N° 76, mars 2012

Les recherches contemporaines en Iran sur l’œuvre de Mowlavi


Djamileh Zia


Mowlavi [1] fait en permanence allusion dans son œuvre à des concepts mystiques, des versets du Coran et des hadiths. Il est donc difficile pour un lecteur non initié d’en comprendre le sens. La nécessité de rendre plus explicite l’œuvre de Mowlavi a été ressentie dès la mort de ce grand poète persanophone et a motivé l’écriture de commentaires à partir du IXe siècle de l’Hégire (XVe siècle) ; ce travail a été régulièrement poursuivi, en particulier en Iran, jusqu’à aujourd’hui. Dans cet article, nous évoquerons les travaux contemporains les plus importants effectués en Iran sur les trois œuvres principales de Mowlavi : le Masnavi, le Divân-e Shams et Fih Mâ Fih.

Badi-ol-Zamân Forouzânfar

Badi-ol-Zamân Forouzânfar (1904-1970) a étudié la littérature persane, la langue arabe, la logique et la hekmat [2]. Il a obtenu son doctorat en littérature persane en 1935 puis a été professeur de littérature persane à l’Université de Téhéran. Sa vaste connaissance des domaines liés à la langue et la littérature arabes ainsi que le Coran, les hadiths et la mystique islamique ont fait de lui l’une des personnalités littéraires et universitaires les plus brillantes de l’époque contemporaine, en particulier en littérature classique. Forouzânfar a corrigé plusieurs œuvres littéraires classiques persanes en comparant les textes avec les manuscrits les plus anciens, donc les plus authentiques. Il a corrigé notamment le Fih Mâ Fih et le Divân-e Shams-e Tabrizi de Mowlavi. Forouzânfar est également l’initiateur à l’époque moderne de la recherche sur les textes de la littérature classique persane. Ses recherches ont porté essentiellement sur deux grands poètes mystiques de la littérature persane classique : ’Attâr et Mowlavi. [3]

Badi-ol-Zamân Forouzânfar

Le commentaire sur le Masnavi de Mowlavi écrit par Badi-ol-Zamân Forouzânfar (intitulé Sharh-e Masnavi-e sharif) est l’un des meilleurs commentaires sur le Masnavi de Mowlavi et reste une référence. Forouzânfar n’a pas eu le temps de terminer ce travail ; il n’a commenté que les trois premiers Livres du Masnavi avant sa mort. [4] Cependant, selon Tofigh Sobhâni (chercheur lui aussi sur l’œuvre de Mowlavi), il suffit de lire avec attention les 3012 distiques du Masnavi commentés par Badi-ol-Zamân Forouzânfar pour comprendre l’ensemble du Masnavi, car Mowlavi a exprimé la plupart de ses idées dans le premier Livre du Masnavi ; les adeptes de l’ordre des Mevlevis pensent même que les 18 premiers distiques sont un concentré de tout le Masnavi. Dans ce livre, Forouzânfar a résumé chaque histoire du Masnavi, a expliqué les expressions et les mots en rapport avec la philosophie, la théologie et la mystique, puis a expliqué les vers dans une langue simple en se référant aux autres œuvres de Mowlavi ainsi qu’à l’œuvre de Sanâ’i et Attâr (deux poètes dont Mowlavi s’est inspiré). Il a également écrit une liste des principales idées de Mowlavi et a mentionné le contexte historique et social dans lequel vivait Mowlavi. [5]

On peut dire que Forouzânfar a consacré la plus grande partie de sa vie à expliquer l’œuvre de Mowlavi et ses travaux ont été d’une grande aide pour comprendre le sens des poèmes de ce penseur et poète mystique. Sa méthode a été inspirée de la démarche de Mowlavi lui-même, qui utilisait des histoires en guise de métaphores pour faire comprendre ses idées. Dans Sharh-e Masnavi-e sharif, Forouzânfar a résumé les histoires principales du Masnavi, a mentionné les histoires secondaires intriquées dans chaque histoire principale, puis a rendu explicite les articulations entre les différentes parties de l’histoire pour arriver aux conclusions que l’on peut tirer de l’ensemble du récit. Il a également fait une étude critique des commentaires du Masnavi rédigés dans les siècles passés : les anciens commentateurs du Masnavi avaient rattaché les idées de Mowlavi à celles d’Ibn ’Arabi ou de Mollâ Sadrâ ; Forouzânfar n’était pas d’accord avec eux et pensait que ces commentateurs s’étaient éloignés de la véritable pensée de Mowlavi. [6]

