N° 100, mars 2014

La royauté dans les Lettres persanes de Montesquieu


Aryâ Aghâjâni


Dans son ouvrage, Montesquieu disserte beaucoup sur la monarchie absolue : 69 lettres, et plus précisément les lettres 23 à 92 : font écho au règne de Louis XIV. Nous allons voir quelle vision il avait du pouvoir.

Bon roi, mauvais roi

La vision de la royauté dans les Lettres persanes est caractérisée par une bipolarité ambiante, bien que nuancée. Montesquieu ne donne pas vraiment d’exemples concrets de bon roi mais oppose plutôt le système qu’il souhaiterait à celui qui est en place actuellement. Louis XIV, apparaît alors être aux antipodes d’un roi juste, garant du bien-être de ses sujets - telle nous le dépeint l’anecdote des Troglodytes. Cet apologue est très important car Montesquieu y montre qu’une société fondée sur la justice, la liberté et la vertu est la seule condition du bonheur des sujets. [1] Il est intéressant de constater que pour lui, la vertu vient de la nature : chez eux, la justice s’établit "par le seul penchant de la nature". C’est donc la disparition de la nature au profit du progrès qui fait courir la société à sa perte. Montesquieu illustre cette théorie en parlant de l’échec de l’épisode Law. [2] La société idéale des Troglodytes repose sur ce qui paraît être un contrat social : chacun a conscience que le bonheur des autres est la condition du sien. Leur esprit communautaire est garanti par le roi qui porte un grand amour à ses sujets. Pour faire transparaître ses émotions, il emploie le registre pathétique. Ainsi, il dit qu’il a le "cœur serré de tristesse" et verse des "torrents de larmes". Il prend donc son peuple en considération et s’adresse directement à lui : "Ô Troglodytes !" Il représente le contre modèle du roi despote. En d’autres termes, le monarque absolu, quant à lui, est laxiste et corrompt la morale. De plus, il est caractérisé par une grande inutilité : "Et que prétendez-vous que je fasse ? Comment se peut-il que je commande quelque chose à un Troglodyte ? Voulez-vous qu’il fasse une action vertueuse parce que je la lui commande, lui qui la ferait tout de même sans moi, et par le seul penchant de la nature ?" Ce système d’égalité est cher à Montesquieu, puisqu’il avance plus loin dans son œuvre l’idée d’équité des hommes face à la justice. [3]

Portrait de Louis XIV

Montesquieu fait donc la satire de la monarchie dès le début de l’œuvre. Il souligne l’esprit de contradiction du monarque, dont le second paragraphe de la Lettre XXVII témoigne de l’incohérence. On note un système d’antithèses juxtaposées avec une opposition terme à terme : "ministre qui n’a que 18 ans" / "maîtresse qui en a 80", "il aime"/ "il ne peut souffrir", "il fuit le tumulte des villes"/ "occupé qu’à faire parler de lui", "comblé de richesse"/ "accablé d’une pauvreté". Le roi ne semble donc pas capable de régir un pays : sa frivolité lui fait mépriser les vraies valeurs au profit de la superficialité et du luxe ostentatoire. Nous relevons d’ailleurs le lexique du paraître "faire parler de lui", "trophées", "victoires". Or, dans l’épisode des Troglodytes, Montesquieu nous apprend qu’un bon régime est fondé sur la simplicité, voire même la frugalité. Ainsi, ce peuple vit essentiellement de l’activité agricole, ce qui leur octroie une autarcie certaine, une sorte de vie en circuit fermé. Même si cette lettre se rapproche du conte, son but n’est pas seulement divertissant mais permet à Montesquieu d’y exposer les valeurs qui doivent être, selon lui, les fondements de la démocratie.

