Le Centre de la Grande Encyclopédie Islamique (Markaz-e Dâyeratolmaâref-e Bozorg-e Eslâmi) a organisé les 17 et 18 décembre 2011 à Téhéran une conférence internationale sur la vie, l’œuvre et la pensée de Mowlavi, intitulée De Balkh à Konya. Les conférenciers ont abordé des sujets très variés, montrant ainsi que les recherches sur Mowlavi, ce grand poète persanophone du XIIIe siècle, restent d’actualité. Nous évoquerons ici quelques interventions qui ont eu lieu lors de cette conférence. [1]

Asghar Dâdbeh, directeur scientifique de la conférence, a mis l’accent sur « les iranités » perceptibles dans le Divân-e Shams, les iranités étant tout ce qui est en rapport avec l’Iran et ont pour source la culture et la civilisation iraniennes. Pour Dâdbeh, trois éléments composent l’identité nationale de chaque pays : la langue et la littérature, les mythes et l’histoire, la sagesse et la philosophie ; la langue et la littérature étant les éléments les plus importants de cet ensemble. Dâdbeh a ensuite rappelé que Mowlavi avait composé ses poèmes dans sa langue maternelle, c’est-à-dire le persan. Il a ensuite montré la grande importance que ce poète accordait à la langue persane et a mentionné les multiples évocations des mythes iraniens, de l’histoire de l’Iran et de la sagesse iranienne dans le Divân-e Shams. Dâdbeh a conclu que Mowlavi était un pilier de l’identité iranienne tout autant que Ferdowsi.

Affiche de la conférence internationale sur la vie, l’œuvre et la pensée de Mowlavi, intitulée De Balkh à Konya

Sâdegh Sajjâdi a évoqué le contexte historique et politique dans lequel Mowlavi a vécu. Pour Sajjâdi, les raisons de la migration de la famille de Mowlavi de Balkh à Damas puis à Konya, peu de temps avant l’invasion de l’Iran par les Mongols (alors que Mowlavi était adolescent), ne sont pas tout à fait claires et il existe des versions contradictoires à ce sujet ; mais il est certain que les sultans seldjoukides qui régnaient en Asie Mineure à cette époque avaient fait de ce pays un lieu où les savants et les lettrés iraniens se sentaient en sécurité, ce qui explique la migration d’un grand nombre d’entre eux à Konya au cours de cette période difficile.

Mohammad-Ali Movahhed a parlé de Shams Tabrizi, dont la rencontre avec Mowlavi déclencha chez ce dernier un changement radical, au point qu’il se mit à composer des poèmes alors qu’il n’avait jamais fait cela auparavant. Pour Movahhed, tous les poèmes de Mowlavi reflètent ce changement profond et surprenant survenu en lui ; Mowlavi y raconte les expériences qu’il vécut pendant qu’il composait ses poèmes. Movahhed a ajouté que Shams Tabrizi avait pressenti le don poétique de Mowlavi et l’avait encouragé à composer des poèmes.

Mohammad-Navid Bâzargân a analysé les changements que l’on perçoit dans la logique du discours de Mowlavi, dans le Masnavi. Mowlavi utilise parfois l’expression « la parole stupéfaite » (zabân-e heyrân) pour montrer son incapacité à décrire clairement ce qu’il veut dire. Pour Bâzargân, ces parties du Masnavi révèlent en même temps une sorte de dévoilement mystique, qui survient pendant que Mowlavi est en train de composer un poème.

Nour-Ali Nourzâd, professeur à l’Université de Khojand, au Tadjikistan, a parlé de ce qui reflète la culture tadjik de Mowlavi dans ses poèmes. Il a mentionné des mots et des expressions utilisés par Mowlavi qui sont encore utilisés de nos jours au Tadjikistan et ont gardé le même sens après plusieurs siècles. Mowlavi évoque aussi dans ses poèmes des traditions et des villes existant encore au Tadjikistan.

Sirouss Shamissâ a parlé du fait que certaines histoires du Masnavi sont inspirées d’évènements réels concernant Mowlavi personnellement et ses amis, mais Mowlavi les a racontés en utilisant d’autres personnages. Shamissâ s’est référé au livre écrit par le fils de Mowlavi, Soltân Valad, dans lequel il stipule clairement ce fait, sans toutefois préciser quelles sont les histoires du Masnavi qui se rapportent à la vie réelle de Mowlavi.

Hassan Lâhouti a parlé du succès de Mowlavi aux Etats-Unis. Lâhouti a mentionné trois groupes de personnes qui s’intéressent à Mowlavi aux Etats-Unis de nos jours : les universitaires, qui font un travail sérieux et digne d’intérêt mais sont très peu nombreux ; les immigrés turcs, qui poursuivent les activités de l’ordre des Mevlevis et gardent ainsi un lien avec la Turquie ; et des centaines de milliers d’Américains qui ne connaissent Mowlavi qu’à travers les traductions qui ont été faites de ses poèmes, en particulier les traductions « libres » de Coleman Barks. Coleman Barks écrit des poèmes en anglais qui sont ce qu’il comprend ou croit comprendre de ce que Mowlavi avait l’intention de dire, alors qu’il ne connait ni la langue ni la culture persanes. Ses traductions n’ont donc pas beaucoup de points communs avec les poèmes de Mowlavi ! Hassan Lâhouti a lu la traduction en persan de l’une des traductions de Coleman Barks et a provoqué ainsi l’étonnement et l’hilarité de l’auditoire.

