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Sadeh (qui veut dire littéralement "centaine" en persan) est la fête de l’apparition du feu, une centaine de jours après la fin de l’été ou une centaine de jours avant le début du printemps, selon la légende. La fête de Sadeh est une fête aussi ancienne que Norouz ou Mehregân. Elle était la plus grande fête du feu de l’antiquité iranienne et également l’une des plus grandes solennités des Perses. A ce titre, elle était célébrée avec magnificence et par des cérémonies publiques. Lorsqu’arrivait le soir de la fête, au dixième jour du mois de Bahman (onzième mois du calendrier persan), sur toute l’étendue du vaste territoire de la Perse antique, la population en liesse célébrait la fête en allumant des feux sur les collines et sur les toits. Les gens se rassemblaient autour des feux et priaient ensemble pour le retour de la saison chaude. Venait ensuite le moment des spectacles, des jeux et des chants d’allégresse autour des feux.
L’histoire de la fête de Sadeh remonte à la plus haute Antiquité. Dès l’origine, Sadeh fut une festivité populaire puisant ses sources dans l’observation par l’homme des changements cycliques des conditions climatiques pendant une année, durée conventionnelle voisine de celle d’une révolution complète de la Terre autour du Soleil. Initialement, la fête de Sadeh n’avait donc aucune origine ethnique ou religieuse : elle était une festivité populaire appartenant à tout le monde, animée du souffle d’un sentiment "cosmique" dans le sens philosophique du terme : sentiment d’appartenir à l’univers considéré comme un système bien ordonné. La fête de Sadeh était célébrée en des temps immémoriaux, et ses sources remontent à une époque si ancienne qu’elle s’est effacée de la mémoire collective. Cette ancienneté est, en réalité, la raison principale de l’hétérogénéité des récits et des légendes que relatent les documents anciens sur les origines de Sadeh, documents qui ne manquent pas d’ailleurs de se contredire parfois concernant la date de l’apparition de la fête de Sadeh.
Dans la mythologie iranienne, la légende attribue l’instauration de la fête de Sadeh au roi Houchang. Dans son "Livre des rois", le poète épique iranien Ferdowsî dépeint la scène de la découverte du feu par l’homme : un jour, le roi Houchang et son cortège suivaient leur chemin au pied de la montagne. Le roi vit un grand serpent noir sur un rocher. Il descendit de cheval, prit une petite pierre et la lança vers le serpent qui avait effrayé les chevaux. La pierre ne toucha pas le serpent, mais le caillou qu’avait lancé le roi Houchang était une pierre à feu, et heurta brusquement une autre pierre à fusil sur le rocher. Le contact brusque des deux petits morceaux de pierre fit jaillir des étincelles. Le serpent prit la fuite, mais les étincelles qui jaillissaient de la pierre mirent le feu à un petit arbrisseau. Le roi Houchang se prosterna devant Dieu et le remercia pour lui avoir appris comment faire du feu. Le dixième jour du mois de Bahman, nous dit Ferdowsî, est devenu ainsi la fête du feu, car l’homme est le seul être qui fasse du feu, ce qui lui a donné l’empire du monde.
Abû Raihân al-Bîrûnî (973-1048), savant, philosophe, voyageur et historien, a relaté dans Les signes restants des siècles passés (الآثار الباقیة عن القرون الخالیة) et son Comprendre la science de l’astronomie (التفهیم لصناعة التنجیم), que est le roi Fereydoun qui a donné l’ordre, pour la première fois, d’allumer des feux sur les toits. Dans son ouvrage consacré à l’astronomie, Omar Khayyâm (1048-1131) a écrit : "Fereydoun instaura la fête de Sadeh le jour où il vainquit Zahak. Le peuple émancipé de l’oppression de Zahak célébra la fête. Dès lors, les Iraniens et les habitants des pays voisins célèbrent chaque année cette fête pour commémorer les bons rois des époques lointaines."
Les Perses célébraient la fête de Sadeh, une centaine de jours après le début de la saison froide. Ils croyaient que cent jours après le début de la saison froide, l’hiver commençait peu à peu à s’affaiblir. Pour eux, l’hiver était un symbole de stagnation et de chaos, œuvres du diable (Ahriman). Les gens se réunissaient donc dans la plaine, à l’extérieur de leurs villes et villages, pour faire un grand feu au crépuscule. Selon les Perses anciens, le feu était un rayon de la lumière divine et luttait contre le froid. La tradition de faire un grand feu pour la fête de Sadeh s’est institutionnalisée, pour la première fois, à l’époque de la dynastie des Sassanides.
