N° 94, septembre 2013

La tradition médicale et la place de l’Iran dans la région : aperçu historique


Shahâb Vahdati


Durant son histoire plurimillénaire, l’Iran a été le berceau d’une longue tradition médicale, et il y existe aujourd’hui des services médicaux de qualité qui répondent aux normes mondiales. En raison des investissements importants réalisés dans le secteur de la santé au cours des dernières années, d’importants progrès ont été réalisés, et l’Iran jouit maintenant d’un système de santé comparable à celui des pays développés.

Entrée de la maison de santé (khâneh-ye salâmat) de la tour Milâd, Téhéran

La tradition et le savoir médical iraniens furent célèbres tout au long de la période préislamique. Les Iraniens avaient ainsi fondé une véritable culture médicale à partir du VIIe siècle av. J.-C. et peu à peu enrichie par des échanges avec les anciennes civilisations de Babylone, d’Assyrie, d’Egypte et d’Inde. Les médecins iraniens de l’époque connaissaient plus d’un millier de maladies qu’ils traitaient avec de nombreuses espèces de plantes médicinales de leur région et des pays voisins. Dans les villes iraniennes, divers instituts et centres médicaux étaient actifs. Un étudiant en médecine devait suivre une formation théorique et pratique pendant plusieurs années et passait ensuite des examens menant à la délivrance d’un certificat. L’étendue de ce savoir médical était tel qu’il influença notamment la médecine grecque au Ve siècle av. J.-C. Plus tard, l’invasion d’Alexandre le Macédonien entraîna la destruction des bibliothèques et des centres de recherche et d’études dans divers domaines de la médecine, de la philosophie, de l’astronomie et de l’agriculture. Les livres qui survécurent furent pour certains traduits en grec.

Mohammad Ibn Zakariyâ-ye Râzi dit Razès traitant un patient

Il fallut attendre la fin de l’ère séleucide pour que le développement de la médecine iranienne reprenne. Des académies de médecine furent bâties dans de nombreuses villes. La plus célèbre de ces académies était l’université et l’hôpital Gondi Shâpour. Dans cet hôpital, les médecins iraniens, grecs et indiens étaient engagés dans l’enseignement, la recherche et le traitement des patients. Après l’islam, les savoirs enseignés dans cette université, notamment la médecine, la philosophie, les mathématiques, la botanique et la pharmacie suscitèrent un épanouissement sans précédent de la médecine dans le monde islamique. Bagdad, capitale de l’islam, était proche de Gondi Shâpour. Les médecins de cette université avaient rassemblé une grande quantité de connaissances et la médecine devint en Iran, en grande partie grâce à l’université, un passe-temps populaire et respecté. A la suite de cela, l’importation et l’exportation des plantes médicinales se développèrent à grande échelle. Gondi Shâpour jouissait alors d’une renommée internationale. Au cours de la première période médiévale, suite à la montée du fanatisme religieux et à la fermeture des écoles d’Athènes et d’Alexandrie, de célèbres médecins et savants grecs vinrent y chercher refuge.

A partir du VIIe siècle, le monde iranien, baignant profondément dans la culture islamique, atteignit une vision du monde proche par certains aspects des principes fondateurs de l’humanisme européen, vision qui imprégna entre autres la pratique médicale. Le médecin jouissait d’un grand prestige et était considéré comme l’homme qui ressemblait le plus aux êtres spirituels. Il devait donc être aimable et sensible, respectueux des principes moraux. Selon les enseignements islamiques, l’âme et le corps humain sont très étroitement liés et le bien-être de l’un ne peut être assuré sans celui de l’autre. Par conséquent, le concept de l’hygiène en Islam concerne à la fois l’âme et le corps humain. La quintessence de cette approche est la prière traditionnelle qui est précédée d’ablutions. En outre, une partie de l’enseignement du Prophète de l’islam a été consacrée à la santé physique, à l’hygiène personnelle et à la protection de l’environnement, encourageant l’approfondissement des connaissances dans ce domaine.

La médecine islamique était dans un certain sens « moderne » dans son approche. Elle était souvent pratiquée et développée en particulier par des savants iraniens tels que Razès ou Avicenne. Ces derniers ont développé de nombreuses méthodes et traitements ainsi qu’une importante littérature médicale, véritable encyclopédie des savoirs pour l’époque. Certains de ces livres trouvèrent leur chemin vers l’Europe au XVIIe siècle où ils furent enseignés, comme par exemple l’Al-Mansouri de Razès ou le Canon d’Avicenne.

