N° 86, janvier 2013

Le Louvre et la nouvelle collection des Arts de l’Islam
Les chefs-d’œuvre racontent leur histoire


Afsaneh Pourmazaheri


Les Arts de l’Islam exposés dans un nouvel espace européen

La création du huitième département du musée du Louvre en septembre 2012, consacré entièrement à l’art et à la civilisation de l’époque islamique, est un évènement rare dans l’histoire récente de la France. Aménagé vingt ans après la construction de la Pyramide du Louvre, ce chef-d’œuvre architectural comprend des objets étonnants rassemblés à travers tous les territoires conquis par l’Islam, de l’Inde à l’Espagne, et chronologiquement du VIIe au XIXe siècle. Cette tentative a également permis aux œuvres longtemps restées, faute de place, dans l’ombre (notamment dans l’ancien département du musée du Louvre et dans le musée des Arts décoratifs) d’être présentées au public.

Vantail de porte du palais du Dar al-Khalifa de Samarra, Irak, IXe siècle © Musée du Louvre

Ce nouvel espace a également fourni l’occasion d’aménager, à côté des Arts de l’Islam, les salles propres à l’Orient Méditerranéen de l’époque romaine. Les objets de l’Antiquité orientale appartiennent aux contrées conquises plus tard par l’Islam, notamment l’Egypte, la Phénicie et la Palestine. Cet ensemble, avec le nouveau département d’art islamique, met en valeur des espaces artistiques et chronologiquement continus, cohérents et harmonieux, en entrainant le visiteur dans un voyage exceptionnel à travers l’histoire musulmane. Il établit par ailleurs une passerelle entre le monde oriental et occidental en créant un espace de compréhension mutuelle. Pour ce faire, il s’organise autour d’univers apparemment divers à savoir, andalou, ottoman, persan, etc.

En effet, cet ensemble précieux n’est pas uniquement consacré à l’art islamique au sens religieux, dont les figures stéréotypées sont celles des mosquées, des copies coraniques, etc. On y découvre le résultat d’une large gamme d’activités artistiques, religieuses ou non, qui recouvre un champ géographique allant de l’Inde à l’Espagne. Si le terme d’"art de l’Islam" est employé pour dénommer ce nouveau chantier, c’est qu’il inclut les peuples, musulmans ou non, qui évoluèrent et souvent continuent d’évoluer dans l’espace à proprement parler musulman (sous influence musulmane) à l’instar de la Syrie, dont une partie de la population, au XIIe siècle, est restée chrétienne. Il tient par conséquent compte aussi bien de l’univers de Qusta ibn Luqa, mathématicien chrétien dont les œuvres furent publiées essentiellement en arabe à Bagdad du IXe siècle, que de celui de Recemundo ou de Rabbi ben Zaïd, évêque de Cordoue et familier de la cour du Calife de Cordoue, qui n’écrivait qu’en arabe.

Suaire de Saint-Josse, Xe siècle, Iran © Musée du Louvre

Dès la création du musée du Louvre, notamment après la Révolution, quelques-uns des objets d’art de l’Islam issus de la collection royale furent rassemblés pour constituer la partie islamique du musée, aujourd’hui devenu le département de l’Art de l’Islam. Vers la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle, les acquisitions s’accélérèrent et la collection s’enrichit au point de donner naissance, en 1893 à sa partie consacrée aux arts musulmans et à l’Orient. Aux débuts du XXe siècle, les responsables du Louvre ont pris soin de collecter des œuvres uniques sur le plan historique, esthétique ou technique, notamment de belles calligraphies, des tapis et des tissus finement décorés, des Corans ornés en filigranes, des gravures en bois et en pierres précieuses et des métaux ou des verres ciselés à motifs floraux, animaliers, etc. Cette superbe collection n’a malheureusement pas été exposée depuis de nombreuses années et le plan même de rénovation du musée ne lui avait guère réservé d’espace particulier. L’idée de créer ce huitième département fut lancée à l’initiative de Jacques Chirac en 2003. Il compte aujourd’hui 15 000 pièces et il s’est enrichi grâce aux 3400 œuvres rapportées du musée des Arts décoratifs. Le département continue encore à se développer par l’achat d’objets d’art ou parfois par le biais des dons.

Pyxide d’al-Mughira, Espagne, Cordoue, 968 © Musée du Louvre

Un regard sélectif sur les œuvres révèle immédiatement la qualité esthétique de l’ensemble mais également, sa valeur historique. Les œuvres appartiennent à quatre périodes distinctes de l’ère musulmane. La première concerne la naissance de l’Islam et se prolonge jusqu’en l’an 1000, la deuxième concerne l’intervalle allant des années 1000 aux années 1250, la troisième va de 1250 à 1500 et la quatrième de 1500 à 1800. Cette division nécessite, pour être justifiée, une légère mise au point historique.

En prélude à l’exposition, quelques repères historiques

Comme on vient de le noter, la première partie de la collection concerne le VIIe siècle, plus précisément la période de la formation de l’Islam, et de son développement. Dès sa parution, la religion musulmane prêcha une foi fortement teintée de politique. Cela explique l’étendue du territoire musulman seulement un siècle après sa naissance. Il conquit alors toutes les contrées allant de l’océan Atlantique jusqu’à l’Asie centrale. Après le prophète Mohammad, le califat fut assuré par quatre califes qui se succédèrent de 632 à 661, à savoir Abou Bakr, ’Omar, ’Uthman et ’Ali. Ces trois décennies furent une phase importante de l’expansion de la nouvelle religion. Malgré cela, les divergences au sujet de la question de la succession entraînèrent très tôt une grande scission entre le chiisme et le sunnisme. Le califat de ’Omar coïncida avec une extension de l’Islam notamment à la suite de l’occupation de la Syrie, de la Palestine, de l’Egypte, de la Mésopotamie, de l’Anatolie et de la Perse. Ainsi deux empires colossaux de l’époque, les Sassanides et l’empire byzantin tombèrent sous la mainmise des Arabes. En 635, ils conquirent la Syrie, en 639 l’Arménie et l’Egypte, en 642 l’Afrique du Nord et firent le siège de Constantinople en 717. La conquête de la Perse dura plus d’un siècle, de 637 jusqu’en 751, et aboutit à la chute de l’empire sassanide. Il conduisit au déclin et à la quasi disparition de la religion millénaire des Perses : le zoroastrisme. Ces derniers furent donc convertis, de gré ou de force, à la nouvelle religion. La conquête de l’Afghanistan suivit celle de la Perse entre les années 637 et 709. Entre les années 711 et 712, l’Inde fut conquise par les musulmans. Cette conquête fut suivie par l’invasion du Sind, pillé de nouveau aux XIe et XIIe siècles par les Turcs et les Afghans mais aussi par l’empire mongol au XVIe siècle. Entre les années 711 et 732, c’est la péninsule ibérique, dominée par les Wisigoths, qui fut témoin de l’invasion des Arabes musulmans, sans oublier le Maghreb, conquis antérieurement.

