N° 62, janvier 2011

Zende, trait d’union entre
tradition persane et art contemporain


Mireille Ferreira


Zende devant Secret de l’amour, 2009 - papier Zende, collage, acrylique sur bois - 80 x 60 cm

Quand Zende vous reçoit dans son atelier de Montpellier au sud de la France, il vous prévient d’emblée : « Dites bien que je ne suis pas calligraphe ». Ce qui ne laisse pas de surprendre puisque son atelier est justement rempli de nombreuses œuvres calligraphiées. Il explique alors que, pour lui, la lettre calligraphiée est, en soi, un élément de décor, qu’il représente en dehors de toute codification chère aux calligraphes persans ou arabes traditionnels. D’ailleurs, ses lettres peintes appartiennent aussi bien à l’alphabet persan qu’aux lettres latines, qui se mêlent fréquemment dans une même composition, marquant ainsi sa double appartenance à l’Orient, où il est né, et à l’Occident où il vit depuis trente-deux ans.

De la calligraphie au multimédia

Zende - Mahmoud Zendehroudi pour l’état civil - a pris ce nom d’artiste pour se distinguer de son frère Charles Hossein Zendehroudi, peintre reconnu mondialement. Il est né en 1943, à Karaj, devenue entretemps la banlieue industrielle de Téhéran. En Iran, il était journaliste du groupe de presse Ettelâat. Il écrivait dans le quotidien mais était surtout connu du grand public pour ses activités de journaliste de télévision. La peinture était pour lui un loisir. Quand il était jeune, il avait pris l’habitude de proposer aux commerçants des rues de Téhéran de calligraphier le nom de leur magasin sur leur vitrine. Même si parfois on lui donnait quelques pièces pour ce service, il l’exécutait pour son plaisir. Son envie de peindre est donc partie de la calligraphie mais il s’est vite diversifié, explorant une multitude de pistes. Déjà, en Iran qu’il a quitté en 1978, il exécutait des tatouages sur des peaux de mouton, ses recherches l’avaient amené à trouver une qualité de peinture qui tenait bien sur les peaux.

C’est en France que Zende a commencé à peindre professionnellement, même s’il avait quelquefois exposé en Iran. Il s’est d’abord intéressé à la peinture figurative mais il a rapidement changé d’orientation, estimant que de nombreux peintres français excellaient dans ce domaine et qu’il n’avait donc rien à lui apporter. En revanche, il a cherché une voie nouvelle en créant des techniques picturales originales. Il a commencé ses recherches en utilisant dans ses tableaux toutes sortes de matériaux : plâtre, ciment, charbon de bois, ferraille, miroirs, peau de tambour, papier journal, bois brûlé, puis le carton, matériau riche que l’on peut plier à volonté pour lui donner toutes sortes de formes.

La première exposition de Zende à Montpellier était constituée de grands tableaux de deux à trois mètres. Les morceaux de carton d’emballage ondulé étaient collés en forme libre sur l’œuvre qui mêlait images, coupures de journaux, cartes postales, photographies, gravure, calligraphie de ses propres poésies. Les visages étaient en carton, les bords mêmes du tableau débordaient du cadre. C’était encore du figuratif iranien. Un collectionneur lui a acheté tous les tableaux exposés.

Les morceaux de carton qui entraient dans ses compositions étaient coupés et collés sur le support de ses tableaux, comme la « une » des journaux, avec des zones bien délimitées, certaines contenant des images, les autres de la calligraphie. Zende en convient lui-même, son passé de journaliste ne le quitte pas. C’est à partir de cartons laissés quelques jours dans un seau de colle qu’il a créé, par hasard, la pâte à papier qu’il utilise dorénavant dans ses compositions. Il fabrique cette pâte à papier, connue sous le nom de « papier Zende », à partir de papier journal qu’il découpe en morceaux. Il obtient une masse en les pétrissant à l’aide d’eau et de colle et c’est sur cette base qu’il façonne ses lettres.

