N° 66, mai 2011

Le palais du Golestân,
raconté par Soltan ‘Alî Mirza Kadjar


Mireille Ferreira


Soltân Ali Mirza Kadjar dans les caves du Golestân. A sa gauche, portrait du Comte Arthur de Gobineau.

Après m’avoir reçue une première fois à Paris puis à Téhéran pour me conter l’histoire des derniers shahs qâdjârs et rappeler le rôle essentiel joué par cette dynastie sur la culture persane [1], Soltân ’Alî Mirzâ Kadjar, petit-fils et neveu des deux derniers rois qâdjârs a, une fois encore, accepté de m’ouvrir ses portes pour évoquer l’histoire du palais du Golestân, bâti par ses ancêtres. Joyau de la ville de Téhéran et siège du pouvoir des shâhs de Perse, de la fin du XVIIIe siècle à la fin de la dynastie des Qâdjârs, le Golestân est le palais le plus célèbre et l’un des plus visités d’Iran.

Aujourd’hui encore, le Golestân, devenu musée national, conserve une grande valeur symbolique, même sous la République islamique. Dépendant directement de la présidence de la république qui lui attribue un budget particulier, il bénéficie d’un statut autonome. Sa directrice, Madame P. Seghatoleslâmi, originaire de Tabriz, dirige les travaux d’une cinquantaine d’employés, chargés de la conservation et de la restauration des documents. Un soin particulier est apporté à l’importante collection des fragiles photographies historiques que possède le musée.

Du pavillon de chasse safavide au palais Qâdjâr

Aghâ Mohammad Khân, le premier Qâdjâr, choisit, pour des raisons stratégiques, d’installer son pouvoir à Téhéran, proche de ses sources du Mâzandarân et du Gorgân. C’était un bon choix pour l’époque car Téhéran, loin de la mer, donc des flottes étrangères, contrôlait bien le pays aux carrefours est-ouest et nord-sud des routes de la soie entre la mer Caspienne et le Golfe persique.

A l’époque de Shâh Tahmâsb le Safavide au XVIe siècle, l’édifice principal de Téhéran n’était qu’un pavillon de chasse au milieu d’un jardin. A la fin du XVIIIe siècle, à l’avènement de la dynastie Qâdjâre, époque à laquelle Téhéran devint capitale, le domaine était probablement en ruine. Téhéran était une modeste bourgade, située au sud du bazar actuel, dont l’habitat était en partie constitué de galeries souterraines, permettant aux habitants de se protéger des fréquentes razzias.

Le palais du Golestân et l’arg, l’ancienne citadelle qui l’entourait, furent construits au nord de la vieille ville. Au nord de l’arg, s’étendaient des collines et des villages de montagne, intégrés aujourd’hui à la ville de Téhéran, comme Tajrish, Darrous, Vanak et bien d’autres. La population de ces villages vivait de culture et parlait le dialecte du Mâzandarân (région du nord, bordée par la mer Caspienne). Ce dialecte était, à l’époque, la langue de la ville de Téhéran. Quand cette dernière est devenue la capitale du pays, les fonctionnaires venus s’y installer parlaient persan. Il y eut alors fusion entre le persan et le dialecte mâzandarâni, et la phonétique de la langue persane en fut un peu modifiée.

Mohammad Khân choisit l’emplacement qu’occupe le Golestân pour y construire un premier bâtiment dans lequel se trouve l’étonnant Takht-e marmar ou Trône de marbre, posé au milieu du grand iwan aux murs décorés de miroirs et de fresques, entièrement ouvert sur le parc. Fath Ali Shâh, son successeur, fera édifier d’autres bâtiments qui seront détruits ou remaniés à l’époque de Nâssereddin Shâh, son arrière petit-fils. Vers 1806 fut construit l’Emârat-e Bâdgir, spectaculaire édifice dominé par les deux tours du vent qui, par l’ingénieux système mis au point dans les déserts de Perse, apportaient l’air frais dans les pièces du palais.