Lion de Monzَn, Espagne, XIIe-XIIIe siècle © Musée du Louvre

Comme toute conquête, celle de l’armée musulmane devait un jour ou l’autre trouver sa limite. Elle fut atteinte en 732 à Poitiers où Charles Martel défit les Arabes. Cette défaite se poursuivit en 740 avec la grande révolte berbère kharidjite au Maghreb et dix ans plus tard, par la défaite du calife omeyyade Marwân entraînant le massacre de toute sa famille et qui aboutit à l’affaiblissement de l’armée musulmane. Malgré cela, Abd al-Rahmân réussit à s’enfuir et à se rendre en Espagne avec le seul espoir d’y constituer l’émirat de Cordoue en 756.

A partir du VIIIe siècle, l’Orient nouvellement conquis par l’Islam devint le foyer d’une révolution intellectuelle inédite dans toute l’histoire. Cette effervescence intellectuelle donna naissance a des philosophies et des sciences nettement plus élaborées par rapport aux œuvres dont elles étaient issues, c’est-à-dire celle des savants grecs. L’histoire accueillait alors l’âge d’or de la pensée du Moyen-Age oriental dont le sommet fut atteint au XIIe et dont l’influence s’exerça de manière décisive (et radicale durant deux siècles) sur la philosophie, la médecine et les sciences.

Aiguière du trésor de Saint-Denis, Égypte, vers 1000-1015 © Musée du Louvre

Les XVIe et XVIIe siècles marquent l’histoire du monde islamique par l’arrivée au pouvoir de trois empires puissants qui divisèrent les anciennes terres conquises par les Arabes en trois territoires : celui des Ottomans, aux alentours de la Méditerranée à l’exception du Maroc, celui des Safavides en Iran et celui des Mongols en Inde.

L’empire ottoman fut fondé par un clan turc oghouze en Anatolie occidentale et régna de 1299 à 1923 sur trois continents à savoir l’Anatolie, le haut-plateau arménien, les Balkans, le pourtour de la mer Noire, la Syrie, la Palestine, la Mésopotamie, la péninsule Arabique et l’Afrique du Nord. La dynastie safavide succéda aux Timourides et régna sur la Perse de 1501 à 1736. Cette dynastie fut la première à diriger le pays indépendamment et de manière tout à fait autonome après 1000 ans de dépendance arabe. Ses membres étaient issus d’un ordre religieux soufi militant du XIVe siècle et qui se convertirent au chiisme duodécimain sous le règne du célèbre roi Esmâ’il Ier qui régna entre 1487 et 1524. Cette conversion de la conviction sunnite au chiisme eut notamment lieu à cause de problèmes politiques : la question de l’indépendance vis-à-vis de leurs rivaux Ottomans. L’empire mongol fut incontestablement l’un des plus puissants de cette époque. Il doit sa formation à Tamerlan et à sa victoire face à Ibrâhim Lodi, dernier sultan de Delhi, au cours de la bataille de Pânjpat en 1526. L’empire mongol vit son apogée lors de l’expansion musulmane en Inde, sous Sher Shâh Sûrî. Il vécut une période de déclin sous le règne du roi Homâyoun mais prit un nouvel essor à l’époque du roi Aurangzeb. L’empire fut voué à l’échec dans sa guerre contre l’armée perse conduite par Nâder Shâh en 1739 et de nouveau par Ahmad Shâh en 1756. Les Britanniques mirent fin à cette dynastie en exilant le dernier empereur mongol qui fut, à l’époque, le souverain en titre de l’Inde.

Baptistère de Saint Louis, Égypte ou Syrie, première moitié du XIVe siècle © Musée du Louvre

Plus tard aux XVIIIe et XIXe siècles, plusieurs régions islamiques tombèrent sous le contrôle des pouvoirs européens, avec entre autres une partie de l’Empire ottoman qui fut mise sous protectorat européen après la Première Guerre mondiale. Au cours des XXe et XXIe siècles, les pays musulmans furent fortement concernés par les questions politiques et idéologiques notamment dans leur interaction avec le monde occidental. Le XXIe siècle marqua significativement les mondes islamiques notamment en raison de la croissance démographique rapide, de la globalisation, de la démocratie naissante et de l’Islam réformé, surtout chez la jeune génération.

Les chefs-d’œuvre racontent…

Première section

Les œuvres qui nous intéressent dans la première section du département de l’art de l’Islam appartiennent (on l’a noté) à la période de formation de l’Islam et à son essor rapide jusqu’au XIe siècle. Parmi les objets de la collection, une œuvre appartenant à cette époque attire l’attention par sa singularité et sa rareté. C’est en fait le vantail de la porte du palais de Dar al-Khalifa de Samarra en Irak actuel. Il date du IXe siècle et son décor de motifs sculptés en bois est d’une beauté exceptionnelle. Il fut dédié au musée du Louvre de la part de la Société des Amis du Louvre en 1938. Dar al-Khalifa constituait un centre capital de la ville de Samarra qui s’étendait sur 50 kilomètres le long du fleuve Tigre. Cette énorme construction comptait deux parties : la première, publique, appelée Dâr al-’Amma et la deuxième, privée, qu’on appelait Jawsaq al-Khaqâni. Le ventail de porte en bois exposé au Louvre appartient précisément à Dâr al-’Amma. Sa taille fait deviner son importance dans la salle principale. Son jumeau est exposé au musée Benaki d’Athènes. Celui-ci, comme le premier, est orné de trois panneaux rectangulaires verticaux, décorés à leur tour de motifs en relief profondément biseautés. Cela évoque effectivement l’art proprement dit abbasside. Le motif supérieur évoque de son côté un éventail ou une queue de paon qui s’achève par une feuille à cinq lobes.