Au contraire, le roi arbitraire ne s’apparente pas au justicier inquiété de la raison d’Etat, mais exerce le pouvoir par goût, comme le montre la récurrence des verbes d’opinion : "plaire", "aimer", "craindre", "souffrir". De plus, il est trop âgé pour exercer cette fonction : "Le roi de France est vieux. Nous n’avons point d’exemple dans nos histoires d’un monarque qui ait si longtemps régné. On dit qu’il possède à un très haut degré le talent de se faire obéir : il gouverne avec le même génie sa famille, sa cour, son état." [4] Le monarque français semble devoir sa position à la cruauté et à la peur qu’il inspire.

Ses ministres sont à son image et Montesquieu se montre très virulent à leur égard : il n’hésite pas à avancer que "les têtes des plus grands hommes se rétrécissent lorsqu’elles sont rassemblées" [5] et qu’ils donnent le mauvais exemple. [6] Leur but est de satisfaire leurs ambitions et non pas les attentes du peuple. Tout est également basé sur un ridicule jeu de paraître : "Le Conseil privé, appelé aussi Conseil des parties, a pour lui (…) surtout le prestige d’être le Conseil du roi" [7], et ce malgré l’absence du souverain : "Peu importe que le roi n’y vienne jamais, que son fauteuil au haut bout de la table y tienne une place purement symbolique, que la formule "Le Roi en son Conseil", présente dans tous les arrêts soit aussi vide que le fauteuil." [8] Ils vivent donc dans l’obsession des privilèges et ne cherchent qu’à en acquérir ou à dénoncer ceux des autres. Le roi et son gouvernement ne sont au courant de rien mais décident impunément de tout. Il fait bon gré des lettres de cachet [9] qui lui permettent d’envoyer n’importe qui en prison, sans justifications et sans procès.

Le peuple victime

Sous l’emprise d’un dirigeant injuste, le peuple est étouffé par une oppression certaine qui fait son malheur. La crainte le pousse à obéir et biaise les comportements ; même les soldats obéissent par peur du châtiment : l’armée royale est "composée d’esclaves naturellement lâches, [qui] ne surmontent la crainte de la mort que par celle du châtiment : ce qui produit dans l’âme un nouveau genre de terreur qui la rend comme stupide." [10] Selon lui, c’est même l’ingrédient principal d’un tel système : "il faut que la crainte y abatte tous les courages." [11] En outre, le roi uniformise ses sujets : "l’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres" [12] et cela a des conséquences physiques sur le peuple : "soit la mollesse et le luxe des uns, soit l’extrême misère des autres, toutes ces causes réunies ou séparées, oppriment les forces musculaires, y substituent l’agacement des nerfs, de véritables vésanies." [13]

Pour dénoncer ce système notoire, Montesquieu utilise des métaphores, et des sous-entendus. Son ouvrage fut même d’abord publié anonymement par peur des représailles. Certes, ses personnages font part de leur étonnement concernant la France, mais c’est aussi sous le masque du despotisme oriental qu’il montre un gouvernement cruel et régi par une justice arbitraire : par exemple, la lettre de Zélis décrit avec horreur le traitement réservé à la fille de Soliman, mutilée et renvoyée chez son père par son mari car ce dernier la soupçonnait d’être impure. [14] Le peuple apparaît donc soumis à la loi du plus fort. Effectivement, dans le royaume d’Usbek, le manque de liberté est patent, et cela ne touche pas seulement les femmes : aucun droit civil ne borne "la puissance illimitée de [leurs] sublimes sultans" [15], selon les propres dires du Persan. Il reprend ces propos un peu plus loin mais les nuance : "Si, dans cette autorité illimitée qu’ont nos princes, ils n’apportaient pas tant de précautions pour mettre leur vie en sûreté, ils ne vivraient pas un jour ; et, s’ils n’avaient à leur solde un nombre innombrable de troupes pour tyranniser le reste de leurs sujets, leur empire ne subsisterait pas un mois". [16] Il a donc conscience de la fragilité de son hégémonie, mais peut-être ne réalise-t-il pas assez que toute initiative néfaste est "prohibée par le droit des gens." [17]

