N° 62, janvier 2011

La calligraphie et son évolution dans les arts publicitaires


Sâdegh Niâzi
Traduit par :

Arefeh Hedjazi


Style nasta’ligh, calligraphie de ’Abdol Rashid Deylami, XVIIIe siècle.

La calligraphie a toujours été d’une grande importance pour les Iraniens. L’existence de décorations calligraphiées en des endroits aussi différents que les bâtiments historiques, les céramiques et poteries antiques ou nouvelles, les tapis, les ustensiles et plus généralement tous les objets d’usage quotidien ou symbolique atteste que la calligraphie est presque un art du quotidien en Iran. Ainsi, en particulier dans les villes importantes comme Shirâz, Ispahan, Tabriz ou Herât, cet art s’est développé conjointement à d’autres arts auxquels il était intimement mêlé, dont les arts picturaux tels que la peinture, l’enluminure, la miniature et d’autres arts semblables.

Mais l’évolution fondamentale de la calligraphie iranienne a eu lieu à partir de la seconde moitié du XIVe siècle, où elle prit une forte teinte mystique, sans rien perdre de l’éminence qu’elle possédait au sein de la Perse antique.

Aujourd’hui, la question de la place de la calligraphie dans la société ne se pose pas. Cependant, celle de son rôle est de la première importance. Les activités commerciales, publicitaires, les médias, les livres, les arts cinématographiques, les évènements sociaux de masse, etc., tous expriment de nouveaux besoins visuels. On estime en Iran que l’écriture et la calligraphie ont la capacité de répondre à ces nouveaux besoins. C’est l’obligation visuelle de cet art qui prévaut en ce domaine sur sa dimension d’échanges et de transmission informationnelle, ceci alors qu’il remplit simultanément son rôle de vecteur d’informations et de savoir. Ainsi, l’écriture calligraphique a la possibilité de répondre simultanément à une demande esthétique et à la demande basique utilitaire de l’écriture, qui est de permettre la transmission d’informations.

Dans le monde traditionnel, l’écriture avait pour rôle de transcrire un sens de la manière la plus simple, rapide et compréhensible pour que la forme, le sens, le contenu et la signification soit transmise au lecteur au premier regard. Aujourd’hui, le rôle dévolu à l’écriture par le graphisme est celui de la transmission de la beauté dans le cadre d’une communication visuelle. Il est donc impossible de séparer ces deux arts, inextricablement liés en Iran. Mis ensemble, les images et l’écriture ont un rôle informatif. Placé à côté d’une image de produit ou d’un symbole culturel, l’écriture, en tant que complément nécessaire de la transmission de l’information par l’image, joue un rôle déterminant.

L’une des caractéristiques importantes du graphisme iranien est l’importance accordée à l’expression d’une identité iranienne graphique qui prend forme quand l’écriture et la calligraphie entrent dans le domaine du design graphique, dans un mouvement d’opposition au courant qui estimait qu’il était impossible d’intégrer la calligraphie, en tant qu’art traditionnel, dans le domaine de l’art graphique moderne. Pour les premiers défenseurs d’une modernité enrichie par la tradition, l’insertion des écritures traditionnelles dans l’art graphique, moderne et surtout venu de l’Occident dans sa définition moderne, était difficile à réaliser, mais aujourd’hui, l’usage de la calligraphie traditionnelle dans le graphisme iranien est une chose acceptée, qui va totalement de soi. Comment une telle évolution a été rendue possible, puisque le graphisme, comme la plus grande partie de l’industrie de la presse, a été importé ?

En Iran, les premiers journaux commencèrent à être publiés à partir du règne de Mohammad Shâh Qâdjâr selon la technique de l’impression sur pierre. A cette époque, les textes d’information de ces journaux étaient rédigés en écriture nasta’ligh et les titres, en écriture calligraphique sols. Ainsi, après l’entrée de la presse en Iran, on utilisait encore, pour ces journaux, les styles d’écriture traditionnels des scribes et calligraphes de l’époque. A cette époque et durant assez longtemps, la forme des journaux, malgré leur caractère européen, était encore totalement imprégnée et influencée par la mise en page, l’enluminure et la calligraphie traditionnelle persane. Les magazines étaient également publiés avec des écritures calligraphiques classiques telles que le naskh, le sols, le nasta’ligh, le ta’ligh, etc.