Plat au paon,Turquie, Iznik, vers 1550 © Musée du Louvre

Le Suaire de Saint-Josse est une précieuse soierie fabriquée en 961 à Merv ou Neyshâbour, des villes réputées pour leur artisanat de la soie. Il porte une inscription qui laisse deviner le commanditaire de l’œuvre. Il fut alors créé sous l’ordre du gouverneur d’Asie Centrale, qui, ironie du sort, mourut l’année même où l’œuvre venait d’être achevée. Au cours du Moyen-âge, il fut transporté en Occident et fut confié par la suite à l’abbaye de Saint-Josse-sur-Mer par Etienne de Blois, roi d’Angleterre en 1134. Ce dernier devait en hériter de son père qui mourut durant la dernière croisade en 1102. Malgré son état fragmentaire, c’est la seule soierie parvenue de l’Iran oriental. La scène montre deux rangées d’éléphants au combat et encadrés d’inscriptions répétitives. On peut y reconnaitre également de petits chameaux grâce à leurs bosses exagérés. Les ornements sur la tête et le dos des éléphants montrent bien que ce sont des animaux de parade et non de combat. L’inscription autour de l’illustration, écrite en arabe, peut être traduite de la sorte : "Bénédiction et bonheur pour le chef Abou Mansour Bukhtégin, Dieu prolonge son règne". Abou Mansour Bukhtégin était un commandant turc, apparemment le commanditaire du tissu, renommé pour ses textes historiques. Il fut exécuté en 961. L’œuvre fut découverte à l’abbaye de Saint-Josse-sur-Mer (Pas-de-Calais) lors d’un déplacement de reliques en 1922 et fut acquise par le musée du Louvre en 1922. [1]

Un autre objet précieux du département datant de la même époque est une pyxide dénommée Pyxide d’al-Mughira. Cette boîte, ou coffret à bijoux, en ivoire sculpté, date du Xe siècle ou plus exactement, de l’année 968. Retrouvée à Cordoue, en Espagne, elle fut transportée au musée du Louvre en 1898. Elle appartenait au prince omeyyade, al-Mughira, le dernier-né des enfants du calife de Cordoue Abd al-Rahman III (929-961). Cette boîte précieuse est unique par ses motifs et ses images circulaires presque impossibles à déchiffrer, et qui retrouvent leur sens dans la littérature omeyyade d’Andalousie. On y perçoit, malgré tout, des figures symboliques décryptables telle que le faucon, répété dix-sept fois dans l’œuvre, qui représente les Omeyyades d’Espagne. Ce chef-d’œuvre de finesse est également porteur de messages politiques. L’ensemble des motifs illustre la lutte du pouvoir "légitime" des Omeyyades contre les Abbassides. Cette interprétation laisse à comprendre que le califat universel s’était rendu compte de la menace que représentaient les Abbassides. En somme, après avoir analysé ce petit joyau exceptionnel, c’est à une étape occulte de l’histoire que l’on accède. On se rend compte qu’al-Mughira avait lancé un système successoral inédit dans les règlements islamiques et qu’il devait à tout prix défendre l’intérêt des Omeyyades, après Al-Hakam II, contre les Abbassides. Son savoir-faire et son pouvoir furent jugés menaçants et il fut exécuté à vingt-sept ans au lendemain de la mort d’al-Hakam II.

Plat à la ronde de poissons, XIIIe siècle, Iran © Musée du Louvre

L’aiguière du trésor de Saint-Denis est un autre chef-d’œuvre digne d’être évoquée. Elle appartient à l’Egypte du Xe siècle. Le corps de l’objet est en cristal de roche taillé, sculpté et poli et son couvercle, en or décoré de filigrane en forme de vermicelle, y fut rajouté vers la fin du XIe siècle en Italie Méridionale. C’est en effet, une donation de Thibault le Grand, comte de Blois-Champagne, à l’abbaye de Saint-Denis vers 1152 qui fut transportée au musée du Louvre en 1793. Ce cristal particulier fut créé par ordre des califes fatimides, réputés pour leur penchant excessif pour les cristaux de roche. Ce genre de cristal d’une valeur hors du commun, était considéré comme une matière dynastique et suscitait une très grande admiration chez les Fatimides à cause de sa formation naturelle très rare : eau lentement congelée au cours du temps. Les Fatimides possédèrent sept aiguières monolithiques qui forment un ensemble. Elles possèdent toutes une base annulaire et leur panse est piriforme, cernée en haut. Elles sont décorées en relief, notamment par des motifs floraux ou végétaux entourés des formes animalières. Leur anse ajourée est surmontée d’un poucier. On a formulé de nombreuses hypothèses, après la découverte de cette aiguière, toutes dans le but de l’assimiler à la lagena praeclara de Suger, abbé de Saint-Denis, mentionnée dans son œuvre De Administratione. D’après Suger, cette pièce fut procurée par Thibaut en Sicile. Selon Suger encore, Thibaut s’était rendu en Sicile à l’occasion du mariage de sa fille, Elisabeth avec Roger II, roi de Sicile qui régna entre 1130 et 1154 en Italie. On peut en effet remarquer la touche sicilienne sur le bouchon d’or filigrané, art typique de l’Italie du Sud, qui confirme l’hypothèse concernant sa provenance.

