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L’apogée de l’influence artistique perse dans la sphère culturelle chinoise date de la dynastie Tang, contemporaine de la fin de la période sassanide et des premiers siècles de la conquête islamique. L’influence de l’art chinois en Perse se manifeste quant à elle avant tout dans le domaine de la céramique et des artisanats du même type. Concernant la peinture, il faudra attendre la période ilkhânide pour y déceler l’influence de la Chine.
Certaines fresques datant des VIe et VIIe siècles (dynastie des Sui 581-618) retrouvées dans les grottes bouddhiques de Dunhuang (Tun-Huang), comprennent des médaillons à bordure de perles décorés de cavaliers en train de chasser des lionnes ; leur modèle est probablement dérivé des modèles sassanides ainsi que d’un certain nombre de motifs associés à l’art sogdien [1] de Pendjikent [2]. L’art persan de l’époque sassanide a également influencé ferronnerie et peintures murales chinoises à l’époque de la dynastie des Tang ; par exemple celles qui se trouvent dans les tombes des princes de la dynastie Tang, c’est-à-dire du prince Yide (682-701) et du prince Zhanghuai (654-684) à Gan Xi’an, dans la province du Shensi, où les images telles que celle d’une femme sous un arbre proviennent clairement des motifs des récipients en argent des Sassanides. Certains chercheurs estiment que Wu Dao-Xuan, le peintre de l’époque de la dynastie Tang, s’est inspiré des peintures rupestres de l’Asie centrale.
Dans l’autre sens, à l’exception de quelques manuscrits manichéens illustrés datant de cette même période et retrouvés en Asie centrale, on voit peu de preuves de l’influence chinoise sur la peinture iranienne. Dans les sources musulmanes de l’époque abbasside, le nom de deux peintres chinois ainsi que ceux de plusieurs tisserands et potiers chinois sont mentionnés, mais il ne reste aucune œuvre de ces artistes ni aucune trace visible de l’influence de l’art chinois sur le style de la peinture ou de la ferronnerie de cette époque, bien que cette influence ait été très forte dans le domaine de la céramique.
Bien que l’on estime que les artistes seldjoukides ont pu adopter certains éléments Est-Asiatiques de la Chine du Nord sous la dynastie Liao (907-1125) et la dynastie Jin (1115-1234), la rareté des peintures persanes de l’époque empêche toute identification. L’influence est-asiatique sur la peinture persane se manifeste d’abord dans les manuscrits illustrés sous le règne des Ilkhânides, lorsque leur capitale Tabriz, centre des activités artistiques et culturelles, était en contact direct avec la Chine grâce à la Route de la Soie. On estime que la majorité des peintures retrouvées de cette période ont été réalisées dans cette ville, car les peintres de cette époque pouvaient rencontrer les voyageurs ainsi que les ambassadeurs chrétiens et chinois qui fréquentaient souvent Tabriz. L’art des icônes est ainsi introduit par les chrétiens, alors que les Chinois font découvrir aux artistes iraniens les productions artistiques de leur pays qu’ils introduisent en passant par Tabriz, parfois pour les exporter plus à l’ouest, parfois en tant que présents envoyés par des empereurs chinois. Le centre de peinture le plus important à Tabriz de l’époque ilkhânide était le campus académique de Rob’-e Rashidi [3]
qui fournit l’opportunité d’une renaissance de la peinture persane. Dans les sources de l’époque, les allusions aux peintres qui ont vécu sous le règne iIlkhânide sont nombreuses, mais en aucun cas on ne peut leur rapporter avec certitude des œuvres qui nous sont parvenues de cette période. Parmi ces peintres, on peut faire allusion à Doust Mohammad, Ahmad Moussâ, ou son élève Shamseddin. L’impact chinois sur divers aspects de la peinture persane est particulièrement évident dans des manuscrits tels que le Manâfe’ al-Hayawân [4] d’Ibn Bakhtishu, des fragments du Jame’ al-Tavârikh de Rashideddin, et un fragment d’un manuscrit du Shâhnâmeh de Ferdowsi jadis à la disposition d’un marchand appelé Benjamin Demotte et qui est également connu sous le nom de Grand Shâhnâmeh Mongol. Certains dessins de cet ouvrage sont attribués à Shamseddin.
Manâfe’ al-Hayawân d’Ibn Bakhtishu a été copié à Marâgheh dans les années 697 ou 699/1297 et il est aujourd’hui conservé à la Pierpont Morgan Library. En ce qui concerne les fragments du Jame’ al-Tavârikh de Rashideddin, ils sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque de l’Université d’Edimbourg en Ecosse. Une autre collection privée de ces ouvrages existe aujourd’hui en Suisse, collection jadis conservée à la Société royale asiatique de Londres.
