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Shiraz, encore, ce troisième jour ! Au jugé. Un objectif, une direction, et on se débrouille au hasard des rues, des ronds-points, des boulevards. Avec quelques repères infaillibles. La citadelle Karim Khân, flanquée de quatre tours élégantes, dont une originale comme sa consœur de Pise. Le dôme bulbeux du sanctuaire Ebn-é Hamzé, scintillant au soleil. Puis la rue Hafez… Pas pour se rendre au mausolée, aujourd’hui.
Le grand boulevard offre peu d’intérêt entre les deux premiers repères. Trop large, trop passager. Ils s’enfoncent dans une rue adjacente. Débouchent en plein Kaboul, avant les bombardements. Un nouveau quartier afghan, pléthorique, foisonnant. Débordant sur la chaussée. Les étals de fruits, de bimbeloterie, les marchands à la sauvette. Et du monde, du tintamarre, des couleurs… La dernière vague de réfugiés, intégrée, en cours de digestion.
Ils longent un mur en briques, interminable, s’arrêtent devant un beau portail en bois. Entrent dans un jardin. Djahân Namâ, le Livre du Monde. Ouvert à tous. Un jardin ancien, restauré, tout récemment ouvert au public. Et facile à lire. Un carré divisé en quatre. Par quatre allées formant une croix, convergeant vers un îlot boisé. Au cœur de cet îlot, un palais octogonal, émergeant des pins, des cyprès.
Ils se promènent à l’intérieur du livre. Effeuillent les pages, l’une après l’autre. De jolies feuilles enluminées, comme on savait le faire dans l’ancien temps, aux couleurs de sauge, de lobélie, d’œillet d’Inde. Et de la rose, dans toutes ses nuances délicates. La planète Terre, dans sa beauté originelle.
Et le chemin de l’homme, imprimé sur ce livre. Un chemin de croix, calligraphié à l’encre noire de son destin – le noir, comme une injure à la beauté du Monde. Mais si joliment écrit. Et donnant un sens à ce Monde… Un sens unique, vers le centre.
Ils se sont posés sur un banc, non loin du palais. Sous les pins, les cyprès, près d’un bassin d’eau claire. Ils ont fermé les yeux… ne voient pas le rossignol silencieux… Puis se lèvent, se promènent dans le jardin, une nouvelle fois, au hasard.
Le Jardin du Monde, dans sa forme idéale. Parfaite. Un monde où l’homme serait jardinier. Préposé aux semailles, aux moissons. Et engrangeant ces moissons, pour semer encore et encore… Semer d’autres jardins, à l’infini.
Ils n’ont pas vu arriver le vieil homme. Un jardinier municipal. Il s’arrête auprès d’eux, les contemple. Sourit. Tente quelques mots aimables, qu’ils ne comprennent pas. Se désole… il aimerait tant communiquer ! Il y a une grande douceur dans son regard – toute une vie à jardiner, semer des fleurs, les arroser… Il aimerait faire passer quelque chose, cela se voit, se sent. Et il le sent, lui aussi, il a cette intuition d’un moment juste. Il hésite, puis sort un sécateur de sa blouse – c’est sûrement interdit ! Cueille une rose à ses pieds. Leur offre. Puis sourit à nouveau, s’éclipse.
La rose est odorante, simple. Crème, ourlée de rose et de carmin. Et toute petite. Une rose ancienne, proche de l’églantine, cette rose originelle. Une rose innocente, généreuse, humble. Si loin de ces hybrides compliqués !
… La rose, ce miracle de la terre et du ciel. D’une alchimie secrète. Que l’homme ne comprend pas, lui qui n’est qu’une graine dans les douleurs de l’enfantement… Elle connaît ce chemin, l’a parcouru à ses débuts. Elle aussi a puisé dans la glèbe sa nourriture opaque, l’a fait éclore à la surface. L’a offerte au soleil, et s’est tendue vers lui. A reçu sa part de lumière.
Et l’offre à l’homme, ce futur Jardinier, pour qu’il comprenne.
*Ce texte a été envoyé par son auteur à La Revue de Téhéran. Il est extrait de l’ouvrage Le Miroir du Monde publié par Les 3 Orangers, 13 avenue de Saint-Mandé, 75012 Paris. Mail : les3orangers@noos.fr
Prix de l’ouvrage : 19,00 euros. Frais de port offerts.