Conformément à ce qu’il soutient, ses femmes se révolteront, Roxane en tête, qui "[réformera ses] lois sur celles de la nature". [18] Elle se suicide par amour, mais elle tient tout de même à dire ses quatre vérités à Usbek, qu’elle n’acceptait sa domination que parce qu’elle y trouvait son compte et compensait l’amour qu’elle n’avait pas de son mari avec son amant. C’est l’attachement qu’elle avait pour lui qui lui permettait de supporter les bassesses d’Usbek. Elle n’a donc désormais d’autre choix que de "mourir ou d’être indigne de vivre." [19] Nous voyons donc là se profiler la vision que Montesquieu a du harem ; pour lui, ce lieu symbolise l’antinature : l’eunuque mutilé se fait gardien féroce et la femme cloîtrée conspire. D’ailleurs, ce système n’est pas viable et s’anéantira de lui-même : il n’y a pas d’héritier pour assurer la succession. Selon lui, un grand nombre de femmes épuise l’homme au lieu de le satisfaire et "il est ordinaire (…) de voir un homme dans un sérail prodigieux avec un très petit nombre d’enfants." [20]

Le sérail d’Usbek peut être vu comme une métaphore de la monarchie absolue de Louis XIV : cette organisation totalitaire est vouée à l’échec. En effet, l’esclavage domestique qui bride ses concubines fait écho au manque de liberté du peuple français au XVIIIe siècle, bien qu’elle apporte l’opulence à la nation. [21] Là encore, le despote fait preuve de sévérité pour conserver son pouvoir alors qu’ "un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, et sans péril, relâcher ses ressorts. Il se maintient par les lois et par sa force même. Mais lorsque dans le gouvernement despotique, le prince cesse un moment de lever le bras ; quand il ne peut pas anéantir à l’instant ceux qui ont les premières places, tout est perdu : car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n’y étant plus, le peuple n’a plus de protecteur." [22]

Montesquieu fait écho à ce principe dans son essai sur les Causes de la grandeur des Romains et leur décadence : "En un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers." [23] Le suicide de sa favorite Roxane signe l’échec de la démarche d’Usbek qui n’est tolérant qu’en parole. Il n’est pour elle qu’un tyran à l’ouverture d’esprit rhétorique. A travers ces lettres, Montesquieu propose une sagesse relative qui traduit sa confiance en une vie heureuse si elle se base sur la Nature. Cet idéal court en filigrane dans tout le roman et il prend toujours soin de condamner l’excès sous toutes les formes : l’orgueil de l’homme, ses mensonges, le divorce de l’esprit et du cœur, ou encore l’horreur des puissances irrationnelles.

La tragédie du sérail à laquelle Roxane apporte le dénouement, est en fait celle de tout système soumis à la fatalité du pouvoir. La jeune femme fait donc de son suicide une épiphanie [24] : le véritable but de la philosophie n’est pas l’objet mais le sujet, pas la libération mais la liberté, pas la connaissance mais la conscience, et non pas le regard curieux mais lucide.

Certes, le symbole de la justice est toujours présent dans l’iconographie royale, et ce quel que soit le pays. Des protestations contre la cruauté du souverain s’élèvent de toutes parts. [25] En Europe, les Lumières furent des farouches opposants au despotisme : Montaigne et La Bruyère élevèrent leur voix contre la torture [26] et Voltaire sera le premier à s’opposer totalement à la peine de mort. [27] Il est indéniable que la population ait besoin d’un gouvernement qui exerce la justice, voilà pourquoi il est important que la royauté soit un pouvoir neutre [28] ; en outre, les sujets sont ainsi préservés de la loi du Talion. Or l’équilibre est bien souvent difficilement maintenu car ce devoir finit par alléguer au roi un droit d’ingérence dans les affaires privées.

