N° 67, juin 2011

Khorramshahr, ville symbole d’une résistance inoubliable


Arefeh Hedjazi


Opération de libération de Khorramshahr
Photo : Fars

Pour les Iraniens, Khorramshahr est plus qu’une ville. Aujourd’hui, trente ans après sa libération, elle reste une ville étrange, à la lisière de l’incommensurable, baignée par la chaleur extrême qui caractérise le sud de l’Iran, une ville de ce sud iranien tellement différente du reste du pays. C’est une ville où l’on peut voir partout, même sans chercher, les traces de la guerre omniprésente, sur les murs, au creux des sentiers, sur les dattiers, fiertés de la région, étêtés, noircis, criblés de balles, d’éclats d’obus. Une ville où chaque mètre carré de terre respire le courage et l’abnégation. Elle est devenue un lieu de pèlerinage sacré, un monument éternel de la bravoure d’un peuple. Pour les Iraniens, Khorramshahr est un mythe, une célébration vivante de la grandeur de l’âme, une ville aussi grande que la passion qui anima les martyrs à venir de la Défense sacrée.

Avant la guerre, Khorramshahr était l’une des belles villes d’Iran. Port important, voie de communication maritime avec le monde entier, destination du chemin de fer, aéroport international, région pétrolière, voisine de la ville pétrolière d’Abâdân, elle bénéficiait d’un dynamisme urbain peu commun en Iran. C’était un port stratégique pour l’Iran. Ainsi, l’attaque irakienne ne fut pas la première qu’elle eut à subir. Avant cela, durant l’histoire contemporaine iranienne, les Anglais l’avaient déjà occupée deux fois et y avaient fomenté de nombreux complots pour assurer leur domination dans la région du Golfe persique.

Avant d’attaquer l’Iran, l’Irak de Saddâm Hussein avait publié des livres d’école qui présentaient aux petits écoliers irakiens la région du Khouzestân sous le nom d’Arabistan, comme province irakienne. A la place d’Abâdân, il y avait « Abdana », à la place de Khorramshahr, il y avait « Muhammara », à la place de Soussangerd, il y avait « Khajawiah » et à la place d’Ahvâz, il y avait « Al-Ahwâz ».

Le pont de Khorramshahr, dernière voie de ravitaillement ouverte de la ville

Plusieurs mois avant l’attaque irakienne contre l’Iran, le port de Khorramshahr commença à connaître des troubles politiques et sécuritaires. A cette époque, l’attaque irakienne contre l’Iran avait déjà été planifiée et l’occupation de Khorramshahr jouait un rôle stratégique dans ce plan. C’est pourquoi longtemps avant le début de l’attaque, les Irakiens avaient commencé à s’activer dans la ville et à y fomenter des troubles, notamment en finançant les groupuscules politiques terroristes en argent et surtout en armement de tous genres. Ils étaient également responsables de plusieurs attaques terroristes par bombes qui ont fait de nombreux morts dans cette ville avant l’attaque militaire proprement dite. D’autre part, les échanges de tirs frontaliers ne cessèrent de prendre de l’envergure jusqu’à la veille de la guerre. Les tirs irakiens se firent tellement nourris durant les semaines précédant l’attaque de l’Irak que des forces du Sepâh furent envoyées sur place, en considération du nombre de villageois qui avaient été obligés d’évacuer la zone par crainte des tirs irakiens.

Entrée de la Grande Mosquée de Khorramshahr durant la guerre, avec au premier plan une femme civile