Bouteille au blason, Syrie ou Égypte, milieu du XIVe siècle © Musée du Louvre

Seconde section

La deuxième période concerne le XIe siècle jusqu’à la fin de la première moitié du XIIIe siècle, c’est-à-dire la période de rupture et de reconstruction du monde islamique. Deux objets exposés, la tête princière et le lion de Monzon, illustrent bien les évènements historiques de cette période. La tête princière polychrome en stuc façonné, découverte en Iran, dans la ville historique de Rey, représente la fin du XIIe siècle, le début du XIIIe siècle. Elle fut transportée au musée du Louvre en 1999. Elle fait partie des rares vestiges iraniens grâce auxquels on a pu attester une pratique artistique et architecturale à l’époque médiévale en Iran. Elle appartenait en fait à un programme de décors sculptés destinés aux ensembles palatiaux. La sculpture était apparemment d’une taille remarquable et le naturalisme de ses formes était renforcé par la polychromie, très rare à l’époque. Les couleurs très résistantes sont encore décelables sur la chevelure et les sourcils teintés en noir, sur le visage teinté en rouge et par la proximité de la boucle d’oreille coloréé en bleu céleste. Ce visage incarne la beauté idéale, décrite dans la poésie persane du Xe siècle mais aussi dans la poésie arabe des Abbassides. Voilà de quoi illustrer les canons esthétiques féminins de l’époque : un nez court, une bouche mince, des tresses ondulantes, des sourcils arqués et des yeux en forme d’amande. Ces descriptions ne sont pas typiques des iraniens autochtones de l’époque mais plutôt celles des Mongols musulmans qui régnaient à l’époque sur les contrées antérieurement occupées par les Arabes. Richement parées, ce genre de figures de princes et de rois stéréotypés de l’époque fut amplement reproduit. D’autres exemples sont conservés au Louvre et dans différents musées notamment en Iran. Certains d’entre eux sont coiffés de sharbush, espèce de chapeau triangulaire sur le devant et paré de fourrure qui évoque une élite militaro-princière. Cela pourrait représenter un membre de la cour ou une personnalité éminente et intime du gouverneur.

Plat aux daims et aux grues, XVIe siècle, Iran © Musée du Louvre

Le lion de Monzon est une pièce rare et d’une beauté extraordinaire. Il fut façonné en Espagne au cours du XIIe ou du XIIIe siècle. Entièrement en bronze moulé et orné de gravures et de motifs ciselés finement élaborés, cet objet est aujourd’hui l’un des éléments phares du nouveau département du Louvre. Son premier propriétaire fut l’italien Mariano Fortuny y Marsal mais plus tard il revint à E. Piot puis à Louis Stern. Ce fut finalement ce dernier qui le légua au musée du Louvre en 1926. Il fut pour la première fois reconnu grâce aux photographies prises en 1874 et fut également reproduit sur une toile espagnole. A la suite des études publiées en 1865, on se rendit compte de son origine espagnole. Il provient de Mazon de Campos dans la province de Palencia. Ce lion rugissant, qu’on dirait prêt à bondir, était destinée à être fixé à la bouche d’une fontaine. Le creux large de son ventre était probablement conçu pour y faire ajuster une canalisation qui faisait ressortir un large courant d’eau de la gueule de l’animal. Une série d’ornement et d’inscription gravées couvrent les flancs et la croupe du lion dont le plus beau est celui d’un oiseau perché sous une arcade. Il est également décoré de boucles gravées qui représentent le pelage de l’animal. Les archéologues ont fait des rapprochements entre ce lion, un grand griffon placé au sommet du chevet de la cathédrale de Pise vers la première moitié du XIIe siècle et un autre lion passé aux enchères en 1993. L’élément rapprochant était précisément les boucles gravées en forme de pelage sur le bronze. Malgré le manque d’information exact sur le lieu de production de ces trois œuvres, certains chercheurs sont convaincus qu’elles proviennent toutes les trois d’al-Andalus. On peut donc soutenir que ce lion représente l’art de haute qualité de l’Espagne musulmane. Par ailleurs, les formes circulaires, les ondulations et les boucles attestent sans doute techniquement et esthétiquement son origine méditerranéenne médiévale.

Reliure aux scènes de cour, XVIe siècle, Iran © Musée du Louvre

Troisième section

La troisième section évoque la fin du XIIIe siècle jusqu’au XVIe siècle, période ayant donné lieu au second souffle de l’Islam. L’objet le plus fameux de la collection qui représente le mieux cette période historique est un récipient connu sous le nom de Baptistère de Saint Louis. Il est apparemment de provenance syrienne ou peut-être égyptienne et remonte aux débuts du XIVe siècle. Entièrement en alliage de cuivre, il est embelli à coups d’incrustations d’or, d’argent et de pâte noire. C’est effectivement le même baptistère de grand prestige qui servi au baptême du futur Louis XIII et d’autres princes antérieurs à lui. Autour du récipient, des personnages et deux frises d’animaux sont mis en relief. Le fond du bassin incarne la mer décorée par diverses créatures aquatiques. Sur les parois supérieures sont incrustées les scènes de combats sanglants et le souverain en trône possède de grands médaillons. Ce baptistère est parmi les plus rares de son genre qui soit si bien chargé de motifs figuratifs démontrant un travail fin et vigoureux. Il ressemble aux bassins mamlouks avec la seule différence qu’à la place de la calligraphie rayonnante qui occupe habituellement une grande partie de la surface des bassins mamlouks, celui-ci est orné par la figure d’un souverain. Il est également orné par la superposition de fleurs de lys connues comme armoiries de la famille mamlouk.

Farâmarz poursuit le roi de Kaboul, XIVe siècle, Iran © Musée du Louvre

Le "plat à la ronde de poissons" est l’un des plus rares du point de vue décoratif. Il appartient à l’Iran du XIIIe siècle. Il est fait de céramique siliceuse, de peinture dorée et de glaçure opacifiée et colorée. Cet objet précieux fut acheté par le musée du Louvre en 1911. Sa finesse (et donc sa valeur) laisse à penser qu’il s’agissait d’un objet d’apparat. Sur l’inscription en arabe tout autour du plat, sont adressés des vœux de vie éternelle au propriétaire de l’objet : « Gloire perpétuelle, prospérité croissante, victoire triomphante, jugement pénétrant, zèle ascendant, renommée durable, puissance, succès, vie éternelle à son propriétaire ». Ces vœux sont renforcés par le dessin des poissons en pleine ronde qui évoquent thématiquement la source de vie. L’or y est utilisé en abondance. Le fond vert forme le bassin pour les poissons et les pétales de lotus et les rinceaux végétaux sont décorés en or. Le poisson centrique et les quatre médaillons en forme de rosette sur l’aile du plat donnent un caractère singulier à l’œuvre. La bordure rougeâtre, quant à elle, permet de donner du relief aux feuilles et aux poissons dorés. Ce plat est associé à l’époque des Mongols ilkhanides et le fond vert fait penser au céladon chinois. Ceux-ci furent en effet abondamment utilisés dans le monde islamique, au Proche-Orient et notamment en Iran vers la fin du XIIe siècle. [2]

