N° 102, mai 2014

Unedited History
Iran 1960-2014
Musée d’art moderne de la ville de Paris, 16 mai-24 août 2014


Jean-Pierre Brigaudiot


L’art moderne iranien, une présence disséminée et épisodique

L’art moderne iranien n’est pas très présent en France, et lorsqu’il se montre, c’est de manière parcellaire. Peut-être parce qu’il a été mis en sourdine depuis quelques décennies, c’est sans doute également parce que la notion d’art n’est pas la même, là-bas, en Iran, et c’est peut-être également dû à des visions trop schématiques véhiculées par les médias. Et son marché semble pour partie externalisé vers Dubaï notamment, avec les foires d’art et les ventes aux enchères.

Affiche de l’exposition ”Unedited History”

Une commissaire remarquable

Cette exposition à venir, Unedited History, a pour commissaire Catherine David, actrice majeure de l’art contemporain, récemment nommée au Centre Georges Pompidou en tant que directrice adjointe chargée de la mondialisation, c’est-à-dire chargée de cet art longtemps passé sous silence de régions comme le Moyen-Orient. Le rôle de Catherine David dans l’art contemporain fut notamment, et ce depuis plusieurs décennies, celui de commissaire et organisatrice de prestigieuses manifestations internationales comme la Dokumenta de Kassel, en Allemagne. Elle a dirigé le Witte de With de Rotterdam, un important centre d’art contemporain aux Pays-Bas. Elle a également conçu un grand nombre d’expositions remarquables ici et là, en France ou ailleurs. Depuis un certain nombre d’années, Catherine David s’est intéressée à l’art contemporain au Moyen-Orient, dont celui de l’Iran qu’elle connait au moins pour partie. Un art bien différent de celui que nous connaissons et marqué par l’islam. Au début des années 2000, Sami Azar, alors directeur du Musée d’art contemporain de Téhéran, lui avait fait découvrir la collection de ce musée qui va de la fin du dix-neuvième siècle à la fin des années soixante-dix, c’est-à-dire jusqu’à la révolution islamique. Cette collection est exceptionnelle en tant que première collection d’art contemporain constituée par une institution muséale publique au Moyen-Orient ; elle mêle les artistes iraniens à ceux de la modernité et des avant-gardes occidentales, notamment à ceux du Pop’art américain, en passant par le cubisme, les arts géométriques, le surréalisme et l’art informel.

Kâzem Chalipâ (né en 1957) Basijy, 1985, huile sur toile, Hozeh Honari va Sâzeman-e Tablighât Eslâmi, Téhéran

Lors de mon entretien avec Catherine David au sujet de cette prochaine exposition d’artistes iraniens, celle-ci a insisté pour parler d’art moderne plutôt que d’art contemporain, non pas pour des questions de dates, comme on le fait ici, mais pour une question de définition de la modernité telle qu’elle se conçoit sur la scène artistique iranienne. Il est indéniable qu’en Iran, étant donné la culture et la tradition persanes, ce qui s’appelle art est tributaire de ce que fut l’art jusqu’au vingtième siècle, c’est-à-dire qu’il fut avant tout un artisanat remarquable entretenant des liens étroits avec la religion. En Iran, les terminologies diffèrent et ce qui en art est projeté sur la scène artistique est moderne en même temps que contemporain. Quant à la connaissance, ici, en France, de l’art moderne iranien, elle est donc limitée, même si Paris accueille de temps à autre des expositions d’artistes iraniens, petites expositions personnelles ou expositions de groupe quelquefois thématiques. Il y a eu cependant, et c’est notable, une tentative conduite par le mensuel Art Press, de faire le point sur cet art moderne iranien, avec un numéro spécial. L’apparition de l’art moderne iranien sur la scène française me semble pour partie être motivée par les opérations commerciales conduites à Dubaï depuis quelques années. On peut faire un rapprochement avec l’émergence, il y a maintenant longtemps, d’artistes dits d’avant-garde, de l’art soviétique puis russe et de l’art chinois. Pour sa part, Catherine David insiste sur l’existence d’un art moderne iranien très tôt dans le vingtième siècle. Mais il est indéniable que cet art iranien est peu et mal connu ici, même par les Iraniens vivant en France. Il faut dire qu’en Iran, le collectionneur d’art moderne est plutôt rare, et plus encore le collectionneur avisé. L’œuvre d’art telle que nous la connaissons est quasiment absente des murs des salons des classes aisées. Le réseau des galeries est encore bien peu étendu et le rôle des institutions reste extrêmement discret.

Une exposition événement

Cette exposition accueillie par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris ne peut être qu’un événement important, d’abord en raison du lieu et de son prestige, ce musée bien que peu moderne, jouant un rôle non négligeable sur la scène artistique française. Exposition importante en ce sens que regrouper deux cents œuvres de plus d’une vingtaine d’artistes iraniens, œuvres pour la plupart inconnues du public de France, va permettre à ce dernier d’avoir une représentation, même partielle et issue de choix, mais néanmoins consistante, de l’art moderne iranien. Certes, des galeries iraniennes sont présentes dans certaines foires d’art comme Paris Photo ou Art Paris, mais ce qu’elles montrent ne donne évidemment qu’un point de vue guidé avant tout par la raison commerciale, point de vue d’autre part restreint à celui de la galerie avec ses choix en termes d’artistes. Il faut toutefois se rappeler de manifestations de plus grande envergure et hors commerce, comme Photoquai où la directrice de la galerie Silk Road de Téhéran montra simultanément au musée du Quai Branly un panorama historique de la photo iranienne et au Musée de la Monnaie de Paris certains aspects de la photo contemporaine de ce pays. Quelques galeries parisiennes montrent de temps à autre des artistes iraniens, comme le fit la galerie Thaddaeus Ropac, avec une douzaine d’artistes, disons d’avant-garde. La petite galerie Nicolas Silin présente également et occasionnellement des artistes iraniens. Par ailleurs, la galerie Nicolas Flamel, galerie iranienne dédiée exclusivement aux artistes iraniens, est sans doute la plus proche de ce qui se montre généralement à Téhéran, c’est-à-dire un art très ancré dans la culture et les formes de l’histoire artistique persane, et un art qui a plus ou moins rencontré la modernité occidentale.

