N° 98, janvier 2014

Madjid Saeedi
Le photographe, troisième œil de l’homme


Arezou Barid-Fâtehi, Parastou Mirlou


« Le crime contre l’humanité est un fait unique, aucun être vivant n’agit contre sa propre espèce comme le fait l’être humain. Les gens voient les bonnes choses. Montrer les tyrannies des hommes pendant la guerre est notre tâche, c’est pourquoi je considère que le photographe est le troisième œil de l’homme dont la mission est de révéler les vérités sans scrupules aux hommes qui vivent en paix et ignorent les événements en train de se dérouler aux quatre coins du monde. »

Madjid Saeedi

Ces propos sont ceux de Madjid Saeedi, jeune photographe ayant passé plusieurs années sur des théâtres de guerre et parmi ses victimes, en partageant leur quotidien. Car, selon lui, l’artiste n’est pas capable de créer son œuvre, s’il ne l’a pas vécue profondément.

Madjid Saeedi est né en 1974 au sud de Téhéran. Après son baccalauréat, il décide de se consacrer à la photographie dans un cadre non-universitaire, l’art étant selon lui inné et ne pouvant être injecté. Dès 16 ans, il prend ses premières photos avec un appareil Zenit consacrées aux élevages d’oiseaux et de volailles de son père, et les envoie au festival Soureh. Lauréat, il est alors encouragé à continuer dans cette voie. A l’âge de 17 ans, il organise sa première exposition au cinéma Azâdi consacrée au tremblement de terre ayant ravagé les villes iraniennes de Roudbâr et Mandjil. A 18 ans, pendant la guerre de l’Iraq contre l’Iran, il se rend à la frontière et prend des photos des réfugiés irakiens entrant en Iran. Cette expérience l’incite à se consacrer encore plus à la photographie de guerre, et il se rend en Afghanistan, en Iraq, en Libye et au Liban. Il part ainsi pour l’Afghanistan en 2001 et y reste quatre ans ; expérience qui fut pour lui décisive. Il relate à ce propos : "Dans un pays déchiré par les conflits depuis 50 ans, l’ensemble des gens sont influencés directement ou indirectement. Certains sont tués ou blessés, d’autres ont des problèmes mentaux et psychologiques. Certains deviennent toxicomanes, et poussent leur enfant à le devenir. La pauvreté domine, alors on marie sa fille en bas âge à un homme plus âgé, ce qui la conduit au suicide par immolation. Parfois ces immolations n’aboutissent pas à la mort, et les survivantes vivent avec le corps brulé. La guerre devient presque naturelle, car les Afghans naissent, grandissent et meurent dans un contexte de guerre. Le photographe doit montrer cette réalité aux autres et leur en faire prendre conscience."

Durant son activité professionnelle, Majid Saeedi a participé à un grand nombre d’expositions collectives en Iran et à près de dix expositions individuelles dans d’autres pays dont la France, le Japon, l’Italie et les Pays-Bas. Il a obtenu le prix Kâveh Golestân, les prix Art et prière (2003) et Poyi (2005 ; 2009), le prix artistique Namin (2010). Il a également remporté le concours international de la photo de presse de Chine (2010), le prix de l’UNICEF en Allemagne (2010), le prix américain Lucie (IPA) (2011), le prix Kennedy (R.F.K) (2012)…

En 2013, il est le deuxième lauréat dans la section « Sujets contemporains » de World Press pour son recueil de douze photos en noir et blanc intitulé La vie en guerre. Madjid Saeedi a également publié d’autres recueils de photographies, notamment consacrés à la violence contre les femmes, le suicide par immolation, les ouvriers des mines, des portraits d’Iraniens, la rhinoplastie, la guerre en Libye, les festivals hindous, la guerre en Iraq ainsi qu’au Liban. Il a en outre collaboré avec des magazines internationaux dont le Times. Après avoir travaillé avec l’agence Gamma, il est maintenant l’un des photographes officiels de l’agence américaine Getty Images. Autodidacte, il considère néanmoins qu’Ahmad Nâteghi, James Nachtwey, Robert Capa, Alex Webb font partie de ses sources d’inspiration et modèles.

Photo de la collection "Documentaires : victimes de la guerre en Afghanistan"

L’une des questions et problématiques à laquelle tout photographe de guerre est confronté est la suivante : le photographe peut-il légitimement intervenir dans le cours de certains événements, ou doit-il simplement les enregistrer ? Selon Saeedi, cela dépend de l’intelligence du photographe et de la situation dans laquelle il se trouve. Il est évident que le photographe ne peut pas intervenir à tous les instants, mais qu’il doit parfois mettre de côté sa profession et se comporter en être humain vis-à-vis de ses pairs. Selon lui également, ceux qui veulent se tourner vers cette profession doivent être des passionnés, capables d’en supporter les dangers et difficultés – il a été lui-même capturé par les Talibans et ne peut oublier les nombreuses personnes tuées devant lui. Tout modèle est bon, mais un photographe digne de ce nom ne doit faire qu’intégrer cette influence à ses propres idées, en dépassant donc la simple imitation.

Femme ayant survécu à une immolation

Mehdi Mon’em, un photographe de guerre iranien dit à propos de Madjid Saeedi : "Saeedi est un photographe qui présente l’âme d’un événement dans ses photos. Ce photographe iranien possède un regard mondial." Jamshid Bâyrâmi, autre photographe iranien lauréat du prix Simorgh du festival de Fajr, décrit Saeedi comme un photographe de la nouvelle génération qui a fait des progrès très rapides et a pu présenter ses œuvres dans les expositions internationales assez tôt. Il a contribué à enrichir la photographie iranienne au travers de sa présence et de son traitement de nombreux sujets culturels au sein du pays.


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