La belle bouteille au blason est un autre bijou presque unique de la collection. De provenance syrienne ou égyptienne du milieu du XIVe siècle, ce fin verre soufflé, doré et décoré en émail, faisait partie de l’ancienne collection Spitzer dans les années 1893. Son long col révèle l’une des techniques les plus spectaculaires et courantes en Orient. Cette technique particulière fut en usage en Syrie au XIIe siècle et atteignit son point culminant dans le territoire mamelouk au XIII et XIVe siècles. La finesse et le secret mystérieux de cette technique est caché dans le col de l’objet qui devrait même dépasser 50 centimètres. Celle-ci est la plus grande des bouteilles connues de ce genre. D’après son blason doté d’une inscription complexe, le propriétaire de cette œuvre était au service de deux sultans successifs, à savoir le sultan al-Kâmil Sha’bân Ier qui régna entre 1345 et 1345 et le sultan al-Nasir Hassan monté deux fois sur le trône entre 1347 et 1351 et entre 1354 et 1361. Une vingtaine de pièces similaires actuellement conservées au Louvre, ressemblent particulièrement à cet objet avec la seule différence qu’ils jouissent d’une touche légèrement chinoise. L’objet de décoration, cette bouteille, servait également à décanter le vin lors des fêtes et des cérémonies des souverains mamlouks.

Portrait du souverain safavide Shâh Abbâs Ier, XVIIe siècle, Iran © Musée du Louvre

On peut également admirer une page d’anthologie poétique intitulée : Humay rencontre en rêve la princesse Humayun, est une peinture dite persane, d’origine afghane, plus précisément d’Herat datant des années 1430. C’est au XIVe siècle que la peinture typiquement persane atteint son sommet de maturation et les artistes élaborent des expressions littéraires et culturelles purement persanes d’une finesse exceptionnelle. Cet héritage artistique fut également très cher aux Safavides et servit au soubassement révolutionnaire de l’art safavide.

La scène est très gaie. Deux ruisseaux qui coulent au milieu des arbustes et des gerbes fleuries au sein d’un jardin clos mettent en scène une image typiquement persane. Cette scène est certainement tirée du roman en vers du poète persan, Khâwjou Kermâni, qui vivait entre 1289 et 1352, et expose l’amour qu’éprouve la princesse Homâyun, fille de l’empereur de Chine pour le prince de Syrie, Homây. Celui-ci s’éprend de la princesse dont il n’a pu voir que le portrait. Cet univers constitue l’un des thèmes principaux de la poésie persane. L’histoire commence par un rêve. Le prince rêve d’un jardin paradisiaque où il rencontre la bien-aimée. Celui-ci révèle son amour pour la jeune fille au seuil du jardin en plaçant ses mains sur son cœur. Malgré l’ardeur de l’histoire, les illustrations et les figures représentées sont paisibles. La conversation est écrite en nasta’liq, ou calligraphie persane, en haut de la page. Les encadrements rectangulaires tout autour de la page se réfèrent aux épisodes antérieurs ou postérieurs et créent ainsi une trame narrative. Ce genre d’anthologie composée fut en vogue à Herat vers 1430 sous les Timourides. Ainsi l’ensemble de dessins et de textes créait un album agréable aux yeux et facile à comprendre.

Quatrième partie

La quatrième partie expose des œuvres datant du XVIe au XIXe siècles, période appartenant aux trois empires modernes de l’Islam. L’un des objets caractéristiques de cette époque s’appelle le plat au paon, un plat unique qui attire l’attention du visiteur au premier regard. Il est d’origine turque et provient d’Iznik des années 1550. Décoré et peint sous glaçure, c’est l’un des chefs-d’œuvre de la céramique siliceuse ottomane. Il fut légué au musée du Louvre par M. et Mme Raymond Koechlin en 1932. Au milieu du plat, le paon est mis en relief par la végétation colorée d’une teinte bleutée. L’ensemble des motifs donne une impression d’opulence et de profondeur. L’ensemble pictural est rehaussé sur un genre de céramique particulière, très solide et durable, propre à l’art ottoman des années 1530 à 1555. La scène végétale construit l’habitat du paon, un univers composé de fleurs simples, de longues feuilles courbes et dentelées qui réveillent l’imagination. La peinture et la céramique font partie d’un courant artistique propre au répertoire ornemental appelé saz dans l’art ottoman. Ce mot jouit d’un sens proche de l’image peinte du plat. Saz désigne en effet, dans la langue native des Turcs, une forêt dense et mystérieuse et pleine de créatures fabuleuses. Ce monde enchanté est également décelable sur le plat par les végétaux entrelacés et la disproportion dominante entre les éléments. La pratique de ce genre de peinture n’était pas limitée aux plats : tous les supports pouvaient être utilisés, mais le choix de la céramique n’est pas sans raison. Grâce à sa texture spéciale, cette dernière met en effet en valeur les contrastes parce qu’elle reflète et conserve bien les couleurs en les protégeant au cours du temps. Cela est digne d’un oiseau comme le paon qui reste le symbole incontestable de la beauté.

Plat bleu azur, XVIIe siècle, Iran © Musée du Louvre

"Le plat aux daims et aux grues", fabriqué vers 1550 à Ispahan en Iran, est représentatif de l’artisanat iranien du XVIe siècle. Faite de pâte siliceuse et décorée de peinture blanche et bleue sous glaçure incolore, cette œuvre est une imitation des porcelaines chinoises. C’est une représentation figurative peu fréquente de l’époque safavide. Elle représente des modèles chinois de la période Wan Li entre 1573 et 1618 en Chine. Le daim et la grue, figures principales du dessin, symbolisent le bonheur et le printemps dans la culture chinoise. L’œuvre est un mélange de motifs issus des Kraak-porselein chinoises en vogue au XVIe siècle et de porcelaines dites traditionnelles de la fin du XVIe siècle. Cela laisse à supposer que les potiers iraniens connaissaient bien les techniques chinoises de l’époque. Le lieu de provenance du plat est gravé au revers de l’œuvre qui montre Qumisha, une petite ville près d’Ispahan. [3]