Dans le calendrier ancien des Perses, la fête de Sadeh était célébrée cent jours après le début de la saison froide, et quarante jours après le début de l’hiver. Selon les croyances populaires qui puisent leurs racines dans les légendes mythologiques, au quarantième jour de l’hiver, la terre qui s’est endormie depuis le début de la saison froide, reprend souffle et arrive enfin à respirer. La fête a été appelée "Sadeh" (qui veut dire littéralement "centaine" en persan) car cinquante jours et cinquante nuits après cette fête, commence le printemps.
Selon certains autres récits sur l’origine de la fête de Sadeh, la fête a été appelée ainsi car, dans l’ancien calendrier des Perses, il n’y avait que deux saisons : un été de 210 jours et un hiver de 150 jours. La fête de Sadeh comptait d’une part le centième jour de l’hiver, elle arrivait une centaine de jours avant que ne poussent les céréales, vers le mois de mai (Ordibehesht).
En 226 de notre ère, un grand seigneur perse, Ardeshîr Ier, se rebella contre les Parthes, les battit à la bataille d’Ormuz (en 224 ap. J.-C.) et fonda une nouvelle dynastie perse, les Sassanides. Il fit du zoroastrisme la religion officielle de la Perse. Selon Abu Reyhan al-Birûnî, c’est Ardeshîr Ier qui fit de la fête de Sadeh une fête solennelle. Dans son ouvrage, il relate que cette fête était appelée "Sadeh" (centaine), car le jour de la fête se situait, dans le calendrier ancien, cinquante jours et cinquante nuits avant le début du printemps. Selon des légendes plus anciennes, la fête de Sadeh était le jour où le nombre des enfants du roi Kiyoumars (premier homme et père de la race humaine dans la mythologie perse) était arrivé à cent, et ce jour-là, ils choisirent l’un d’entre eux comme roi.
Le chercheur contemporain, Mehrdâd Bahâr présente une autre théorie pour expliquer l’étymologie du mot "Sadeh" : Selon lui, dans le persan ancien, le mot "Sadeh" voulait dire "apparition", et il était célébré quarante jours après la fête de Yaldâ, la nuit qui précède le premier jour de l’hiver dans l’hémisphère nord, considéré comme jour anniversaire de la naissance du Soleil. Mehrdâd Bahâr écrit : "La fête de Sadeh était célébrée quarante jours après le début de l’hiver. Le même jour, il existait une autre fête avec une origine différente : une fête du feu puisant ses racines dans le mithraïsme, culte de Mithra, dieu de la lumière et de la sagesse dans la Perse antique, qui est devenu plus tard l’une des religions principales de l’Empire romain et le rival du christianisme dans le monde romain. Si la fête de Yaldâ célébrait la naissance du Soleil, la fête de Sadeh était la fête du quarantième jour de sa naissance, comme il est de coutume chez les Iraniens, depuis des temps immémoriaux, de célébrer le quarantième jour d’un événement important." Dans sa recherche étymologique, Mehrdâd Bahâr rappelle que dans l’Avesta, les écritures sacrées zoroastriennes des anciens Perses, le mot "Sadheh" (سذه) a été utilisé à la fois comme "aube" et "crépuscule". Selon les légendes avestiques, il y a cinq mille ans, un événement astronomique se produisit et il devint l’origine de la fête de Sadeh : deux grands astres connus des gens de l’époque apparurent en même temps dans le ciel, l’un en ascension droite, l’autre en déclinaison finale. L’apparition et la disparition de ces deux astres en même temps, créèrent l’idée de la "dualité", notion chère dans l’esprit et les croyances mythiques des Perses d’où, selon Mehrdâd Bahâr les deux significations contradictoires et dualistes du mot Sadeh ou Sadheh dans les textes avestiques.
De nos jours, la fête de Sadeh est célébrée uniquement dans les temples zoroastriens. Cependant, malgré les grands efforts des zoroastriens pour protéger les cérémonies de la fête de Sadeh, une grande partie des us et des coutumes de cette fête ancienne a disparu avec le temps.
Dans les temps anciens, la cérémonie festive la plus importante de Sadeh était d’allumer un grand feu. La somptuosité de la fête dépendait fondamentalement du feu allumé le dixième jour et le onzième soir du mois de Bahman. Les rois et les grands seigneurs faisaient préparer un très grand feu de bois de tamarix (Gaz), arbuste originaire des pays d’orient. Le feu était parfois si grand que l’on pouvait le voir de très loin. Le célèbre historien de l’époque de la dynastie des Ghaznavides au XIe siècle Beyhaghî relate dans l’un de ses ouvrages que le sultan Massoud de Ghaznî avait fait préparer un très grand feu en l’an 426 de l’Hégire pour la fête de Sadeh, feu dont la lumière était visible, dans la nuit, à une distance d’une dizaine de lieues (environ 40 km). Les grands feux de Sadeh étaient souvent allumés à l’extérieur des villages, dans les plaines, sur les collines ou sur les montagnes. Mais la fête de Sadeh n’était pas seulement une fête royale, car les petites gens aussi la célébraient avec magnificence. Hommes, femmes et enfants sautaient par dessus les feux et chantaient des chants d’allégresse. Aujourd’hui, les zoroastriens célèbrent majestueusement la fête de Sadeh. Ce sont les mages qui allument les premiers feux. Tenant une petite torche à la main, le mage prie et tourne trois fois autour du bois ; il allume ensuite le feu avec sa torche. Les cérémonies, les chants et les jeux s’organisent autour du feu, dans une ambiance de joie et d’allégresse.