Les citoyens perdent alors leur liberté pour devenir des sujets "(…) en naissant Troglodytes libres, et de les voir aujourd’hui assujettis." [29] On constate un oxymore entre "libres" et "assujettis", tout comme pour "en naissant" et "aujourd’hui". Les citoyens seraient pliés sous le "joug" du pouvoir et n’ont d’autre choix que d’ "être soumis à un prince". De plus, ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme bon lui semble : "s’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à les persuader qu’un écu en vaut deux ; et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent ; et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits." [30] Montesquieu remet donc en cause le pouvoir thaumaturgique du roi. Effectivement, par le passé, on le croyait capable de guérir les écrouelles, mais les malades devaient leur santé retrouvée, non à quelques dons de leur souverain, mais au meilleur milieu et à l’alimentation variée dont ils bénéficiaient à la Cour. [31]

Statue de Montesquieu, Musée du Louvre

La vertu ne résiste pas très longtemps à l’engrenage du système, d’abord innée, elle devient gênante : "votre vertu commence à vous peser" [32], voire inutile : "vous n’aurez pas besoin de la vertu." [33] De même, "on ne peut être sincère impunément à la cour." [34] La droiture est alors suppléée par les passions néfastes telles l’ambition, la cupidité et la recherche des plaisirs. L’auteur fustige donc Louis XIV et son goût pour les femmes et ce jusque dans sa vieillesse : "Vous savez que pour lors vous pourrez contenter votre ambition, acquérir des richesses, et languir dans une lâche volupté." [35] Selon le principe qui a été énoncé plus haut, le peuple est également contaminé par cet avilissement : "Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre ; et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées." [36]

Le peuple a un rôle à jouer

Montesquieu critique donc la flagornerie qui permet à ce système de continuer : ainsi le peuple n’hésite pas à se corrompre pour espérer accéder aux honneurs. L’honneur est pour Montesquieu "l’idole pour laquelle les Français sacrifient tout." [37] Les courtisans sont avides et cupides [38] tout comme les ecclésiastiques. [39] L’ambition fait que chacun participe à la mascarade absolutiste. Le peuple apparaît donc comme victime et responsable à la fois : il subit certes l’oppression, mais son comportement complaisant permet au monarque d’exercer son pouvoir et de le faire perdurer, reniant fortement ce principe de bonne nature innée auquel tient Montesquieu. Bourdieu a donc raison d’affirmer que "la sociologie [dévoile] la self déception, le mensonge à soi-même collectivement entretenu et encouragé qui, en toute société, est au fondement des valeurs les plus sacrées et, par-là, de toute l’existence sociale. Elle enseigne avec Marcel Mauss, que la société se paie toujours elle-même de la fausse monnaie de son rêve." [40]

Montesquieu fait écho à cette règle de cause à effets dans De l’Esprit des lois : "Lorsque [la] vertu cesse, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir, et l’avarice dans le cœur de tous. Les désirs changent alors d’objet : ce qu’on aimait, on ne l’aime plus ; on était libre avec des lois, on veut être libre contre elles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître ; ce qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était attention, on l’appelle crainte (…) la république est une dépouille ; et sa force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous (…)" [41], et continue plus loin : "L’ambition est pernicieuse dans une république. Elle a de bons effets dans la monarchie ; elle donne vie à ce gouvernement." [42] En raison de tous ces faux-semblants, Montesquieu compare la Cour à une comédie où les personnages sont les piètres acteurs d’un théâtre futile. Il est vrai que l’œil critique et "innocent" des Persans permet à Montesquieu de fuir la censure (il précise qu’il n’a fait qu’office de traducteur [43] et Usbek utilise très fréquemment le pronom "on", laissant ainsi dans l’ombre l’identité du véritable émetteur de la critique), mais surtout une mise à distance qui fait déceler des détails que la force de l’habitude nous dérobe. L’étonnement feint qui amuse dans un premier temps se révèle être une arme de dénonciation fort efficace. Notons que dans ses Cannibales, Montaigne emploie le même procédé et décrit les impressions des "sauvages" venus à la Cour : "Ils dirent qu’ils trouvoient en premier lieu fort estranges que tant de grands hommes, portant barbe, forts et armez, qui estoient autour du Roy se soub-missent à obéir à un enfant." [44] En effet Charles IX avait alors 12 ans…