"La reliure aux scènes de cour" est un exemplaire des reliures à décor vernis très en vogue au cours du XVIe siècle. On y trouve de véritables peintures et des scènes finement travaillées. Cette reliure très particulière est née vers 1560 en Iran, plus précisément dans le Khorâsan. Elle est fabriquée en carton, cuir, pigments et or sous vernis. On y découvre deux scènes associées malgré leur différence apparente. D’un côté une scène de chasse mouvementée, de l’autre, l’image d’un jardin paisible au sein duquel une belle cour est peinte. Ce genre de mariage thématique qui associe guerre et paix, est typiquement iranien. On en retrouve de nombreux exemples dans les poncifs de la littérature persane. Dans ce genre d’objet, le cyprès et l’églantier sont des figures indispensables faisant partie de la scène principale, et qui avoisinent toujours deux amants. La scène du lion pris dans les roseaux est un autre thème amplement peint dans les manuscrits puisque la victoire de la nature contre l’animal est un symbole du pouvoir royal, d’autant plus que dans cette scène, c’est le roi qui donne le coup mortel à l’animal piégé. [4]

Chandelier en métal, Iran © Musée du Louvre

"Le panneau à scène de jardin" provient probablement d’un pavillon royal d’Ispahan. Les murs de ce pavillon devaient être richement décorés par de grands panneaux en céramique dont l’ensemble devait former un cycle décoratif ou raconter une histoire princière. Le panneau présent dans la nouvelle collection fut fabriqué en Iran, à Ispahan au milieu du XVIIe siècle. Parmi les principales matières utilisées dans la constitution de l’objet, les plus importantes sont la pâte siliceuse et les glaçures colorées. La technique utilisée dans ce genre de peinture est dite de "la ligne noire". Dans cette technique, un trait sombre sépare les glaçures en couleur. On remarque quatre jeunes personnes dans un jardin dont deux préparent une joute poétique. Une servante apporte de la nourriture et une personne debout à gauche observe la scène. D’autres panneaux similaires sont conservés au Metropolitan Museum of Art à New York, au musée Victoria et à l’Albert Museum. Il semble qu’ils proviennent du même pavillon. Celui-ci fut construit sous le règne de Shâh Abbâs Ier, roi de Perse entre 1588 et 1629 et fut agrandi plus tard par ses successeurs. Ce n’est pas un seul pavillon, mais un ensemble de petits palais bâtis au sein d’un vaste jardin. Selon certaines suppositions, ce panneau exceptionnel appartiendrait à Tchehel Sotoun (pavillon aux quarante colonnes) construit en 1647, qui est incontestablement l’un des plus grands et des plus beaux pavillons ispahanais. Les panneaux conservés dans ce pavillon ont été exécutés exactement dans le même style et les emplacements vides au bas des murs présentent les mêmes découpes que celui-ci. [5]

"Farâmarz poursuivant le roi de Kaboul" est en fait la page d’un manuscrit illustré du Shâhnâmeh ou " Livre des Roi", le livre phare de la tradition persane composé par Ferdowsi. Il fut exécuté en Iran, à Tabriz vers l’an 1330 et doit sa valeur tant à sa finesse artistique qu’aux matières utilisées pour sa réalisation, la gouache et l’or. L’épisode illustré dans cette page, évoque la scène de vengeance de Farâmarz, fils de Rostam. Ce dernier étant mort au combat qu’il mena contre le roi de Kaboul, son fils décide de poursuivre à cheval l’armée afghane tandis que les soldats essaient de retarder leurs adversaires à coups de flèches. Cette scène, réalisée à la cour de l’ilkhân Abou Sa’id au début du XIVe siècle, avait une valeur double, à la fois calligraphique et miniaturée. La qualité de la peinture et le format exceptionnel du manuscrit, laisse supposer qu’il appartenait à la collection réalisée pour Rashid al-Din, le célèbre vizir et historien de la cour. Le Livre des Rois de Ferdowsi reconnait la légitimité de l’aristocratie iranienne ainsi que la loyauté, la bravoure, la fidélité et l’habileté. Voilà pourquoi il était toujours le bienvenu à la cour des rois perses, et même à celle des Mongols ilkhanides qui descendaient directement de Gengis Khan. La scène du manuscrit souligne l’impression de progression inexorable de l’armée de Farâmarz. Les guerriers semblent être rangés en trois lignes obliques et leurs cheveux semblent voler dans l’air. La défaite est définitive car la première ligne, celle des fuyards est bien dégarnie et des cadavres de l’armée vaincue sont foulés aux pieds par les chevaux des cavaliers de Farâmarz. Cette œuvre fut léguée par Georges Marteau en 1916 qui l’avait acheté vers 1910 à Paris à l’antiquaire Georges Demotte. [6]

Poignard à manche en tête de cheval, Inde, XVIIe siècle © Musée du Louvre

Le beau plat bleu azur de l’actuelle collection au décor graphique saisissant provient de la ville de Kermân en Iran qui était sans doute le centre de l’artisanat de céramique de l’époque safavide. Il fut réalisé en 1650 en pâte siliceuse, décor champlevé sous couverte cobalt et glaçure incolore. Le motif intérieur est une sorte de rosace en six palmettes eslimi, reliées à l’aide de fins rinceaux floraux. Ce genre de palmettes était fréquent dans l’art du livre, en particulier dans les enluminures iraniennes du XVe siècle. Le blanc des palmettes se détache sur le fond bleu azur uniforme. Ce contraste est obtenu par une technique particulière qui consiste à mettre un engobe épais sur l’objet en question et ensuite champlever le décor en enlevant l’engobe là où l’on souhaite, d’après le dessin. L’œuvre est complétée par une glaçure transparente qui recouvre l’objet entier. Voilà comment on arrivait à obtenir de telles merveilles. [7]

Une autre merveille du monde iranien, exposée parmi d’autres œuvres de la collection, est un décor formé d’une mosaïque de fragments de céramique qui appartient au XVIIe siècle. Cette technique de la mosaïque en céramique, symbole de richesse, était très répandue depuis le XIIIe siècle et perdura des siècles durant dans les bâtiments royaux. Dans les deux côtés du décor, on constate deux motifs de paon amplement utilisé dans l’art et la littérature iraniens puisque ce bel oiseau évoque la royauté et la prospérité. A l’époque safavide, cette figure était si appréciée qu’on la retrouvait à foison non seulement dans les pavillons de luxe, mais aussi dans les bâtiments religieux. Un autre panneau tout à fait identique se trouve intégré au portail de la mosquée de Shâh Abbâs à Ispahan daté de 1616. D’autres panneaux semblables sont visibles sur certains bâtiments postérieurs à celui-ci, vers 1666, c’est-à-dire sous le règne de Shâh Abbâs II, à savoir sur la grande mosquée de Kermân ou l’ancien portail du sanctuaire d’Ardabil. La présence récurrente du paon sous les Safavides n’était pas fortuite puisque ceux-ci appartenaient à une confrérie mystique où le paon, considéré comme oiseau de paradis et symbole de la beauté céleste, avait une connotation clairement religieuse. La présence du paon à l’entrée des bâtiments était donc un moyen pour accéder à cette beauté divine. Ce beau décor fut légué au musée du Louvre par Mme Pierre Chadourne en mémoire de son mari en 1995. [8]