La fête de Sadeh était célébrée autrefois dans une vaste étendue géographique, de l’Anatolie, région de l’ouest de l’Asie qui désignait dans l’Antiquité l’Asie Mineure (qui recouvre aujourd’hui l’ensemble de la Turquie d’Asie) à Sin-Kiang, province occidentale de la Chine, en passant par l’ensemble du monde iranien. Les documents historiques témoignent que dans cette vaste partie du monde, la fête de Sadeh était connue des habitants de races, de cultures et de religions différentes, tout comme la fête de Norouz marquant le début du printemps. Aujourd’hui, la fête de Sadeh est propre surtout aux milieux ruraux : les habitants des régions du nord-ouest de la région iranienne du Khorasan, certains groupes ethniques en Afghanistan, en Asie centrale, au Kurdistan iranien, irakien et turc, les habitants des villages du plateau central de l’Iran et les tribus nomades des provinces iraniennes du Lorestan, de Kerman et d’Azerbaïdjan célèbrent encore la fête de Sadeh.
Avant la période sassanide :
Comme nous l’avons déjà évoqué, Ferdowsî attribue l’apparition de la fête de Sadeh au roi légendaire Houchang, tandis que pour Abû Raihân al-Bîrûnî et Omar Khayyâm, l’histoire de l’apparition de cette fête remonte au grand roi de la mythologie perse Fereydoun. Les auteurs anciens sont plus ou moins unanimes pour dire que c’est à partir du règne d’Ardeshîr Ier, fondateur de la dynastie sassanide, que la fête de Sadeh fut considérée comme une fête générale dans le calendrier royal.
Pendant la période islamique :
Les grands auteurs de la période islamique tels que al-Bîrûnî, Beyhaghî, Gardizî, ou encore Mekouyeh ont décrit les évolutions des cérémonies de célébration de la fête de Sadeh depuis la dynastie des Ghaznavides (XIe siècle) jusqu’à l’invasion mongole de Gengis Khan et de Tamerlan (XIIe et XIVe siècles). La plupart des documents historiques de cette période décrivent les cérémonies de la fête de Sadeh à la cour des rois perses et des sultans d’origine turque, sans nous donner cependant beaucoup de détails quant à la manière dont le peuple la célébrait.
A l’époque contemporaine :
Dans les régions telles que le Mazandaran, le Lorestan ou le Sistan et le Baloutchistan, les paysans, les éleveurs ou les tribus nomades choisissent un jour de l’hiver, plutôt vers le début ou vers la fin, pour allumer des feux au coucher du soleil, sur le toit d’une maison, au pied de la montagne, près d’un lieu de culte, ou encore près d’une prairie ou d’un champ, sans connaître pour autant la fête de Sadeh, son histoire ou ses cérémonies.
A Kermân, ville du sud-est de l’Iran, chef-lieu de la province du même nom, la population, toutes religions confondues (musulmans, zoroastriens, juifs, …) organise chaque année des cérémonies spéciales le dixième jour du mois de Bahman pour célébrer la fête de Sadeh. Les éleveurs nomades de la province de Kermân, ceux qui vivent aux alentours de Bâft et Sirdjan, allument des feux avec quarante bois, symbole du quarantième jour de l’hiver, au coucher du soleil. Les paysans de la même région allument leurs feux sur la place centrale de leur village, et ils chantent ensemble :
(سده سده دهقانی / چهل کنده سوزانی / هنوز گویی زمستانی)
Sadeh, Sadeh des paysans,
Nous allumons quarante bouts de bois,
Comme si l’hiver allait durer encore très longtemps.
D’après les documents et les ouvrages historiques, la fête de Sadeh est demeurée dépourvue de dimension religieuse, d’autant plus que les légendes et les mythes liés à cette fête ancienne ont tous un aspect profane. Cet héritage culturel appartient donc non seulement aux zoroastriens, mais à tous les Iraniens, héritage que partage également une grande partie des populations des pays voisins de l’Iran.