Colophon du Livre d’Al-Mansouri de Razès (Râzi)

L’Iran et ses relations médicales actuelles

Le système de santé iranien est le pionnier de la greffe au Moyen-Orient et occupe le quatrième rang mondial dans ce domaine. Les meilleurs hôpitaux, dotés d’un personnel hautement qualifié formé dans les meilleures universités, fournissent des services de qualités comparables à ceux de l’Europe et des ةtats-Unis.

Aujourd’hui en Iran, il existe plus de 80 centres de greffes d’organes tels que le cœur, le foie, le rein, le poumon, la moelle osseuse, etc., ainsi que des tissus de la peau, des os, des valves cardiaques, des tendons… qui peuvent non seulement satisfaire les besoins domestiques, mais aussi attirer des touristes médicaux. Le pays compte également plus de 30 facultés de médecine forment le personnel des 5 000 cliniques publiques et des 15 000 maisons de santé (khâneh-ye salâmat, petits dispensaires existant dans chaque village). Selon le classement de l’OMS, l’Iran se situe au 6e rang mondial pour la transplantation d’organes. Au cours des dernières années, l’Iran a accueilli un nombre croissant de patients venus des pays voisins comme l’Azerbaïdjan, Oman, l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, l’Irak et les ةmirats Arabes Unis. Le service est basé sur le système d’assurance-maladie du pays, cependant, en dehors de la capitale, le nombre d’établissements médicaux est limité et leur niveau est relativement inférieur. L’Iran doit également parfois faire face à une certaine pénurie de médicaments de base et d’équipements modernes.

Pour les étrangers se rendant en Iran avec un visa spécifique de tourisme médical, les premiers secours et les soins d’urgence sont gratuits ; ils doivent cependant payer les soins hospitaliers et les médicaments. Un traitement supplémentaire doit être payé dans son intégralité (les prix sont élevés), il est donc conseillé de prendre une assurance internationale. Les cliniques privées offrent un plus large éventail de médicaments et de services que les hôpitaux d’Etat qui, en raison du bas prix des traitements, sont constamment bondés.

L’institut Rouyân, créé en 1991 par le docteur Saïd Kâzemi Ashtiâni, est aujourd’hui l’une des meilleures cliniques de traitement de l’infertilité en Iran et du Moyen-Orient, ainsi qu’un centre de recherche de premier plan pour la recherche sur les cellules souches. Cet institut fournit la plupart des services médicaux de pointe aux couples infertiles. Le département de gynécologie mène des recherches afin de trouver de nouvelles stratégies et méthodes pour le traitement de l’infertilité féminine, les soins prénataux, le diagnostic et le traitement des naissances prématurées et des fausses couches. Le département d’andrologie étudie les problèmes d’infertilité masculine, des troubles de la motilité des spermatozoïdes et d’autres troubles fonctionnels qui conduisent à l’infertilité.

Docteur Saïd Kâzemi Ashtiâni

L’un des aspects de la coopération dans le cadre de la santé publique est celui de la production et la vente de médicaments. La plupart des pays d’Asie centrale ont un important besoin d’importer des médicaments de l’étranger. En règle générale, ces médicaments sont achetés en Europe, aux Etats-Unis ou en Russie. Cependant, l’industrie pharmaceutique iranienne, en utilisant activement les derniers progrès de la science comme les nanotechnologies, a récemment fait d’énormes pas en avant, se trouvant au même niveau que le monde occidental. ہ l’heure actuelle, l’Iran compte parmi les dix premiers pays en matière de recherches médicales et pharmaceutiques. Il existe ainsi plus de quatre cents institutions scientifiques qui travaillent dans le domaine de la recherche pharmacologique, et les médicaments mis au point dans ces centres servent à traiter des maladies comme le cancer ou le sida. En outre, les prix des produits pharmaceutiques iraniens ainsi que les services médicaux dans leur ensemble sont considérablement inférieurs à ceux des médicaments et des soins proposés par les pays leaders en la matière comme des pays européens ou la Russie.

Cette réalité rend donc l’Iran attractif pour les pays pauvres d’Asie centrale comme le Kazakhstan, qui importe au moins 90% des médicaments nécessaires à sa population. Au cours de la visite à Ardebil du conseiller du président kazakh Safar Ali Babbitt en 2006, celui-ci a exprimé la volonté de son pays d’acheter des produits pharmaceutiques iraniens. Depuis, des médicaments iraniens sont exportés vers ce pays, bien qu’à faibles quantités, étant donné qu’il reste encore beaucoup à faire à l’Iran pour produire et exporter des produits pharmaceutiques à grande échelle.

