N° 108, novembre 2014

Le football et l’identité nationale


Shahâb Vahdati


L’identité nationale et ethnique repose sur une solidarité affective créée par une langue, des croyances ou un territoire. D’un point de vue géographique, elle repose sur l’idée d’un pays et selon un angle philosophique, la culture et l’histoire sont considérées comme des éléments essentiels dans la création de l’identité nationale. Les anthropologues et les sociologues, de leur côté, s’intéressent plutôt aux concepts impliqués par des notions comme « Nous », « sentiments communs » et « conscience collective », qui font partie de l’essence de l’identité nationale, laquelle s’enracine dans le sentiment d’appartenir à un groupe dont les membres partagent les coutumes, les intérêts économiques et territoriaux, mais surtout une origine commune (le mot nation vient du mot latin natio pour parler des gens de la même naissance).

A côté des éléments constituants de l’identité nationale comme une langue nationale, un territoire, etc., on peut aussi évoquer les facteurs qui sont capables de l’actualiser et de la renforcer. Malgré le rôle essentiel joué par les sports en équipe comme le football, il ne faut pas pour autant exagérer leur rôle dans la création de l’identité nationale. Ainsi, les éléments comme la langue ont un rôle permanent, alors que le football exerce une influence intense mais temporaire. En outre, nous pouvons trouver dans les compétitions sportives, une alternative aux défis violents d’autrefois organisés entre les nations ainsi qu’aux violences physiques à une époque où la guerre cesse d’exercer une fonction identitaire. Les matchs pacifiques et inoffensifs, basés sur l’accord et le contrat social contemporain, remplacent les luttes brutales du passé tout en comportantla même dimension fondatrice de l’identité nationale que la guerre ; ceci témoignant au passage d’un progrès considérable de l’humanité.

Match Iran-Etats-Unis durant le Mondial 1998 en France

Le football, un élément positif et constructeur dans la vie sociale

Le match Iran-Etats-Unis durant le Mondial 1998 en France constitue un bon exemple de la capacité du football à créer des liens affectifs entre les Iraniens d’Iran, mais aussi avec ceux de la diaspora iranienne dans le monde entier. Malgré les tensions politiques, ce match était considéré comme une compétition non-violente entre les deux pays. La réaction des Iraniens à la suite de la victoire de leur équipe constitue un exemple du rôle que peut avoir le football dans le renforcement d’un sentiment d’identité nationale commune. Ainsi, même ceux qui souhaitaient la résorption des tensions politiques entre l’Iran et les Etats-Unis se réjouirent avec force de la victoire de leur pays. Nous pouvons ainsi dire que durant ce match, les Etats-Unis furent l’adversaire identitaire de l’ensemble des Iraniens.

Au vu de l’existence des divergences politiques et idéologiques entre les Iraniens, un élément unificateur s’avère crucial pour pouvoir réellement parler de l’existence d’une identité nationale iranienne. A côté du football, seules deux questions ont pu jouer un rôle similaire durant ces dernières années : le nom du golfe Persique (après l’erreur commise par le National Geographic), et celle des droits de l’Iran sur l’énergie nucléaire.

Pour donner un autre exemple, l’équipe nationale de France composée majoritairement de Français issus d’étrangers immigrants dont des musulmans, est considérée comme un vecteur d’assimilation de ces immigrants dans leur société d’accueil. Dans ce sens, l’une des raisons de l’échec de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2001 fut sa volonté d’exclure et de bannir les joueurs allogènes (Zidane en particulier) de l’équipe nationale. Il a ainsi sous-estimé la popularité du football et son influence dans le domaine politique. Le rôle du football dans l’approfondissement de l’identité nationale est aussi manifeste et perceptible à un niveau régional. La Turquie a grandement financé ses clubs de foot pour avoir une présence forte dans les compétitions européennes afin de faciliter son intégration au sein de l’Union Européenne à travers sa reconnaissance comme un pays européen dans l’opinion publique de ces pays.

L’identité nationale basée sur l’idée de Nous par rapport aux Autres peut être une force constructrice ou destructrice. Modérée et raisonnable, elle est positive et créatrice. Dans sa forme nuisible et destructive, elle est nourrie par les fanatismes ethniques et le nationalisme extrémiste. Dénier les mérites de l’adversaire et le diaboliser font partie de ces préjudices souvent amplifiés par les médias. Dans les sociétés contemporaines, le football dépasse le cadre d’un simple sport et est devenu un phénomène au centre de l’attention de centaines de millions de personnes. Pour certains sociologues, le football a remplacé la religion dans les sociétés dites développées. Certains ont de même comparé les matchs du championnat d’Europe aux mythologies épiques et insistent sur le fait que dans les sociétés laïques, le football a compensé l’absence de la religion. Dans les régimes autoritaires, nous pouvons citer le profit que le régime des généraux argentins a tiré du mondial de 1978. En organisant une coupe du monde fastueuse et en déployant de grands efforts pour la gagner, les généraux dictateurs entendaient donner une image positive de leur régime qu’ils ont essayé de mieux faire accepter en canalisant à leur profit les émotions issues de la fibre nationaliste du peuple argentin. La victoire de l’équipe nationale sur un ennemi politique ou un concurrent puissant entraîne également de véritables fêtes au niveau national, dont un exemple contemporain dans le contexte iranien pourrait être celui de l’équipe iranienne sur les Etats-Unis et sur l’Australie en 1998.