L’un des derniers portraits du souverain safavide Shâh Abbâs Ier est également exposé dans le musée. Ce dessin romantique réalisé tout en finesse montre le roi safavide, installé à l’ombre d’un arbre, recevant une coupe de vin servi par un jeune échanson pour qui il semble manifester une tendre inclination. Ce dessin fut probablement dessiné à l’occasion d’une fête, probablement celle de Norouz, nouvel an iranien qui a lieu le 21 mars de chaque année. Il s’agit là de la fête de l’année 1627 et l’œuvre fut dessinée à Ispahan, capitale des Safavides. Réalisé sur support papier, ce dessin à l’encre est rehaussé de couleurs majoritairement bleue et marron. Shâh Abbâs Ier fut sans doute le roi le mieux aimé et le plus célèbre de l’ère safavide. Ce roi réformateur monta sur le trône en 1588, vainquit les Ottomans et les Ouzbeks, et établit des relations bénéfiques entre l’Iran et l’Europe. Sa mort survint deux ans après la réalisation de ce dessin, c’est-à-dire en 1629. Il y porte le bonnet caucasien en souvenir de sa victoire en Caucasie et ses vêtements ainsi que ceux de son échanson évoquent la qualité et la finesse des étoffes persanes. Dans les récits de voyages, on remarque à plusieurs reprises son goût pour la fête, le vin et les échansons. La scène pourrait néanmoins également être interprétée comme une scène symbolique ou mystique où le sâghi (l’échanson) sert le vin mystique au roi. Cette deuxième interprétation est récurrente dans la littérature persane où les objets terrestres symbolisent le monde spirituel. Ce dessin porte une signature, celle de Mohammad Ghassem Mossavver. Né à Tabriz vers 1575 et mort en 1659, c’est l’un des principaux artistes de l’école d’Ispahan. Malgré son style assez original, on trouve dans son œuvre des éléments qui le rapprochent de Rezâ Abbâsi qui dirigeait l’atelier royal de l’époque. Les informations manquent sur le comment du transport de l’objet en Europe mais l’on sait que l’œuvre fut acquise par le musée du Louvre en 1975. [9]

Le chandelier exposé au musée représente un véritable tour de force. C’est un chef-d’œuvre de l’art du métal. Fabriqué dans une seule feuille métallique circulaire, son exécution a dû demander une finesse et un savoir-faire artistique de haute qualité. La feuille métallique utilisée est très mince et n’a pas de fond, ce qui explique sa légèreté. La technique utilisée pour faire ce genre de relief " la technique repoussée" consiste à former l’extérieur par les coups de l’intérieur creux afin d’obtenir des reliefs visibles. Cette technique sophistiquée exige également une bonne connaissance de la résistance du métal. Un autre chandelier, conservé au musée d’art islamique du Caire est à peu près identique à celui-ci, ce qui laisse supposer qu’ils forment en vérité une paire. Quelques inscriptions y ont été ajoutées au XVIIe siècle par le possesseur arménien qui l’offrit à son église. Les anciennes inscriptions sont des vœux en arabe gravées sur la partie supérieure de la paroi du chandelier. [10]

L’Inde de la période islamique est également présente au musée du Louvre. Le poignard à manche en tête de cheval, souvenir du XVIIe siècle, est un joyau indien d’une finesse exceptionnelle en jade, rubis, émeraude, or et enjolivé par l’acier damassé et la damasquine d’or. Il fut offert au musée du Louvre par la baronne Salomon de Rothschid en 1922. Il doit sa particularité à la tête de cheval. Les figures animalières furent très en vogue sous les Mongols et ce fait atteste leur attention au monde animal. Ce genre de travail esthétique appartient au règne d’Akbar, qui gouverna entre 1556 et 1605. Le peintre portraitiste animalier de la cour de l’époque était un dénommé Mansour renommé pour ses œuvres éloquentes, notamment celle qui est exposée au Louvre. Le choix des pierres précieuses suit également une logique fortement respectée, par exemple le jade de la manche garantissait la victoire. Ce n’est qu’à partir du règne de Jahânguir (entre 1605 et 1627) que les poignards furent dotés de manches prestigieux et luxueux, parfaitement lisses, notamment en jade, en cristal de roche et en ivoire. Pour les lapidaires, le jade était une pierre dure à sculpter et dont la finition parfaite montrait leur expertise dans la matière. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, les lapidaires indiens atteignirent un degré d’excellence dans le façonnage des pierres précieuses. Superbe et techniquement impeccable, ce poignard aurait dû être destiné à un personnage de haut rang dans la cour. Pourtant, cette personne n’aurait pas pu faire partie de la famille royale car aucun nom n’est gravé sur le manche. Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui le représentant de l’art islamique indien et occupe une place importante parmi les objets conservés dans le nouveau département du Louvre.

Comme on vient de le constater, une grande partie des œuvres de la collection appartient à l’Iran musulman. Cela montre l’impact et le poids de ce pays dans le monde artistique et politique de l’Islam. Dans la quatrième partie de la collection qui concerne la période entre le XVIe et le XIXe siècle, l’opulence et la qualité des chefs-d’œuvre iraniens sont pour le moins remarquables. Cela prouve, comme on l’a mentionné dans le texte, l’imposante présence de l’Iran notamment sous les Safavides, et dans le monde entier. Il faut finalement ajouter que l’art iranien a toujours fasciné et continue encore à séduire le monde occidental par sa finesse et sa souplesse thématique et figurative.