Le takht-e marmar - Photo : Laetitia Ferreira

Sous le règne de Fath Ali Shâh, et surtout sous Nâssereddin Shâh, la ville de Téhéran s’est beaucoup étendue, depuis le Golestân, vers le nord dans les beaux quartiers, vers le sud jusqu’à la limite de la ville de Rey dans les quartiers populaires. Le bazar se trouvait au sud du domaine de la forteresse, tandis qu’au nord de grandes places délimitaient le palais du shâh. Une seconde enceinte qui contenait le bazar et des rues comme Lâlezâr, fut érigée sous le règne de Nâssereddin Shâh.

Le Golestân de Nâssereddin Shâh Qâdjâr

C’est à Nâssereddin Shâh (1848-1896) que l’on doit l’essentiel du palais actuel, remarquable exemple d’architecture européenne combinée à l’art persan. Le grand palais, corps principal du Golestân, faisant suite au trône de marbre et se terminant par le tâlâr-e âyneh, la salle des miroirs, a été entièrement reconstruit à cette époque, avec de vastes volumes à l’européenne, les salles des palais persans présentant des proportions plus modestes. C’est aussi Nâssereddin Shâh qui fit construire le tâlâr-e âyneh, ainsi qu’un très beau palais de marbre blanc, le khâbgâh (palais du sommeil). Celui-ci fut détruit en 1963 à l’occasion de la visite de la Reine Elisabeth II d’Angleterre, par un général plutôt fantasque, qui avait été nommé par Mohammad Rezâ Shâh Pahlavi pour préparer le Golestân à la réception de la Reine. Ce général avait cru bon de remplacer ce superbe palais par l’horrible bâtiment qui, faisant suite au palais principal, accueille, de nos jours, l’administration du musée.

Nâssereddin Shâh, passionné par la technique photographique qui venait de faire son apparition, aimait tirer le portrait de tout son entourage. Une importante série de ses photographies est exposée dans l’aks khâneh, ainsi que d’autres clichés de la période qâdjâre.

Le bâtiment du Shams-ol Emâreh, cadeau de Moayer-ol-Mamâlek, gendre de Nâssereddin Shâh, termine la cour du grand palais depuis 1867. Touchant celui-ci, les ateliers de restauration des photographies et les bureaux de la direction du palais du Golestân occupent la bibliothèque royale. En sous-sol, le charmant shelow kabâbi, salon de thé et petit restaurant, est ouvert au public, pour les visiteurs qui aiment se reposer et se restaurer dans ce cadre typique des cafés persans traditionnels.

Shams-ol-Emâreh. - Photo : Marie Gaupillat

Les deux salles de la Negâr Khâneh, au rez-de-chaussée du palais principal exposent la collection privée des souverains qâdjârs et les cadeaux des souverains étrangers, meubles et peintures, dont beaucoup furent offerts à Nâssereddin Shâh, le premier shâh de Perse à voyager en Europe.

Situé à droite du trône de marbre, le Khalvat-e Karim Khâni (Zone privée de Karim Khân) tire son nom de la restauration supposée du château safavide à l’époque de Karim Khân Zand, qui régna sur la Perse depuis Shirâz, sa capitale, au XVIIIe siècle (ce qu’Ali Kadjar met en doute, aucun élément historique ne corroborant cette hypothèse). Le Khalvat-e Karim Khâni abrite le beau gisant de marbre du tombeau de Nâssereddin Shâh, qui était, à l’origine, dans une chapelle adjacente au sanctuaire de Hazrat-e Abdol-Azim à Rey, où il fut assassiné. A la Révolution, comme on avait détruit le tombeau des Pahlavi, on a aussi voulu détruire le tombeau Qâdjâr contenant les restes de nombreux membres de la famille. Aussi, dans les premiers mois de la Révolution, le gisant fut déposé au Golestân où il est resté.