Courtisan rêvant de gloire

Le comportement du roi pose également question à nos deux compères : "Nous n’avons point d’exemple […] d’un monarque" [45] ; ce dernier est même présenté comme une énigme : "J’y ai trouvé des contradictions qu’il m’est impossible de résoudre". Dans les procédés employés, Montesquieu est fort adroit car ses deux protagonistes font preuve d’une apparente objectivité : ils rappellent la démarche scientifique en se basant sur l’observation des faits : "j’ai étudié", "j’y ai trouvé", "résoudre". De plus, ils modèrent leurs paroles et prennent soin d’y ajouter "par exemple" ou alors "je crois". En creux se dessine donc le modèle du citoyen idéal qui se juxtapose à celui du bon monarque. Ainsi, apprend-on qu’il doit être altruiste à l’image du vieillard qui préfère renoncer à la couronne plutôt que de tromper le peuple : "A Dieu ne plaise, (...) que je fasse ce tort aux Troglodytes." [46] Il n’est dont pas égoïste et fait prendre d’humanité.

Notons que le roi et le peuple ne sont pas deux entités distinctes, que seules les rébellions peuvent réunir. Dans le royaume d’Usbek, ce sont les eunuques qui font office d’intermédiaires entre le monde extérieur et le sérail. A ce propos, Valéry s’interroge : "Mais qui m’expliquera tous ces eunuques ?" [47] Ils s’avèrent être la représentation du corps monarchique, hommes de main frustrés et investis d’un pouvoir qu’ils exercent pour le compte d’un autre. Leur sévérité peut alors être analysée sous un autre angle : ils ne peuvent que jouir de la rigueur même, compensatrice de leur condition rédhibitoire. Dans De l’Esprit des lois, Montesquieu parle en ces termes : "le gouvernement monarchique suppose des prééminences, des rangs, et même une noblesse d’origine." [48] Il suppose donc une participation du lecteur : même si Usbek est le protagoniste principal, les points de vue sont multiples car il interagit avec ses amis et Montesquieu prend bien soin de leur dessiner une personnalité distincte. Sa démarche sociologique commence par un refus et une ironie, il dresse premièrement une antithèse de ce qu’il voulait démontrer, avant d’énoncer les principes qu’il désirait imposer. Notons qu’il est intéressant de constater que le lecteur vit tous les évènements dans la peau d’Usbek : nous lisons chaque lettre à travers ses yeux. Cette association entre le lecteur et le roi est-elle voulue par Montesquieu ? C’est le héros, nous avons donc naturellement tendance à prendre son parti car il est philosophe, donne des nouvelles à ses proches, et semble être attaché à ses amis. Après tout, il n’est peut-être pas mauvais en soi mais se contente de perpétuer un ordre établi avant lui, or Montesquieu nous montre que les complices de la tyrannie sont assimilables au tyran même.

Montesquieu voulait-il par là signifier aux Français qu’ils ont le même comportement vis-à-vis de la monarchie ? Le fait que le lecteur se retrouve dans la peau du despote tend à le confirmer. Montesquieu présente leurs infortunes et celles d’Usbek comme des conséquences indirectes de leur amour des idées. La bonne volonté ne suffit pas, et l’absence de mise en pratique de leurs principes philosophiques les fait courir à leur perte.

Bibliographie :

Sources premières
- Montaigne, Michel de, Essais, Paris, Firmin Didot Frères, 1870.
- Montesquieu, Charles-Henri de, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence, Paris, Librairie élémentaire de E. Ducrocq, 1734.
- Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres persanes, Paris, Pocket, 1989 (1721)
- Montesquieu, Charles-Henri de, Œuvres complètes, De l’Esprit des Lois, livre V, Paris, Seuil, 1964.
- Voltaire, "Le prix de la justice pour l’Humanité" in La Gazette de Berne, 15 février 1777.

Sources secondaires
- Bourdieu, Pierre, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.
- Constant, Benjamin, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, Paris, A. Eymery, 1815.
- Durville, Henri, Le magnétisme transcendant, Paris, H. Durville, 1961.
- Hytier, Jean, Questions de littérature : études Valeryennes et autres, Paris, Droz, 1967.
- Lebigre, Arlette, La justice du roi : la vie judiciaire dans l’ancienne France, Paris, Albin Michel, 1995.