Le livre de Forouzânfar intitulé Ahâdith-e Masnavi est un répertoire des hadiths utilisés dans le Masnavi. Le livre intitulé Ma’khaz-e ghessas va tamsilât-e Masnavi (L’origine des histoires et des métaphores du Masnavi) est le résultat de près de vingt-cinq années de recherches de Forouzânfar, dans lequel il a répertorié 251 histoires et métaphores utilisées par Mowlavi dans le Masnavi ; de plus, Forouzânfar a ajouté l’histoire originale (en persan ou en arabe) ainsi que les autres versions de chaque histoire. Forouzânfar a également écrit un livre sur la vie de Mowlavi (intitulé Rssâleh dar tahghigh-e ahvâl va zendegâni-ye Mowlânâ Jalâleddin Mohammad mashhour be Mowlavi) qui reste une référence. [7]

Jalâledin Homâ’i

Jalâledin Homâ’i (1899-1980) fut professeur en littérature persane à Dârolfonoun puis à l’Université de Téhéran. Il a de plus fait des études en théologie islamique, littérature arabe, hekmat et philosophie. Il composa également des poèmes qu’il signa « Sanâ ». [8] Son livre intitulé Mowlavinâmeh est l’un des livres de grande qualité sur Mowlavi et sa pensée. Le livre comprend quatre articles qui traitent des idées de Mowlavi sur les traditions morales et sociales, sur les croyances religieuses et les questions portant sur la jurisprudence islamique, ainsi que les points de vue théologiques et philosophiques de Mowlavi et ses idées mystiques. Jalâledin Homâ’i a trouvé une relation entre la première et la dernière histoire du Masnavi, c’est-à-dire l’histoire du « roi et de la jeune fille malade » (shâh va kanizak) et l’histoire de « la forteresse qui rend insensé » (dej-e housh robâ) et a pu ainsi trouver des points communs dans la structure du premier et du dernier Livre du Masnavi de Mowlavi. [9]

Jalâledin Homâ’i

Abdol-Hossein Zarinkoob

Abdol-Hossein Zarinkoob (1922-1999) fut docteur en littérature persane. Il avait également des connaissances en littérature arabe et en théologie islamique, philosophie et hekmat. Il enseigna l’histoire des religions, l’histoire de l’islam ainsi que l’histoire du mysticisme islamique à l’Université de Téhéran. [10] Abdol-Hossein Zarinkoob a écrit un livre sur la vie et la pensée de Mowlavi intitulé Pelleh pelleh tâ molâghât-e khodâ, et deux livres intitulés Serr-e ney et Bahr dar Kouzeh dans lesquels il analyse la pensée de Mowlavi et commente les histoires et les métaphores qu’il a utilisées dans le Masnavi. [11]

Abdol-Hossein Zarinkoob

Mohammad-Taghi Ja’fari

Mohammad-Taghi Ja’fari (1923-1998) fut théologien et philosophe. Questionner tous les sujets contemporains était fondamental pour lui et il poursuivit ses questionnements tout au long de sa vie, en particulier sur l’être humain. C’est dans cette logique qu’il s’intéressa au Masnavi de Mowlavi dès la période où il fit ses études de théologie à Najaf (en Irak). Il enseigna le Masnavi à partir de 1965, après son retour en Iran. Son livre comprenant ses commentaires sur le Masnavi de Mowlavi, intitulé Tafsir va naghd va tahlil-e Masnavi, en 15 volumes, fut écrit en cinq ans, de 1969 à 1974. Mohammad-Taghi Ja’fari considérait que Mowlavi était l’une des rares personnes ayant réussi à connaître les profondeurs de l’être humain. Il pensait que les idées de Mowlavi avaient des différences radicales avec celles des autres penseurs musulmans. Il considérait que Mowlavi exprimait dans le Masnavi des idées nouvelles et étonnantes, qui ont été rarement proposées auparavant par les penseurs dans le monde. [12]