Les destructions de l’ère Pahlavi

Des bâtiments d’origine, beaucoup ont disparu. Parmi les plus importants, le Khâbgâh, évoqué plus haut, était un très beau bâtiment de marbre blanc, ainsi qu’en témoigne Ali Kadjar, qui eut l’occasion de le visiter à la fin des années 1950.

Après s’être fait couronner au Golestân en 1926 – parce qu’il voulait faire vite et qu’il n’y avait pas d’autre palais pour accueillir le couronnement – Rezâ Pahlavi, dans sa volonté de faire disparaître tout ce qui était qâdjâr, avait même eu l’intention, dans les années 1929-1930, de détruire le Golestân dans son ensemble. Fort heureusement, Teymour Tâsh, son ministre de la cour, l’en empêcha. Ce Turcoman, personnage influent et de grande culture, ayant le titre d’altesse dans le protocole officiel de l’époque, et parlant le russe et un français parfait, avait été formé à Moscou à l’époque du Tsar. Parmi les hommes qui participèrent à la chute de la dynastie Qâdjâre, il fut le plus intéressant.

Rezâ Pahlavi réussit cependant à détruire les portes de la ville, aussi bien celles de la vieille enceinte que celles de la seconde, construites à l’époque de Nâssereddin Shâh, alors qu’il aurait pu se contenter de les faire restaurer.

Son fils Mohammad Rezâ Pahlavi fut aussi couronné en 1967 sur le Trône du paon au Golestân. La grande galerie du musée prit alors le nom de galerie du couronnement ou Tâjgozari. Ce bâtiment fut profondément remanié par des architectes français peu talentueux qui portèrent atteinte à son authenticité.

A l’époque de Rezâ Pahlavi, les jardins de l’andaroun (le harem royal), enclos dans les murs en torchis de l’arg, furent séparés du Golestân, qui s’étendait jusqu’à la place Toup Khâneh (Place des Canons), aujourd’hui, place Imam Khomeyni. On y trouve de nos jours les bâtiments fort peu élégants de la Croix rouge et des grands ministères. Un petit palais, à l’arrière duquel se trouvait l’andaroun, a également été détruit.

Au moment de la Révolution islamique, le Golestân, symbole de la dernière royauté exécrée, subit quelques détériorations. Les émeutiers furent arrêtés avant d’avoir pu commettre l’irréparable. Des pierres furent bien desserties du Trône du Paon de Nâder Shâh, mais on assure qu’elles furent retrouvées et replacées à leur emplacement d’origine sur le trône.

Parc du Golestân vu du Khalvat-e Karim Khâni - Photo : Mireille Ferreira

Des archives d’une valeur exceptionnelle

Sous Fath Ali Shâh et Nâssereddin Shâh, l’arg centralisait tout le pouvoir. Le palais du Golestân était entouré de nombreux bâtiments occupés par les ministères. A ce titre, on y conservait la bibliothèque et les archives royales qui s’y trouvent encore. La riche bibliothèque royale, située près de Shams-ol Emâreh, est bien organisée. Elle contient les grands classiques persans enluminés, parmi lesquels le Shahnâmeh de Ferdowsi, dit manuscrit Bâysanghori, le Boustân et le Golestân de Saadi, les Mille et une nuits illustrées par Sani-ol-Molk, des illustrations de Djâmi d’Hérat et de précieux Corans. Ces merveilles ne sont visibles que sur autorisation spéciale.

Les femmes de la famille kadjare, photographiées par Nâssereddin Shâh. En bas à droite Maleke-ye Djahân et son fils Abdol Majid Mirzâ, le père de Soltân Ali Mirzâ Kadjar. Collection du palais du Golestân.

D’immenses caves bétonnées, construites pendant la guerre contre l’Irak, sont accessibles à partir du bâtiment principal, là aussi sur autorisation spéciale. Y sont conservées les archives royales qui contiennent, notamment, les correspondances privées des rois, une collection de photographies anciennes, les meubles de l’Etat qui ornaient le Golestân à l’époque qâdjâre et une série extraordinaire de tableaux. Il y a une dizaine d’années, Ali Qâdjâr a eu l’autorisation d’accéder à ces sous-sols pour y effectuer des recherches, qui se sont malheureusement révélées impossibles en l’absence d’inventaire et d’étiquetage, tout étant stocké dans des malles fermées et non référencées.

