments effondrés.Cependant, il existe au moins un élément évoquant l’espoir dans la plupart de ces tableaux : Hossein Esmaeli a peint un arbre au premier plan, alors que les bâtiments en ruines sont au loin ; dans le tableau d’Azadeh Sherkat, un homme est au-dessous du niveau de la terre et la tient avec ses bras, comme s’il tentait de l’empêcher de s’écrouler. Pour ces artistes, résister serait donc continuer à espérer. Certains artistes ont même peint des éléments évoquant la paix, tels une branche d’olivier ou une colombe. Des scènes de la vie de tous les jours sont également représentées : par exemple, une femme (dont les vêtements ressemblent à ceux des femmes palestiniennes) étend son linge au balcon, comme pour signifier que dans les circonstances de guerre, poursuivre sa vie quotidienne est aussi un acte de résistance.

L’attitude des corps humains représentés est significative. Les personnes figurées dans plusieurs tableaux ont les bras croisés, comme si elles tentaient de se soutenir, de s’empêcher de s’écrouler. Dans le tableau d’Elham Rafiei, une femme au regard calme et déterminé regarde au loin, les bras croisés ; tente-t-elle de résister contre le froid, comme les moineaux assis sur la neige derrière elle ? Un arbre pousse devant elle, comme pour annoncer l’arrivée prochaine du printemps, et donner ce message que résister, c’est garder l’espoir.Dans le tableau de Hasan Razmkhah, une femme tient dans ses bras un nouveau-né, symbole de la vie qui continue, et donc de l’espoir là-aussi. Nasrin Gharehdaghi a peint elle aussi une femme tenant son buste avec ses bras, et regardant au loin ; sur son tchador, quelques fleurs ont perdu leurs couleurs, mais d’autres fleurs restent bien visibles. Ce tableau est rempli de douceur et de sérénité, et ne comporte aucun élément évoquant la violence. On peut penser que pour cette artiste, résister, c’est en fin de compte résister à la guerre, destructrice autant pour les autres que pour soi.

Tableau de Karim Eskandari
Tableau de Hasan Razmkhah
Tableau d’Elham Rafiei
Tableau de Nasrin Gharehdaghi

Notes

[1Dans les mythes de l’Iran Antique, le cyprès est le seul arbre qui sait que le Dieu Mehr (ou Mithra) est né au cours de la nuit la plus longue de l’année. Le cyprès garde donc l’espoir et reste vert, parce qu’il sait que le printemps viendra, alors que les autres arbres, qui ne croient pas à l’arrivée du printemps, succombent au désespoir, et leurs feuilles jaunissent et tombent.

[2Poème épique composé par Ferdowsi, au Xe siècle ; traduit en français sous le titre « Livre des Rois ».

[3Dans les ta’zieh, pièces de théâtre qui mettent en scène les évènements concernant le martyre de l’Imam Hossein (troisième Imam des chiites) à Karbala, le groupe des fidèles à l’Imam Hossein est reconnaissable par le port de drapeaux ou de vêtements verts, et les ennemis de l’Imam portent des drapeaux ou des vêtements rouges.


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