Concernant la coopération en matière de protection de la santé existant entre l’Iran et l’Ouzbékistan, un accord a également été signé entre le ministre du commerce iranien Massoud Kâzemi et son homologue ouzbek Elyor Ganiev en 2006. L’Ouzbékistan est également un marché potentiel de taille pour l’industrie pharmaceutique iranienne. Néanmoins, l’absence d’ententes internationales complique les échanges de ce type. Il convient aussi de rappeler que, de tous les ةtats de l’Asie centrale, l’Ouzbékistan est celui qui entretient avec l’Iran les relations les plus difficiles.

La coopération médicale de l’Iran avec son ami traditionnel de la région, le Tadjikistan, est meilleure. L’Iran fournit non seulement sa propre production de produits pharmaceutiques, mais y exporte aussi des médicaments fabriqués en France, en Suisse et en Nouvelle-Zélande. L’entreprise ayant un rôle central dans ce commerce est Bahâr Kouh, filiale de la grande société pharmaceutique iranienne Arvin Armân. Depuis 2008, un accord a été conclu entre les deux pays sur la coopération et la livraison à la République du Tadjikistan des médicaments importés. Cet accord a été signé par le président de la compagnie Arvin Armân, Rezâ Saidi et le ministre de la Santé de la République du Tadjikistan, Nosratollah Salim. En outre, les pharmaciens iraniens font partie des participants réguliers aux foires des soins de santé qui se tiennent à Douchanbé.

Institut Rouyân

La coopération médicale de l’Iran avec ses voisins ne se limite pas uniquement à la fourniture de médicaments. Le tourisme médical est actuellement en plein essor en Iran, étant donné que les médecins iraniens ont un niveau assez élevé de formation et que les prix de leurs services ainsi que de leurs médicaments sont nettement moins chers que ceux des hôpitaux européens ou russes, un nombre de plus en plus élevé de touristes médicaux en provenance des pays de l’Asie centrale se rendent dans ce pays. Par exemple, de nombreux citoyens turkmènes ne sont pas satisfaits des services offerts par les établissements de santé publics où les médecins n’ont pas un savoir à jour et où les méthodes soviétiques de traitement ainsi que des équipements délabrés sont toujours d’usage. Quant aux instituts privés, il n’y a qu’un unique hôpital turc à Achgabat. Par conséquent, les Turkmènes sont nombreux à venir en Iran pour se faire traiter.

Outre ces domaines, l’Iran investit dans l’infrastructure médicale de ses partenaires économiques d’Asie centrale. Par exemple, depuis 2002, plusieurs centres hospitaliers irano-tadjiks ont été inaugurés au Tadjikistan. On a aussi annoncé tout récemment la construction d’un bâtiment supplémentaire, et il est prévu de pratiquer dans un avenir proche des tarifs très bas pour les personnes en difficulté financière.

Le progrès de la médecine et l’avenir

La coopération médicale entre l’Iran et les pays d’Asie centrale est donc bénéfique pour les deux parties. Pour l’Iran, l’Asie centrale offre l’opportunité de développer son industrie pharmaceutique à grande échelle et d’investir dans le secteur médical de façon plus appuyée. Pour les pays d’Asie centrale, l’Iran offre des prestations médicales à prix compétitif et aide au développement des infrastructures médicales modernes, tout en contribuant à la formation de spécialistes. Cependant, le niveau d’échange entre l’Iran et ces pays est encore loin d’être optimal, et le développement des activités conjointes dans le domaine de la santé publique sans tenir compte des considérations politiques reste une question centrale dans la perspective des relations entre l’Iran et les pays d’Asie centrale.

Des indicateurs montrent que la santé publique dans certains domaines en Iran est comparable à celle des pays développés. Par exemple, la mortalité infantile des enfants de moins de 5 ans était de 68 pour 1000 entre 1990 et 2000, et a été réduite à 36 en 2013. En outre, la couverture médicale n’est pas réservée aux zones urbaines, et même les régions les plus reculées bénéficient de "maisons de santé" locales.