Hitch va ghafas (Rien et cage), œuvre de Parviz Tanâvoli

L’effort le plus important en la matière est celui fourni par l’école dite de Saqqâ Khâneh. A la fin des années 30, dans la peinture moderniste iranienne, un courant se fit jour qui devint célèbre sous le nom d’« école de Saqqâ Khâneh ». Les artistes de cette école, s’inspirant des œuvres populaires dédiées aux commémorations chiites, y puisèrent une source précieuse d’inspiration artistique. Les œuvres des artistes de cette école furent ainsi à l’origine d’une évolution et d’une systématisation de la place de la calligraphie dans l’art pictural iranien moderne. Des artistes tels que Hossein Zendehroudi, Parviz Tanâvoli, Farâmarz Pil-Aram, Golpayegâni, etc. amorcèrent un mouvement qui fit date et permit à la génération actuelle d’accomplir des prouesses techniques en matière de créativité calligraphique, des prouesses qui sont véritablement des phénomènes nouveaux.

Œuvre de Farâmarz Pil-Aram

Aujourd’hui, la typographie intéresse de plus en plus les jeunes générations de graphistes iraniens, qui n’hésitent pas à se servir d’instruments puissants tels que les ordinateurs. Ainsi, la typographie calligraphique a remarquablement évolué durant les dix dernières années, qualitativement et quantitativement. De même que la graphique, la typographie est une industrie artistique importée qui a subi sa propre évolution en Iran. Ces dernières années, la situation de l’écriture dans le graphisme iranien s’est tellement modifiée que certaines écritures, depuis longtemps presque oubliées, telles que le coufique, le naskh et le sols ont retrouvé de nouveau une place d’honneur et qu’un style calligraphique aussi complexe que le shekasteh a été plus ou moins ressuscité à travers l’usage graphique. Un problème subsiste cependant : aujourd’hui, les progrès permis par le numérique, la facilité et la rapidité du travail assisté par ordinateur et l’utilisation de logiciels spécialisés dans la création de compositions nouvelles, ont ouvert de vastes champs d’exploitation où peut plus facilement s’exercer la créativité des artistes. Cela dit, l’usage de la calligraphie nécessite une condition absolue : la connaissance d’un art raffiné, complexe et profondément codifié. Seul un vrai calligraphe professionnel, maîtrisant les règles de cet art, peut présider à la composition et à l’utilisation de la calligraphie en graphisme.

Il faut également rappeler que l’écriture et la calligraphie sont deux choses différentes. L’écriture a de nombreuses fonctions. Parfois, l’usage abusif de l’écriture dans une œuvre graphique provoque l’effet inverse : l’écriture cache l’œuvre. Il faut donc que l’artiste soit conscient de la nécessité d’une certaine sobriété des lignes. D’autre part, comme nous l’avons dit, la complexité et la codification minutieuse des styles calligraphiques persans rendent impératif pour le graphiste la connaissance de la calligraphie à un niveau professionnel. Ainsi, il est absolument nécessaire qu’un graphiste connaisse d’abord l’anatomie de l’écriture.

Il y a une trentaine d’années, on n’utilisait que les lettres typographiques puisqu’il était possible de les situer entre deux lignes parallèles, comme une sorte de tache de lumière, ceci alors qu’il est impossible de faire de même avec des écritures aussi élaborées que le nasta’ligh, le naskh ou le shekasteh.

Aujourd’hui encore, de nombreux graphistes, estimant qu’il est impossible de faire un bon usage de l’écriture placée à côte d’une image et des formes, se contentent de l’utilisation des lettres typographiques sans prendre en compte le fait que la liberté de chaque calligraphe lui permet de créer des œuvres d’art qui, mises côte à côte avec une œuvre graphique, peuvent provoquer et révéler les corrélations esthétiques de ces deux genres picturaux dans un ensemble. Mais il faut pour le moins que ce travail soit le résultat de la collaboration d’un graphiste et d’un calligraphe, maîtrisant chacun leur art.