Adnân Ghareh-Oghli Esmâil, spécialiste de Mowlavi en Turquie, a rappelé que Mowlavi a une place importante dans la culture et la littérature turques et de nombreux livres ont été écrits en turc sur ce grand poète au cours des siècles précédents et dans la période contemporaine. Ces études concernent notamment l’influence de l’œuvre de Mowlavi, en particulier le Masnavi, sur la poésie classique turque. Il a terminé ses propos en parlant du fait que les habitants de la Turquie s’intéressaient encore à Mowlavi de nos jours : il existe actuellement dans plusieurs villes de la Turquie des lieux où les gens se réunissent régulièrement pour lire ensemble le Masnavi ; par exemple, depuis douze ans, le syndicat des écrivains de la Turquie organise tous les lundis soirs une réunion de ce genre. De plus, à Konya, il y a une séance de danse Samâ’ tous les samedis soirs à laquelle près de deux mille personnes participent.

Safar Abdollâh, professeur à l’Université des Langues Etrangères du Kazakhstan, a parlé des études faites sur Mowlavi en Russie et l’ex Union Soviétique. Il a rappelé que les poèmes de Mowlavi ont été traduits en russe, au début à partir des traductions faites en langues européennes, mais récemment, un groupe d’orientalistes russes a publié pour la première fois la traduction en russe du Masnavi de Mowlavi à partir du persan avec l’aide financière du service culturel de l’ambassade d’Iran en Russie. Safar Abdollâh a ensuite mentionné quelques études sur Mowlavi menées par des iranologues russes et de l’ex Union Soviétique. Il a également parlé d’un phénomène nouveau en Russie, qui est la traduction en russe de livres écrits par des Turcs (à partir de leur traduction en anglais), dans lesquels on présente Mowlavi comme un poète turc.

Hâshempour Sobhâni a parlé des plus anciens manuscrits du quatrième Livre et du sixième Livre du Masnavi, découverts récemment. Ces manuscrits ont été écrits de la main du fils de Mowlavi, Soltân Valad. La comparaison de ces manuscrits et du manuscrit de Konya datant de 677 de l’Hégire montre que ce que l’on a dit à propos des erreurs dans le manuscrit de Konya était faux.

Hassan Jafaritabâr a parlé de l’éthique de Mowlavi reposant sur le principe de rendre service aux autres ; c’est précisément pour rendre service aux autres que Mowlavi a composé le Masnavi. Jafaritabâr a ensuite classé les services que l’on rend aux autres en trois catégories, les deux premières étant les services que l’on rend en faisant quelque chose ou en disant une parole. Mowlavi mentionne à plusieurs reprises dans ses poèmes qu’il aime mieux être silencieux, mais il parle et tente de rendre le plus clair possible ce qu’il a l’intention de dire pour rendre service à ses interlocuteurs. Jafaritabâr a parlé ensuite de la troisième façon de rendre service, qui consiste pour Mowlavi à se souvenir de quelqu’un au moment de faire une prière. En fait, ne pas oublier l’autre et le garder en souvenir est pour Mowlavi la plus importante façon de rendre service à quelqu’un. Jafaritabâr a ajouté que dans l’éthique de Mowlavi, on rend service sans attendre quelque chose en retour, le meilleur service étant celui qu’on rend à quelqu’un avant que celui-ci en ait fait la demande, même si la personne en question ne sent pas le besoin d’être aidée. Ce principe découle de l’Amour et non de la raison.

Mehdi Nouriân a parlé de l’influence de Sanâi sur Mowlavi et a expliqué à travers quelques exemples comment on peut mieux comprendre le sens des poèmes de Mowlavi à l’aide des poèmes de Sanâi.

Au cours de la cérémonie d’ouverture de cette conférence, Kâzem Moussavi Bojnourdi, directeur du Centre de la Grande Encyclopédie Islamique, a parlé de l’importance de Mowlavi pour les Iraniens. Bojnourdi a souligné que Mowlavi a eu et garde une grande influence sur les croyances et le comportement des Iraniens ; son influence a été profonde, même dans la culture populaire iranienne et l’on peut dire que les Iraniens vivent avec Mowlavi et sa pensée. Pour Bojnourdi, Mowlavi est un représentant de la culture iranienne et sa pensée peut se résumer en un mot, l’Amour.

La présence d’un auditoire nombreux, attentif et enthousiaste, composé d’Iraniens de tous âges et de toutes tendances culturelles, du début à la fin de la conférence, a montré que les Iraniens continuent à s’intéresser à Mowlavi.

Notes

[1Les résumés des interventions des conférenciers sont disponibles sur le site officiel du Centre de la Grande Encyclopédie Islamique, à l’adresse www.cgie.org.ir.


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