Shéhérazade, 1990 - collage, carton ondulé, papier journal, acrylique sur bois - 90 x 70 cm

Comment Zende travaille-t-il pour disposer sur la toile les différents éléments de ses compositions, souvent complexes ? « J’y pense le soir avant de m’endormir, le lendemain matin, tout est dans ma tête et je commence à travailler directement sur le support que j’ai choisi, sans jamais faire de croquis préalable ». Le fond est une succession de couches de différentes couleurs, frottées avec un tampon abrasif qui crée un effet de profondeur. Il colle ensuite sur ce fond coloré ses formes de lettres prédécoupées dans le carton, qu’il peint avant ou après collage, selon le cas.

Pour Francine, son épouse française qu’il a connue en Iran, où elle a séjourné neuf ans avant leur installation en France, ce qui est original dans le travail de Zende par rapport aux calligraphes classiques, c’est la mise en relief des caractères, et le fait de vider l’écriture du sens des mots. Elle nous montre une composition dans laquelle le mot bârân (la pluie) est bien visible mais où tout le reste est complètement illisible. C’est la lettre elle-même qui fait le dessin, les caractères sont choisis pour leur forme, ils peuvent être combinés à d’autres formes qui évoquent le dessin de la lettre mais n’en sont pas en réalité.

L’école Saqqâ Khâneh

Imprégné de sa culture persane d’origine, Zende explique : « Ma source d’inspiration est l’Iran. J’ai toujours représenté la culture iranienne en utilisant une technique européenne. Avec ce mélange, j’ai l’impression de vivre encore là-bas. J’ai exposé cette année pour la première fois depuis mon départ d’Iran à Téhéran, à la Tehran Gallery. Je suis reconnu en Iran en tant qu’Irano-français, artiste iranien qui vit à l’étranger ». En 2004, Zende est revenu à sa technique du carton pour réaliser une série de sept tableaux qui illustraient le poème de Nezâmi Ganjavi « Les 7 pavillons (Haft Peykar) ». Chacun des tableaux représentait l’une des sept princesses, sous la forme d’une miniature persane. Les morceaux de carton, coupés à angle droit, délimitaient les différentes zones de la composition. Des cubes de pâte à papier, recouverts d’un décor peint, y étaient également collés. Seules restent dans son atelier la princesse hindoue et la princesse persane. Ces tableaux ont été créés pour Shâhrokh Moshkin Ghalam, danseur et acteur d’origine iranienne, pensionnaire de la Comédie française, qui avait monté à cette époque un spectacle à la Columbia University de New-York. Il dansait sur scène pendant que l’image des sept peintures était projetée tour à tour sur le décor de fond, à chaque apparition d’une des princesses.

Vibrations, 1996 - collage, parchemin, cuir, acrylique sur toile - 100 x 100 cm - publié par l’Unicef

Sur le plan du style, Zende revendique son appartenance à l’école de peinture Saqqâ Khâneh initiée par son frère, en Iran dans les années 1960, qui tire son nom des haltes-fontaines décorées d’enluminures populaires ou de versets du Coran où le passant peut se désaltérer. Saqqâ Khâneh se propagea à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Iran. En réponse à l’art occidental et au conflit incessant entre l’art iranien traditionnel et moderniste, Saqqâ Khâneh se concentre sur les éléments iconographiques régionaux, nationaux, folkloriques et religieux. Elle puise dans l’identité de la culture iranienne et tend à relier l’héritage culturel à l’art contemporain. Les représentants de cette école employaient les objets familiers du quotidien. Le sculpteur Parviz Tanavoli accrochait des cadenas aux statues, Jazeh Tabatabâi fabriquait des oiseaux avec des couverts de table, mais aucun d’entre eux n’a eu l’idée d’utiliser, comme Zende, des objets sans valeur du type coupure de journaux, carton d’emballage, pages de livres déchirés, capsules de bouteille, pommes de terre peintes. Parmi tous les styles des peintres de l’école Saqqâ Khâneh, Zende emploie estampes, gravures et écriture pour réaliser l’espace pictural de ses œuvres. Il a su ajouter à l’école Saqqâ Khâneh l’art « environnemental » et avant-gardiste des artistes contestataires des années 1970 de l’Occident.