Le jeu dans les compétitions sportives de nature pacifique confère au football une fonctionnalité didactique permettant de mieux intégrer les règles du vivre ensemble. Le football a ainsi pu contribuer à réduire la xénophobie dans le monde et être un lieu de connaissance entre les peuples de différents pays. Au sein même d’un pays comme l’Espagne qui est le théâtre de volontés indépendantistes des Catalans et Basques, la victoire de l’équipe espagnole au mondial 2010 en Afrique du Sud a contribué à momentanément amenuiser ces tendances. A l’inverse, une défaite peut porter un coup important à la fierté nationale, comme à la suite de la défaite de l’Iran face à l’Arabie Saoudite en 2009, qui fut peut-être la plus lourde de l’histoire du football iranien et mal vécue par l’ensemble de la population. Face à cela, la présence de l’équipe nationale iranienne au mondial de 2014 a contribué à améliorer le moral de la population, alors même que le pays avait durement été frappé par les sanctions économiques.

Les Bleus et les Rouges (les clubs Esteghlâl et Persepolis)

Le football peut donc contribuer à atténuer les tensions politiques et sociales, et dépasse pour cela le cadre d’un sport ordinaire. C’est la raison pour laquelle il attire l’attention non seulement de simples spectateurs, mais aussi des politiciens et sociologues. Dans tous les pays du monde, l’autorité politique est sensible à la victoire ou la défaite de leur équipe nationale lors des diverses compétitions. Quand une équipe nationale remporte un match ou un championnat, l’autorité politique félicite les sportifs et profite de l’occasion créée par la joie populaire pour améliorer ses liens avec la population. Si en revanche elle perd un match, un silence significatif se fait autour du système au pouvoir, ce qui atteste de la force du football dans la vie politique.

Il va cependant de soi que les effets du football professionnel ne sont pas toujours positifs. Ce sport attise ainsi parfois la haine et l’hostilité vis-à-vis d’une autre nation ou d’un groupe de personnes, comme les partisans d’un club adversaire situé dans la même ville. En Iran, c’est parfois le cas entre les partisans des deux principaux clubs de Téhéran, les Bleus et les Rouges soutenant respectivement les clubs Esteghlâl et Persepolis. Les stades de foot, fréquentés majoritairement par les hommes de moins de 29 ans (plus de 90 %) sont les lieux que la jeunesse iranienne des classes sociales populaires considère comme un exutoire des différentes tensions économiques et sociales. Comme nous l’avons dit, le football excède donc les cadres d’un sport conventionnel : il est non seulement une activité physique qui cherche à promouvoir la santé physique et morale fondée sur l’idée d’une concurrence constructive et l’esprit d’équipe, mais peu aussi créer des problèmes ou contribuer à exacerber ceux qui existent déjà.

Un commerce rentable, l’opium populi

Dans un monde hyper-capitaliste qui a besoin de distractions, la relative neutralité du football convenant à l’ère du politiquement correct, sa compréhension immédiate par tous et sa dimension extralinguistique, son aspect épique unique dans son genre et remplaçant la guerre (de plus en plus machinale et déshumanisée) ou la littérature (dans ses formes diverses, le cinéma compris) réservée aux instruits, font du football une entreprise infiniment rentable dans tous les pays. La Premier League en Angleterre voit la présence des investisseurs du monde entier, d’un ancien oligarque russe jusqu’aux rois du pétrole comme le Qatar ou l’EAU ainsi que des investisseurs américains (pour le FC Liverpool et Manchester United). Le revenu d’un footballeur a augmenté de dix fois depuis dix ans, et sûrement encore plus pour les investisseurs. Divers sont les moyens de tirer profit de la réputation d’un joueur de classe mondiale ou d’une équipe qui remporte les championnats pour ceux qui financent le football : les droits de diffusion télévisée, la vente des billets au stade, jusqu’à celle des maillots avec les noms des joueurs.

Pour ce qui concerne les pays un temps relativement épargnés par un capitalisme effréné faisant du sport un champ de récolte de profits, se pose aussi la question de la professionnalisation du football en vue de faciliter son progrès, comme la question se pose actuellement en Iran. Dans ces pays, on décide souvent que le gouvernement finance le football à travers le ministère des Sports, en injectant des sommes colossales dans les équipes selon le nombre de leurs partisans. On peut dire dans un sens que ce choix a mené au progrès du football de ces pays. Mais en Iran, le résultat est loin de correspondre aux attentes. L’argent facile et les sommes disproportionnées versées trop rapidement sur les comptes des joueurs sont loin de contribuer à augmenter leurs performances, et le sommet de la réussite pour la plupart de ces équipes nationales dont l’Iran se limite encore à accéder à la première étape de la Coupe du monde, avant de la quitter après des résultats faibles ou moyens.

Bibliographie :
- Abdollahiân, Hamid, "Football va kashf-e alaêm-e taghirât-e farhangi" (Le football et la découverte des signes précurseurs des changements culturels), Nâmeh Oloum Ejtemâ’î, no. 2002.
- Hâshemi, Seyyed Ziâ, "Football va hoviat-e melli" (Le football et l’identité nationale), no. 2, 1386 (2007).
- Akhavân,, Kâzemi ; Safi, Ghaleh, Ta’sir-e football bar anâsor-e hoviat-e melli (L’influence du football sur les éléments de l’identité nationale), Moassesseh-ye oloum-e ensâni va motâle’at-e farhangi, 1389 (2010).
- Malakoutiân Mostafâ, "Varzesh va Siâsat" (Le sport et la politique), revue Siâsat, 1388 (2009).
- Nâderiân Massoud, Osoul-e djâmeh’-e shenâsi-e varzesh (Les bases de la sociologie du sport), Faculté des Beaux arts, Ispahan, 1ère ed., 1384 (2005).


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