Parviz Kimiavi (né en 1939), photo tirée du film Bâgh-e sangi (Jardin de pierres), 1976

200 œuvres et une vingtaine d’artistes reconnus

Le projet de cette exposition Unedited History au musée d’art moderne de la Ville de Paris est de montrer, à travers un choix d’artistes disparus ou en activité, certains aspects de l’art moderne iranien, ceci depuis le début des années soixante jusqu’à aujourd’hui. Ce choix réunit un certain nombre de médium dont le cinéma, qui est assez prisé en France et y connait un réel succès. Il y a certes la peinture, même si celle-ci n’est peut être pas la forme d’art la plus remarquable de la modernité iranienne, souvent tiraillée entre les arts et artisanats traditionnels et certaines modernités, mariage quelquefois difficile. Evidemment la photo sera représentée, puisque c’est le médium qui s’est imposé très tôt et de manière singulière dans l’Iran du vingtième siècle, c’est-à-dire dès avant la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, la photo documentaire et de reportage a connu un tournant en même temps qu’une légitimation avec la guerre Iran-Irak. Enseignée en tant que discipline dans les universités d’art, elle essaima sous différentes formes en termes de pratiques photographiques contemporaines. Il est indéniable que malgré le nombre important de photographes opérant sur la scène iranienne, quelquefois sur la base de poncifs, la photo iranienne occupe une place majeure dans l’art iranien actuel. Et puis, au cours des décennies où l’art ne pouvait guère se montrer, la photo bénéficiait de cet atout qu’est sa grande transportabilité afin de s’extérioriser.

L’exposition du Musée d’art moderne de la ville de Paris fera place au graphisme dont la pratique, en Iran, mérite réellement l’attention pour sa qualité et son dynamisme. D’ailleurs et compte tenu des catégories artistiques telles qu’elles se vivent là-bas, le graphisme est fréquemment présent dans les expositions, en tout cas beaucoup plus que ce n’est le cas ici. Ce qui signifie un autre découpage des catégories artistiques, où ce que nous appelons les arts appliqués fait là-bas partie de l’art contemporain.

Quant à la vingtaine d’artistes qui seront exposés, le plus âgé est né en 1922 et le plus jeune en 1982. Mais ces dates importent peu au regard de ce que veut montrer une exposition, et en l’occurrence celle-ci, c’est-à-dire un ensemble représentatif d’œuvres de ce que fut et est la modernité iranienne.

Mortezâ Avini (1947-1993), photo issue du film documentaire Haqiqat, Revâyat-e Fath, Téhéran

Parmi les photographes, certains sont connus comme reporters, comme par exemple Mortezâ Avini dont une part importante du travail fut centrée sur la guerre Iran-Irak, comme c’est le cas également pour Jâssem Ghazbânpour. Kâveh Golestân est un très célèbre photojournaliste. Bârbad Golshiri, avec ses vidéos, installations et performances a exprimé clairement, à travers son œuvre, un désir de changement. Bahman Jalâli représente une mouvance qui déborde la photo et qui existe d’une autre manière en peinture ou en sculpture, dans une conjugaison et superposition de certains aspects de la culture et de l’histoire persanes comme la miniature ou les arts de l’époque qâdjâre.

Chez les peintres, un artiste comme Kâzem Chalipâ a beaucoup traité le thème de la révolution avec ses martyrs, avec la guerre Iran-Irak et des sujets liés à la religion. L’un des peintres majeurs présenté au Musée d’art moderne de la Ville de Paris sera sans doute Bahman Mohassess. Kourosh Shishehgarân est un artiste très coté et reconnu, présent dans les grandes ventes aux enchères qui font le marché de l’art au Moyen-Orient. Son œuvre est très graphique et elle est significative d’une tendance bien présente dans la peinture iranienne moderne.

Le cinéma iranien sera représenté par des figures notoires comme Bahman Kiârostami, Ebrâhim Golestân, Parviz Kimiavi et Khosrow Khorshidi, parmi d’autres.

Bârbad Golshiri (né en 1982), Tombe sans titre, 2012, pochoir métallique et suie, collection de l’artiste

Une modernité, à distance des effets de mode

Le choix de Catherine David est donc celui d’une exposition un peu panoramique par la diversité des pratiques artistiques présentées et par cette traversée de plusieurs décennies. Ainsi, l’exposition à venir s’annonce comme une exposition plutôt éclectique où se côtoient certes des médium différents mais aussi des postures artistiques différentes, tant à l’égard de l’art lui-même qu’à l’égard des médium mis à l’œuvre. Ce à quoi s’ajoute le regard de chaque artiste, ce regard si important dans l’art iranien, en peinture, en photo ou au cinéma. Regard porté par l’artiste sur la société dans laquelle il se meut, dans des périodes souvent compliquées pour l’art. Et pour les artistes.

Reste à voir cette exposition et à découvrir les œuvres accrochées dans ce musée. Toujours est-il que cette exposition trouve judicieusement sa place à un moment où beaucoup de choses semblent bouger en Iran.


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