Les dynasties iraniennes successives attachées à détruire ce qui avait été produit par les dynasties précédentes, et changeant sans cesse de capitale - Téhéran est la seule capitale fixe de l’empire perse depuis 3000 ans - peu d’archives royales subsistent en Iran, à l’exception de celles des époques qâdjâre et pahlavi. Les archives pahlavi sont conservées à Téhéran dans un grand bâtiment près de la nouvelle Bibliothèque nationale. Toutes les archives d’Ispahan ont disparu quand les Afghans ont détruit Ispahan. On disait à cette époque que les archives étaient utilisées dans les bazars à envelopper les épices. Non rompus à l’art de gouverner, ces chefs de tribus pachtounes qui dominaient Herat demandèrent à un haut fonctionnaire de rédiger une méthode de gouvernement pour les aider à diriger le pays. Ce très intéressant ouvrage, qui existe toujours, est la seule description des rouages de l’administration safavide. Nâder Shâh, chef de bande militaire qui leur a succédé, sans cesse en campagne, n’est pas resté assez longtemps pour constituer des archives. Aucun document n’a jamais été retrouvé à Mashhad, sa capitale. Il se peut qu’à Shirâz, quelques archives de Karim Khân existent encore.

C’est dire l’importance des archives du Golestân, même si de nombreuses archives des ministères de l’époque Qâdjâre sont en cours de numérisation et conservées dans un bâtiment proche de la nouvelle Bibliothèque nationale.

Malgré toutes les vicissitudes de l’histoire, le Golestân, qui occupe un emplacement exceptionnel au centre de Téhéran, reste un ensemble architectural d’une grande cohérence. On peut y observer l’évolution de l’architecture purement persane vers celle qui en marque la fin, représentée par le palais Abyaz (palais blanc) bel édifice datant du début du XXe siècle. Situé dans la dernière cour du Golestân, ce palais construit sous Mozaffareddin Shâh - qui a succédé à Nâssereddin Shâh en 1896 - renferme le musée ethnologique et quelques salles occupées par l’administration. En dehors du Golestân, le dernier joyau de cette période architecturale se trouve dans le palais Pahlavi dit Palais vert du parc de Sa’ad Abâd - au décor un peu trop surchargé pour être de bon goût - dont on peut admirer les belles proportions et le splendide travail des miroirs. Récemment, des travaux importants de rénovation ont été entrepris au Golestân, aussi bien dans les palais que dans les jardins, rendant ainsi à ce site historique prestigieux son lustre d’autrefois.

Détail du Khalvat-e Karim Khâni. - Photo : Marie Gaupillat

Notes

[1Voir l’article « Histoire et culture qâdjâres vues par le Prince Soltân ’Alî Kadjar », paru dans le numéro 27 daté de février 2008 de La Revue de Téhéran, consultable sur le site Internet www.teheran.ir


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3 Messages

  • Le palais du Golestân,
    raconté par Soltan ‘Alî Mirza Kadjar
    3 février 2017 20:56, par Glaieul Mamaghani

    Bonjour

    je travaille sur un projet de fiction basée sur l’époque Qajar et je vais me rendre en Iran en mai pour visiter le Palais du Golestan, pourriez-vous me recommander un guide spécialisé de cette dynastie ? Je m’intéresse en particulier à Naser edin shâh et la Princesse Taj al Saltaneh, c’est à dire la période fin 19è - début 20è de la Dynastie.

    Merci pour votre retour.

    Bien à vous,

    Glaïeul

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  • cette page documentée de l’histoire de l’IRAN est TRES interessante retraçant un rapide historique des dynastie qui se sont succédées en iran et des archives qui malheureusement sont encore pas inventoriées merci pour cet apperçu historique
    jean Heude

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