Masmonteil, Ernest, La législation criminelle dans l’œuvre de Voltaire, Paris, Rousseau, 1901.
- Nykrog, Per, Chrétien de Troyes, Paris.
- Virey, Julien-Joseph, Hygiène philosophique, ou de la santé dans le régime physique, Paris, Crochard, 1828.

Notes

[1Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, Paris, Pocket, 1989, L. LXXXIII et XI.

[2Ibid., L. CXXXVIII et CXLII. Law était un économiste écossais des XVII-XVIIIe siècles, qui devint ministre des finances de France ; on lui doit notamment la mise en circulation du billet de banque. Son système était bénéfique, mais il se soldera par une banqueroute qui ruinera ses actionnaires.

[3Ibid., L. LXXXIII.

[4Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, op.cit, L. XXXVII.

[5Ibid. L. LXXIX.

[6Ibid. L.CLXIX.

[7Lebigre, Arlette, La justice du roi : la vie judiciaire dans l’ancienne France, Paris, Albin Michel, 1995, p. 49.

[8Ibid., p 50.

[9Ibid., p 55.

[10Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, op.cit, L. LXXXIX.

[11Ibid., De l’esprit des lois, livre V, Paris, Seuil, 1964, p. 26.

[12Ibid., Lettres Persanes, op.cit, L. XCIX.

[13Virey, Julien-Joseph, Hygiène philosophique, ou de la santé dans le régime physique, Paris, Crochard, 1828, p. 64.

[14Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, op.cit, L. LXX.

[15Ibid, L. XCIV.

[16Ibid, L. CII.

[17Ibid, L.CVI.

[18Ibid, L.CVI.

[19Ibid, L. XXIII.

[20Ibid, L. CXIV.

[21Ibid., L.CXXII.

[22Montesquieu, Charles-Henri de, De l’esprit des lois, op.cit, p. 526.

[23Ibid., Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence, Paris, Librairie élémentaire de E. Ducrocq, 1734, Chap. XVIII.

[24Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, op.cit., p 12.

[25Soman, Alfred , "La justice criminelle vitrine de la monarchie française", in NYKROG Per, Chrétien de Troyes, Paris, Droz, p. 291.

[26Masmonteil, Ernest, La législation criminelle dans l’œuvre de Voltaire, Paris, Rousseau, 1901, p. 152.

[27Voltaire, "Le prix de la justice pour l’Humanité" in La Gazette de Berne, 15 février 1777.

[28Constant, Benjamin, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, Paris, A. Eymery, 1815, p. 43.

[29Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, op.cit, L. XXIV.

[30Ibid.

[31Durville, Henri, Le magnétisme transcendant, voir la seconde partie « Le pouvoir thaumaturgique royal », Paris, H. Durville, 1961, p. 173.

[32Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres Persanes, op.cit, L. XIII.

[33Ibid., L. XIX.

[34Ibid., L. VIII.

[35Ibid., L. CVII.

[36Ibid., L. XXIV.

[37Ibid., L. LXXXIX.

[38Ibid., L. CXXIV.

[39Ibid., L.LXXVI.

[40Bourdieu, Pierre, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 107.

[41Montesquieu, Charles-Henri de, De l’esprit des lois, op.cit., p. 305.

[42Ibid, p 412.

[43Montesquieu, Charles-Henri de, op.cit., p. 24.

[44Montaigne, Michel de, Essais, Paris, Firmin Didot Frères, 1870, p. 101.

[45Montesquieu, Charles-Henri de, Lettres persanes, op.cit, L. XXXVII.

[46Ibid., L. XIV.

[47Hytier, Jean, Questions de littérature : études Valeryennes et autres, Paris, Droz, 1967, p 152.

[48Montesquieu, Charles-Henri de, De l’esprit des lois, op.cit, p 469.


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