A la suite de l’attaque militaire planifiée de l’Irak contre le territoire iranien, la 3e armée blindée irakienne, épaulée par la 33e brigade spéciale attaqua l’Iran le 22 septembre 1980, après dix jours d’escarmouches frontalières sérieuses. L’attaque était généralisée sur toute la frontière avec une concentration de forces massives dans la région de Khorramshahr. Le nettoyage de la ville fut confié aux 8e et 9e bataillons de la brigade spéciale. Deux bataillons paraissaient plus que suffisants pour les Irakiens qui considéraient l’occupation éclair de la ville comme assurée. Cependant, ni le plan d’attaque irakien, ni les prévisions internationales, n’avaient pris en compte un fait très simple : la résistance populaire, qui se manifesta avec importance dès les premières heures de l’attaque. L’armement des deux parties n’était pas comparable, les habitants de Khorramshahr se battaient quasiment à mains nues contre l’armement moderne d’une armée sur-équipée. Et cette résistance choquait les Irakiens au-delà de toute mesure, surtout que la plupart étaient sous l’influence de la propagande irakienne massive qui avait commencé depuis plusieurs années déjà à parler de cette région comme de l’« Arabistan », province irakienne dont l’annexion n’était qu’une affaire de temps, et à replacer par des noms arabes les noms des villes et villages de la région. La résistance populaire fut si forte que, contrairement aux prévisions, qui annonçaient l’ouverture de la ville en quelques heures de nettoyage, les forces irakiennes furent, à leur stupéfaction, obligées de contourner la ville et de l’encercler avec non pas deux bataillons, comme prévu, mais deux armées. Finalement, après trente-cinq jours de résistance surhumaine, la ville capitula et ses défenseurs reçurent l’ordre de reculer jusqu’au sud de la ville.

Ce fut donc quarante cinq jours après le début de leur attaque contre l’Iran, et avec des pertes sérieuses contre les combattants iraniens sous-armés, qui s’étaient battus dans des conditions extrêmes et plus que précaires, que les Irakiens purent finalement annoncer à leur radio nationale qu’ils avaient occupé Khorramshahr. Dans le communiqué irakien, la raison de la résistance des Iraniens était ainsi motivée : « La résistance des forces iraniennes à Khorramshahr est le résultat de la peur inspirée par les tribunaux militaires volants irakiens qui opèrent derrière les lignes iraniennes pour exécuter les déserteurs. »

L’attaque irakienne avait été si soudaine que la population n’avait pas même eu le temps de partir. La rapidité et la violence de l’attaque irakienne furent ainsi en soi un facteur qui provoqua cette immense résistance populaire. Dans ce climat de mort soudaine et de violence, personne ne songeait plus à sa vie d’« avant ». Le feu de l’artillerie irakienne arrosait la ville sans interruption et même les hôpitaux étaient attaqués. C’est pourquoi les défenseurs de la ville réussirent très vite à organiser la résistance populaire massive.

Avant et durant la première vague de l’attaque irakienne, le commandant du Sepâh de Khorramshahr avait déjà notifié les intentions irakiennes belliqueuses aux autorités de la capitale et avait demandé des renforts pour défendre la région contre une éventuelle agression militaire. Mais en raison des troubles de l’après-révolution et de l’incompétence du gouvernement de l’époque, aucun renfort n’arriva durant les premières semaines de l’attaque et non seulement Khorramshahr, mais aussi la ville voisine d’Abâdân, encerclée, étaient sur le point de tomber. Finalement, le 25 octobre 1980, trente trois jours après l’invasion irakienne, il écrivit une lettre dans laquelle il précisait que des 150 militaires qui défendaient la ville aux côtés de la milice civile, seuls trente étaient toujours vivants, les corps de ceux qui étaient tombés n’étaient toujours pas enterrés et qu’ils n’avaient même plus trente fusils pour défendre la ville.

Résistance populaire à Khorramshahr

Pour les Irakiens, tout comme pour les Iraniens, la défense de la ville tenait du miracle. Rien ne pouvait expliquer comment une poignée d’hommes presque désarmés pouvait tenir, dans des conditions climatiques extrêmes, sans eau et sans ravitaillement d’aucune sorte, face aux innombrables vagues d’attaques irakiennes.

En réalité, les trente-cinq jours de résistance incroyable des hommes qui défendaient la ville changèrent immédiatement la donne de cette guerre qui allait durer huit interminables années. Selon toutes les prévisions, Khorramshahr aurait dû tomber dès le premier jour. Les Irakiens avaient prévu d’atteindre la capitale iranienne trois jours après le début de leur attaque. Pourtant, malgré tous leurs efforts, malgré la somme de l’aide financière, militaire et politique occidentale et arabe dont ils bénéficiaient, et le silence de la communauté internationale, ils furent écrasés trente cinq jours durant aux portes de Khorramshahr.

Le comportement héroïque des défenseurs de cette ville devint immédiatement un modèle, qui ne fut pas entaché durant la guerre et qui restera marqué à jamais dans les annales de la très longue histoire iranienne comme un moment de bravoure exceptionnel.

Résistance populaire à Khorramshahr

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