Mohammad-Taghi Ja’fari

Mohammad Este’lâmi

Mohammad Este’lâmi (1936 - ) a obtenu son doctorat en littérature persane à l’Université de Téhéran. Il a été l’un des étudiants de Badi-ol-Zamân Forouzânfar et a poursuivi les recherches de celui-ci sur les textes de quelques poètes mystiques importants de la littérature persane classique, en particulier Khâghâni, ’Attâr, Hâfez et Mowlavi. Ses commentaires sur le Masnavi de Mowlavi, en sept volumes, ont reçu en 1985 en Iran le prix du Meilleur Livre de l’Année. [13] Dans ce livre, Mohammad Este’lâmi donne plutôt une explication des mots difficiles et du sens explicite des distiques difficiles à comprendre. Il donne quelques explications sur le sens mystique des vers et les allusions aux versets du Coran et aux hadiths, pour lesquelles il s’est référé aux travaux de Badi-ol-Zamân Forouzânfar. [14]

Mohammad Este’lâmi

Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani

Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani (1939- ) est docteur en littérature arabe et professeur de critique littéraire à l’Université de Téhéran. Il a également fait des études en théologie pendant sa jeunesse. Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani est chercheur et critique littéraire dont les travaux dans les domaines de la littérature persane classique et moderne sont estimés dans les milieux universitaires du monde entier. [15] Shafi’i Kadkani a publié il y a trois ans un choix des ghazals [16] du Divân-e Shams avec des commentaires et des explications, en 2 volumes, intitulés Sharh-e gozideh-ye ghazaliyât-e Shams. [17] En plus des 1075 ghazals et 256 quatrains de Mowlavi, ce livre comprend une longue introduction de 150 pages sur la vie et la pensée de Mowlavi écrite par Shafi’i Kadkani, ainsi qu’une étude sur les relations entre la poésie de Mowlavi et d’autres poètes classiques persans tels que Sanâ’i, ’Attâr, Hâfez et Khâghâni. Ce livre est le résultat de près de 35 années de recherches de Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani sur Mowlavi. [18]

Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani

Hossein Elâhi-Ghomshe’i

Hossein Elâhi-Ghomshe’i (1940- ) a fait des études de théologie à l’Université de Téhéran et chez son père, Mehdi Elâhi-Ghomshe’i, qui était un religieux. Il a enseigné à l’Université de Téhéran et a écrit plusieurs livres à propos de la mystique et de la littérature persanes et anglaises. [19] L’un de ses livres est un choix de textes de Fih Mâ Fih sélectionnés à partir du livre publié par Badi-ol-Zamân Forouzânfar ; Hossein Elâhi-Ghomshé’i a regroupé les textes par thèmes et a ajouté des explications et des commentaires pour chaque thème. Ce livre comprend environ un tiers des textes de Fih Mâ Fih, et permet de mieux comprendre les idées que Mowlavi a exprimées dans le Masnavi. [20]

Hossein Elâhi-Ghomshe’i

Karim Zamâni

Karim Zamâni (1951- ) a étudié la littérature arabe. Sa connaissance de la langue arabe lui a permis de mieux lire les textes concernant la théologie et le mysticisme islamique. Karim Zamâni s’est intéressé au Masnavi de Mowlavi dès sa jeunesse. Une vingtaine d’années d’études et de recherches personnelles à propos de ce livre ont abouti à la rédaction d’un commentaire sur cet ouvrage intitulé Sharh-e jâme’e Masnavi, en sept volumes, et d’un autre livre intitulé Minâgar-e eshgh qui est une explication thématique du Masnavi de Mowlavi. Il a ensuite écrit un livre intitulé Bar lab-e daryâ-ye Masnavi en 2 volumes dans lequel il a donné un court titre à chaque distique du Masnavi pour rendre explicite l’intention qu’avait Mowlavi quand il a composé son poème. [21] Le commentaire sur le Masnavi de Mowlavi de Karim Zamâni a été publié il y a une quinzaine d’années et a été réédité 35 fois depuis. Cet auteur compte publier bientôt les commentaires et les explications d’un tiers des ghazals du Divân-e Shams (c’est-à-dire 1000 ghazals) ; dans ce livre, Zamâni explique tous les distiques de chaque ghazal ainsi que les mots et les expressions difficiles. [22]

Par ailleurs, Zamâni a écrit un commentaire de Fih Mâ Fih paru il y quelques jours. Dans ce livre, Zamâni, en plus d’un classement thématique, a expliqué les textes de Fih Mâ Fih en utilisant les poèmes de Mowlavi ; cette méthode, qui n’avait pas été utilisée auparavant, permet selon l’auteur une nouvelle lecture de Fih Mâ Fih. [23]

Karim Zamâni

Notes

[1Mowlavi est connu en Occident sous le nom de Rûmi.

[2Le mot hekmat signifie « sagesse ». Il désigne également et entre autre un type de connaissance où la réflexion philosophique est nourrie et s’accompagne d’un cheminement spirituel et mystique.