Dans les sociétés qui aspirent à un développement durable, la santé publique est l’une des priorités les plus évidentes, un enjeu important ayant un rôle central dans le progrès d’une société. Cet enjeu est aussi renforcé par les membres de la communauté. Conformément à la culture et aux valeurs islamiques, la santé, l’hygiène et la propreté ont toujours été considérées comme des devoirs personnels exigés par la foi musulmane. Sur cette base, les Iraniens donnent la plus grande importance à la propreté et à l’hygiène personnelle. Grâce aux réussites de l’Iran et son aide apportée à d’autres pays, l’OMS a cité l’Iran à plusieurs reprises comme étant un modèle pour les pays de la région sur la question du développement du système de santé. Aujourd’hui, il existe en Iran plus de 30 facultés des sciences médicales, 57 centres de recherche, 200 institutions médicales, sans compter les quelque 15 000 maisons de santé qui fournissent des services divers, contribuant à améliorer la qualité de vie du peuple iranien.

Maison de santé (khâneh-ye salâmat) de la tour Milâd, Téhéran

Compte tenu du fait que l’objectif principal du développement devrait notamment être de fournir des services de soins de santé primaires à la population des zones rurales défavorisées, on peut dire qu’aujourd’hui, environ 95% de la population d’Iran a un accès facile aux services de santé. De plus, 97% des médicaments essentiels sont fabriqués en Iran. Dans le domaine des équipements médicaux et de laboratoire, les entreprises locales produisent environ 700 articles et produits. Par exemple, 90% des équipements dentaires sont fabriqués par des entreprises nationales.

Les progrès dans la fabrication du matériel médical et paramédical font de l’Iran l’un des premiers pays de la région. Grâce à des campagnes de vaccination à grande échelle, des maladies comme la rougeole, la diphtérie, la tuberculose, la poliomyélite, le tétanos, etc., ont disparu. Avec la mise en œuvre de divers programmes de planning familial et de contrôle de la population, la mortalité infantile a été réduite de manière significative et la santé des mères ne cesse de progresser. Le développement et l’application de normes plus rigoureuses en matière de santé environnementale, l’accès à une eau potable saine, les normes d’hygiène personnelle, l’éducation publique et la lutte contre l’analphabétisme ont eu une conséquence directe sur le développement des soins de santé. Le pays a déjà obtenu des résultats importants comme le contrôle de nombreuses maladies infectieuses et l’augmentation de l’espérance de vie qui sont parmi les principaux indicateurs du niveau de santé dans toute société.

Tout en ayant amélioré le niveau général de santé de sa population, l’Iran fait en parallèle des efforts considérables dans le domaine du développement et de l’application de la biotechnologie ainsi que du génie génétique. Aujourd’hui, environ 50 instituts de recherche travaillent pour développer la biotechnologie en Iran, et rassemblent plus de 3500 chercheurs et membres des conseils scientifiques des universités. Les mesures prises dans ce sens au cours des deux dernières décennies ont promis au pays un bel avenir dans le domaine de la recherche médicale. Parmi les projets entrepris par le Centre national de génie génétique et de biotechnologie de l’Iran, nous pouvons citer les recherches de l’hormone de croissance humaine, qui trouve un usage considérable dans des cas tels que les problèmes de croissance chez les enfants, l’insuffisance rénale chronique, certaines lacunes des fonctions immunitaires, les traumatismes physiques, les brûlures, etc.

La base de données Scopes a publié une liste des pays actifs en 2011 dans le domaine de la médecine, où l’Iran se situe au 19e rang. En 2008, il occupait la 23e place et en 2013, il pourrait atteindre la 17e. Le pays vient de présenter également six nouveaux médicaments grâce auxquels certaines maladies comme la poliomyélite, le paludisme et la coqueluche seront plus efficacement combattues.

Bibliographie :
- Najmâbâdi, Mahmoud, Târikh-e pezeshki-e Irân va Eslâm (L’Histoire de la médecine de l’Iran et de l’Islam), éd. Negâh, Téhéran, 2008.
- Velâyati, Ali-Akbar, Dâerat-ol-Ma’âref-e Pezeshki-e Eslâm va Irân (Encyclopédie médicale de l’Islam et de l’Iran), éd. Amir Kabir, Téhéran, 2011.
- Mokhberi, Ahmad, Pishraft-hâye pezeshki dar Irân (Les progrès de la médecine en Iran), éd. Parto-Dânesh, Téhéran, 2003.
- Modir-Ranjbar, Marjâne, Irân va keshvar-hâye hamsâyeh (L’Iran et les pays de l’Asie centrale), éd. Tcheshmeh, Téhéran, 1993.


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