Bibliographie :
- Boivin, Michel, Histoire de l’Inde, Presses universitaires de France, coll. Que sais-je (n° 489), 2005.
- Challand, Gérard, Guerres et civilisations, éd. Odile Jacob, 2005, Paris, pp. 297-299.
- Clot, André, L’Espagne musulmane : VIIIe- XVe siècle, Perrin, Paris, 1999, p. 429.
- Djaït, Hichem, La fondation du Maghreb islamique, éd. Amal, Sfax, 2004.
- Fellinger G., « Reliure aux scènes de cour », in Makariou S. (dir.), Les Arts de l’Islam au musée du Louvre, Paris, 2012.
- Fellinger G., « Une scène au jardin et les pavillons royaux d’Ispahan », in Makariou S. (dir.), Les Arts de l’Islam au musée du Louvre, Paris, 2012.
- Makariou S. (dir.), Les Arts de l’Islam au musée du Louvre, coéd. musée du Louvre éditions/Hazan, Paris, 2012.
- Mohl, Jules, Le Livre des Rois par Abou’l Kasim Firdousi, publié, traduit et commenté, vol. I-VII, Paris 1838-1878 (réimpr., Paris, 1976).
- Turchin, Peter ; M. Adams, Jonathan ; D. Hall, Thomas : East-West Orientation of Historical Empires and Modern States. In : Journal of World-Systems Research, Vol. XII, No. II, 2006, pp. 218-239.
- Tchelebi, Evliya, La Guerre des Turcs, Sindbad, Actes Sud, 2000.

Notes

[1Enlart C., « Un tissu persan du Xe siècle », Monuments et mémoires, fondation Eugène Piot, XXIV, 1920, p. 129-148.

Bernus-Taylor M., Marchal H. et Vial G., « Dossier de Recensement [suaire de Saint-Josse] », Bulletin du CIETA, n° 33, 1971, p. 22-55 ; n° 97, 1989, p. 123-124 ; Bernus-Taylor M. (dir.), Arabesques et jardins de paradis, collections françaises d’art islamique, Cat. exp. Paris, Musée du Louvre, 1989-1990, p. 124.

[2Miroudot D., « Plat à la ronde de poissons », in Les Arts de l’Islam au musée du Louvre, Makariou S. (dir.), Paris, 2012, p. 279-280 ; Komaroff L. et Carboni S. (dir.), The legacy of Genghis Khan : Courtly Art and Culture in Western Asia, 1256-1353, Cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 2002-2003, fig. 239. p. 200, 271. n° 130 ; Bernus-Taylor M. (dir.), Arabesques et jardins de paradis : collections françaises d’art islamique, Cat. exp., Paris, musée du Louvre, 1989 - 1990, p. 114, n° 87.

[3Makariou S. (dir.), Maury C. (dir.), Three empires of Islam, Istanbul, Isfahan, Dehli, masterpieces of the Louvre collection, Cat. exp. Istanbul, Musée Sakip Sabanci, 2008, n° 108, p. 235 ; Bernus-Taylor M. (dir.), Arabesques et jardins de paradis, Cat. exp. Paris, musée du Louvre, n° 292, 1989 ; Roux Jean-Paul (dir.), L’Islam dans les collections nationales, Cat. exp. Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 1977, n° 619, p. 260-261 ; L’Orient des Provençaux, Orient réel et mythique, Cat. exp. Marseille, Musée Borély, 1982-1983, n° 71, p. 52.

[4Makariou S. (dir.), Maury C. (dir.), Three empires of Islami, Istanbul, Isfahan, Dehli, masterpieces of the Louvre collection, Cat. exp. Istanbul, 2008, n° 60, p. 166.

[5Makariou S. (dir.), Maury C. (dir.), Three empires of Islam, Istanbul, Isfahan, Dehli, masterpieces of the Louvre collection, Cat. exp. Istanbul, Musée Sakip Sabanci, 2008, n° 97, p. 221-222 ; Melikian-Chirvani A.S., Le chant du monde, exposition, Paris, Musée du Louvre, 2007, n° 109, p. 342-343 ; Roux Jean-Paul (dir.), L’Islam dans les collections nationales, Cat. exp. Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 1977, p. 259 ; G. Migeon, L’Orient musulman, vol. II, Paris, 1922, n° 174, p. 37.

[6Splendeurs persanes, manuscrits du XIIe au XVIIe siècle, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1997, n° 14, p. 45.

[7Makariou S. (dir.), Maury C. (dir.), Three empires of Islam, Istanbul, Isfahan, Dehli, masterpieces of the Louvre collection, Cat. exp. Istanbul, Musée Sakip Sabanci, 2008, n° 111, p. 238.

[8Makariou S. (dir.), Maury C. (dir.), Three empires of Islami, Istanbul, Isfahan, Dehli, masterpieces of the Louvre collection, Cat. exp. Istanbul, musée Sakip Sabanci, 2008, n° 118, p. 247 ; Makariou S. (dir.), Arts de l’Islam, nouvelles acquisitions 1988-2001, Paris, 2002, n° 60, p. 99.

[9Soustiel, J., Objets d’art de l’Islam, T. 2, Paris, 1974, n° 4, p. 26 ; L’Islam dans les collections nationales, Paris, 1977, n° 249, p. 133 ; Adamova, A., "On the Attribution of Persian Paintings and Drawings of the Time of Shah Abbas I", Persian Painting from the Mongols to the Qajars, Éditions R. Hillenbrand, Londres, 2000, pp. 22-23 et 37 ; Istchoukine, I., Les Peintures des manuscrits de Shâh Abbâs à la fin des Safavîs, Paris, 1964, pp. 53-56, pp. 171-173 et suivantes ; Persian and Mughal Art, Londres, Colnaghi, 1976, n° 52 pp. 75-76 ; Welch, A., "Wordly and Otherwordly Love in Safavi Painting", Persian Painting from the Mongols to the Qajars, Éditions R. Hillenbrand, Londres, 2000, p. 303 et p. 309.

[10Bernus-Taylor M. (dir.), Jail C. (dir.), L’étrange et le merveilleux en terres d’Islam, Cat. exp. Paris, Musée du Louvre, 2001, no 7, p. 23 ; Arts de l’Islam des origines à 1700 dans les collections publiques françaises, Cat. exp. Paris, Orangerie des Tuileries, 1971, no 131, p. 97 ; Migeon G., L’Orient musulman, vol. 1, Sculpture, bois sculptés, ivoires, bronzes, armes, cuivres, tapis et tissus, miniatures, Paris, A. Morancé, 1922, no 69, p. 21.


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