L’usage de l’écriture coufique

Le coufique fut la première écriture stylisée utilisée pour le texte coranique. Après quatorze siècles, il amorce aujourd’hui un mouvement vers la modernité. En raison de l’existence de styles plus artistiques, plus élaborés et plus lisibles tels que le nasta’ligh ou le naskh, le coufique est moins utilisé. Cependant, sa dimension ornementale, visible dans tous les styles du coufique, peut être utilisé dans la création d’une nouvelle calligraphie, en tant qu’écriture de base.

Style coufique, calligraphie d’une partie de la sourate "Al-Layl" (La nuit), XVIIIe siècle.

L’usage graphique du naskh

Cette écriture, très lisible, a une très forte présence dans le graphisme publicitaire, d’autant plus que c’est la seule calligraphie traditionnelle et artistique qui s’est parfaitement adaptée à la typographie moderne en prenant la forme d’une « écriture de presse ».

L’usage graphique du sols (tholth)

Le sols est une écriture haute dont le « alif » (H) s’allonge sur sept points. Ainsi, elle est nettement plus haute que des écritures telles que les naskh, nasta’ligh et rogh’a. C’est une écriture statique et rythmique dont la répétition crée des hachures dans le mouvement général, provoquées par la hauteur des lettres. Cette hauteur et ce statisme génèrent un effet de grandeur et de majesté. Cet effet est particulièrement à remarquer quand cette calligraphie orne les bâtiments religieux. La calligraphie sols, dont le plus important usage en Iran concerne les inscriptions et les tablettes murales, possède une forte charge spirituelle ; c’est pour cela qu’elle est souvent utilisée pour l’écriture du texte coranique. Elle sert également dans l’industrie de la presse, pour les magazines, les couvertures de livres, les titrages, le design des timbres, les affiches, etc.

L’usage graphique de l’écriture nasta’ligh

Le nasta’ligh, justement qualifiée de « mariée des calligraphies islamiques » est une des calligraphies spécifiquement composée par les Iraniens, dans laquelle ont peut voir le goût et la culture persanes, et en raison de l’étroite relation culturelle qu’elle entretient avec l’âme iranienne, elle est toujours la plus appréciée, utilisée et adoptée par les Iraniens. L’ère moderne n’a pas diminué l’attachement pour l’écriture nasta’ligh qui a conservé une place éminente dans l’industrie et les arts graphiques iraniens actuels.

Style nasta’ligh taz’ini (décoratif), calligraphie de Malak Mohammad Qazvini, XXe siècle.

L’usage graphique de l’écriture shekasteh

Ce qui caractérise cette écriture est son harmonie, parfaite selon les règles calligraphiques. Les lignes, les mots et les phrases rédigés avec cette écriture sont parfois rattachés les uns aux autres, ce qui crée des ensembles uniques, plus complets et parfaits. De même, les hachures étirées et courbes se posent autour des lettres plus petites, avec pour résultat graphique que les mots forment des taches plus fortement remarquées et visibles. Ce placement des mots provoque des taches grises jusqu’au bout de chaque ligne, qui monte, jusqu’à ce que le regard descende de nouveau jusqu’à la page, au début de la ligne suivante.

En raison de ces caractéristiques et de sa charge émotionnelle et harmonique, cette écriture quasi-poétique peut être couramment utilisée dans la décoration, la mise en page et la couverture des ouvrages littéraires, poétiques, mystiques, ainsi que les publicités et affiches à caractère social, solidaire, spirituel ou mystique.

L’usage graphique de l’écriture mo’allâ

La calligraphie mo’allâ est le produit des inspirations, créativités et imaginaires des calligraphes et a été composée à partir d’un ensemble d’écritures, et d’un mélange de différents styles calligraphiques, dont aucun n’a eu une influence directe ou primaire. Cette écriture possède la douceur et le raffinement du nasta’ligh et la solidité du naskh et du sols. La forme et les mouvements finaux des lettres sont fins et aigus, ce qui la distingue des autres écritures. Elle peut être largement utilisée dans les affiches et les titres.

Calligraphie de Hamid Ajami, style mo’allâ.

Bibliographie :
- Hossein Zendehroudi, Pishgâmân honar-e moâser dar Iran (Les pionniers de l’art moderne en Iran), Musée des arts contemporains, Téhéran.
- Revue trimestrielle Tarrâhi graphic-e Iran, « Interview avec Mohammad Ehsaee, Rezâ Djalâli ».


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