A la fin du XIIIe siècle, les arbres, les fleurs et les paysages à la chinoise se manifestent dans les peintures persanes de l’époque mongole. On dit que cette imitation et ces emprunts faits aux dessins chinois proviennent des objets importés de Chine, de Mongolie et d’Asie centrale. Mais il est également fortement probable que ces motifs et cette méthode chinoise aient été diffusés par des artisans chinois qui travaillaient à la cour ilkhânide à Marâgheh. Durant ce siècle, à la suite du règne des Mongols en Iran, la peinture persane se transforme sous l’influence de la peinture asiatique - phénomène dont témoignent les dessins retrouvés dans les livres et les récipients de l’époque.
Les thèmes principaux dans les peintures chinoises de cette période souvent monochromes et dessinées à l’encre sont alors la montagne, l’horizon et la forêt. En revanche, chez les peintres iraniens de la même époque, les paysages naturels ne sont pas considérés comme une branche indépendante de la peinture. C’est à la suite de la pénétration de l’art chinois dans la peinture persane que les artistes iraniens accordent davantage d’attention aux paysages, qu’ils représentent désormais avec plus de précision. Ainsi, les manuscrits persans de cette époque rappellent les dessins de paysages d’Extrême-Orient.
Nombreuses sont les caractéristiques de la peinture persane de cette période influencées par la peinture chinoise, à savoir : figuration de montagnes hautes et spongieuses dessinées dans le lointain et souvent entourées de nuages mousseux, d’arbres tordus et parfois de fleurs souvent dessinées aux pieds de ces montagnes et de rochers ; utilisation de l’horizon étendu ainsi que du ciel bleu ou doré où les nuages sont en train de se mouvoir ; dessins d’êtres surnaturels tels que des dragons que les peintres iraniens utilisaient dans leurs œuvres sans tenir compte de leur dimension symbolique en Chine, etc.
Par exemple, dans une peinture remontant à la période des Song et dessinée par Ma Lin, les arbres sont représentés tordus et sinueux ; au lointain, on peut voir des montagnes avec leurs piémonts aux couleurs plus vives. Sous les arbres, coule l’eau d’une rivière qui semble venir de loin. Dans cette œuvre chinoise, on peut également discerner le visage de deux êtres humains : l’un assis entre les deux arbres de manière à être comme enclos par les arbres et l’autre, debout de manière disproportionnée par rapport à l’espace, en train d’observer. Le mouvement et la courbure des arbres ainsi que les couleurs et les visages des individus créent un espace émotionnel tout en générant un sentiment de détente. Cette forme tordue pour les arbres est également dessinée dans une peinture du Shâhnâmeh de Demotte où est représentée la lutte de Bahrâm Gour (Bahram V) avec le loup.
Dans cette peinture, la scène de la lutte est représentée de façon très réaliste, avec des arbres tordus à gauche aux branches penchées vers la droite, de sorte que le personnage principal semble être dans un espace clos, au centre de l’image. De ce point de vue, cette peinture rappelle l’œuvre citée de Ma Lin ; cependant, contrairement à cette dernière, l’image du Shâhnâmeh ne véhicule aucun sentiment de paix et de détente.
Malgré l’influence de l’art chinois, il demeure toujours certains éléments importants distinguant les peintures chinoises de celles des artistes persans, parmi lesquels la représentation de la profondeur et de l’éloignement, qui est plus nettement soulignée dans la peinture chinoise que dans les œuvres persanes. La profondeur permet à l’artiste chinois de représenter la nature avec plus de précision dans son œuvre, alors que l’artiste persan ne cherche pas à imiter en détail les éléments naturels mais à représenter ce qu’il observe dans la nature tout en y ajoutant ses propres interprétations, pour reconstruire une nature idéale et imaginaire.
Bibliographie :
Sugimura, Toh, Chinese-iranian relations : mutual influence in painting, 1991, http://www.iranicaonline.org/articles/chinese-iranian-xii
Mazâheri, Mehrangiz et coll., "Tabi’at gerâ’i dar naqqâshi-hâye Tchin va Irân - dorân-e Song, Yuan va Mogholan-e Ilkhani (Le naturalisme dans les peinture chinoises et iraniennes - périodes Song, Yuan et Mongols Ilkhanides), 1389 (2010), in : Faslnameh Motale’ât-e honar-e eslâmi : http://fa.journals.sid.ir/ViewPaper.aspx?ID=117115
[1] Relatif à Soghd, province la plus septentrionale du Tadjikistan, et dont le nom est lié à la Sogdiane historique.
[2] Ville de la province de Soghd, dans le Tadjikistan actuel.
[3] Campus académique fondé par le grand vizir Rashideddin à Tabriz au XIIIe siècle.
[4] Ouvrage sur les animaux écrit par Ibn Bakhtishu à Bagdad et traduit en persan sur l’ordre de Ghâzân Khân, le septième ilkhân de Pers e, à Marâgheh.