Partage, 1998 - papier Zende, feuille d’or - 130 x 100 cm

Une reconnaissance internationale

Le talent de Zende est, bien sûr, reconnu dans sa région d’adoption, le sud de la France, où il est l’hôte fréquent des galeries et des musées locaux. Mais c’est aussi un artiste qui expose sur les cinq continents. Il rentre tout juste de Suisse où la Galerie du Palais oriental de Montreux a présenté et vendu une vingtaine de ses tableaux, dans le cadre du 6e salon d’art contemporain de cette ville. Il a aussi récemment participé aux deux éditions du concours international de la calligraphie arabe, organisé au Musée national de l’enluminure, de la miniature et de la calligraphie d’Alger par le Ministère de la culture d’Algérie. En 2009, il y avait reçu le deuxième prix de calligraphie moderne. Cette année, il a été récompensé par le premier prix, pour une œuvre qu’il avait construite entièrement sur les lettres arabes du mot Eldjazâir - Algérie en arabe - en hommage au pays organisateur. Il était en concurrence avec une centaine d’artistes calligraphes venus de vingt-deux pays. La Chine elle-même était représentée par un calligraphe musulman. De nombreux calligraphes d’Iran étaient présents, notamment Ostâd Falsafi, l’artiste qui a dessiné les calligraphies des billets de banque iraniens. Signe de cette reconnaissance internationale, l’UNICEF a illustré une série de cartes de vœux avec les œuvres de Zende.

Averse, 2008 - papier Zende, collage, acrylique sur bois - 90 x 70 cm

L’imagination féconde de Zende est toujours en alerte, ce qui lui permet d’innover en poursuivant des recherches incessantes. Dans le cas de la calligraphie en particulier, comme le souligne son ami Farivar Aghvâmi, professeur et traducteur de persan, « Zende ne se contente pas du cadre routinier de la calligraphie en tant que telle, il en fait un élément pictural à part entière et, en la vidant de son sens littéral, la sublime, la transforme en véritable monument, la met en scène pour la faire admirer. Il s’agit là d’une géométrie admirable qui passe les frontières de l’école Saqqâ Khâneh et de l’art traditionnel et ancestral de la calligraphie pour aborder l’art moderne. »

Exil 2005, papier Zende, feuille d’or, collage, acrylique sur bois - 85 x 55 cm

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4 Messages

  • vous auriez du donner aussi son site internet, dire que sa femme est francaise, d’où son installation en france en tant qu’exilé aprés la révolution iranienne et qu’en fait il a inventé son propre style ( style zend) et son propre support( le papier zend que vous avez cité).

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    • Zende, trait d’union entre
      tradition persane et art contemporain
      25 janvier 2011 13:14, par Mireille Ferreira

      Cher lecteur anonyme,
      Une lecture attentive de cet article révèle que j’ai bien indiqué que sa femme était française et qu’elle avait vécu neuf ans en Iran, que le papier Zende est bien de sa composition puisque l’article explique son mode de fabrication.
      Quant au site Internet de Zende, il est très facile à trouver dans n’importe quel moteur de recherche pour qui manipule Internet comme vous semblez le faire. Je le donne ici : http://www.zende.org/
      Merci de vous intéresser à notre revue.
      Mireille Ferreira

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  • je suis tres ravie d avoir fait la connaissance de ce grand artiste admirable. je suis moi meme artiste peintre ,j utilise un peu la calligraphie et ce que j ai decouvert chez notre grand artiste est fassinant.je lui souhaite beaucoup de courage et bonne continuation.j espere qu on aura l occasion de le voir exposer chez nous au Maroc. Cordialements.

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  • Le travail de Zende me plaît énormément.
    J’espère pouvoir aller voir son exposition actuelle à Bédarieux, n’habitant qu’à 60 kms environ.

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