[3L’article Zendeguinâmeh : Badi-ol-zamân Forouzânfar (Biographie : Badi-ol-zamân Forouzânfar), consulté sur le site hamshahrionline.ir le 27 déc. 2011.

[4C’est Ja’far Shahidi, professeur en littérature persane et élève de M. Forouzânfar, qui a écrit les commentaires des trois Livres suivants du Masnavi.

[5Alavi, Mahvashosâdât, Negâhi ejmâli be shorouh-e Masnavi-ye Mowlavi (Un aperçu des commentaires du Masnavi de Mowlavi), consulté sur le site de l’Académie des Etudes Iraniennes de Londres (London Academy of Iranian Studies) à l’adresse iranianstudies.org le 27 déc. 2011.

[6Ekhtiâri, Zahrâ, Tarhi now dar Sharh-e Masnavi-e sharif (Une nouvelle méthode [utilisée] dans Sharh-e Masnavi-e sharif), consulté sur le site profdoc.um.ac.ir (site des articles publiés par les professeurs de l’Université de Mashhad) le 2 janv. 2012.

[7Bâbâ’i, Rezâ, Seyri dar barkhi âssâr-e Mowlavi-pajouhi (Un aperçu de certaines recherches faites sur Mowlavi), revue Ayineh-ye pajouhesh, n° 82 (Mehr et Abân 1382), pp. 16-29, consulté sur le site www.noormags.com le 27 déc. 2011.

[8L’article Zendeguinâmeh-ye Ostâd Jalâleddin Homâ’i (La biographie du Maître Jalâleddin Homâ’i), consulté sur le site www.rasekhoon.net le 27 déc. 2011.

[9Alavi, Mahvashosâdât, Op. Cit.

[10L’article Zendeguinâmeh : Abdol-Hossein Zarinkoob (Biographie : Abdol-Hossein Zarinkoob), consulté sur le site danesnameh.roshd.ir le 31 déc. 2011.

[11L’article Abdol-Hossein Zarinkoob, consulté sur le site fa.wikipedia.org le 31 déc. 2011.

[12Informations tirées des articles consultés le 27 déc. 2011 sur le site officiel de Mohammad-Taghi Ja’fari à l’adresse ostad-jafari.com.

[13L’article Zendeguinâmeh : Mohammad Este’lâmi (Biographie : Mohammad Este’lâmi), consulté sur le site hamshahrionline.ir le 27 déc. 2011.

[14Ekhtiâri, Zahrâ, Op. Cit.

[15L’article Zendeguinâmeh : Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani (Biographie : Mohammad-Rezâ Shafi’i Kadkani), consulté sur le site hamshahrionline.ir le 28 déc. 2011.

[16Le ghazal est un poème relativement court, dans lequel tous les distiques ont la même rime.

[17L’article Gozideh-ye ghazaliyât-e Shams bâ sharh-e Shafi’i Kadkani (Une sélection des ghazals du [Divân-e] Shams avec le commentaire de Shafi’i Kadkani), consulté sur le site www.ketabnews.com le 28 déc. 2011.

[18L’article « Gozideh-ye ghazaliyât-e Shams » Mowlavi râ be miân-e mardom mibarad (« La sélection des ghazals du [Divân-e] Shams permet aux gens de découvrir Mowlavi), consulté sur le site www.bookcity.org le 31 déc. 2011.

[19Informations tirées du site officiel de Hossein Elâhi-Ghomshe’i consulté le 4 janv. 2012 à l’adresse www.drelahighomshei.com.

[20Informations tirées du site www.fihomafih.com consulté le 4 janvier 2012.

[21L’article Mo’arefi-ye mashâhir : Karim Zamâni (Présentation des gens célèbres : Karim Zamâni), consulté sur le site www.rasekhoon.net le 28 déc. 2011.

[22L’article Be koushesh-e Karim Zamâni yek sevvom-e ghazaliyât-e Shams sharh dâdeh shod (Karim Zamâni a commenté un tiers des ghazals du [Divân-e] Shams), consulté sur le site www.persian-language.org le 28 déc. 2011.

[23L’article Sharh-e Karim Zamâni az « Fih Mâ Fih » Mowlânâ be bâzâr-e ketâb mi-âyad (Le commentaire de « Fih Mâ Fih » de Karim Zamâni sera publié bientôt), consulté sur le site www.ibna.ir le 4 janv. 2012.


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