N° 117, août 2015

Une galerie d’art aussi vaste qu’une ville


Babak Ershadi


Le 5 mai 2015, les habitants de Téhéran ont eu la grande surprise de voir les panneaux publicitaires de leur ville recouverts par des images d’œuvres d’artistes iraniens et étrangers. L’événement était général. En une seule nuit, la mairie de Téhéran a remplacé les publicités des produits de consommation et de services par les copies de bonne qualité d’œuvres d’art : peinture, sculpture, calligraphie, photographie, architecture… de toutes les époques, de toutes les écoles et de tous les pays.

L’ensemble des 1600 panneaux publicitaires appartenant à la mairie de Téhéran a été mobilisé pour l’organisation d’Une galerie d’art aussi vaste qu’une ville (Negârkhâneh bevos’at-e yekshahr), avec les copies de 200 œuvres d’artistes étrangers comme Picasso, Braque, Matisse, Van Gogh… et de 500 œuvres d’artistes iraniens comme le calligraphe Rezâ Mafi, les peintres Sohrâb Sepehri ou Kamâl-ol-Molk... Pendant dix jours, la capitale iranienne (12 millions d’habitants) s’est transformée en un véritable musée d’art.

« C’est super de voir tous ces tableaux. اa change des publicités pour telle ou telle marque », se réjouit Leyla, une étudiante de 24 ans.

« C’est très beau. Mais, hélas, ça va vite se terminer. J’espère que ce n’est pas une tactique pour habituer les gens à regarder les panneaux avec plus d’attention, quand les publicités reviendront à leur place ! D’ailleurs, avec cette belle initiative, la mairie va certainement réussir à revaloriser ses panneaux, surtout ceux qui ont un meilleur emplacement », dit Saïd, 30 ans.

« La mairie nous a vraiment surpris. Il faut remercier ceux qui ont eu cette belle idée et qui l’ont si bien réalisée. Il est évident qu’en remplaçant les publicités par des œuvres d’art, la mairie sacrifie une partie de ses revenus pendant une dizaine de jours pour un projet culturel », écrit Omid sur Instagram.

L’idée du projet d’Une galerie d’art aussi vaste qu’une ville vient de M. Saïd Shahlâpour, sculpteur, peintre et architecte iranien. A 71 ans, le conseiller artistique de l’Organisation d’embellissement de Téhéran, un organisme de la mairie, a réalisé l’un de ses rêves qu’il explique dans une interview avec le quotidien Hamshahri : « Depuis dix ans, je cherchais un moyen d’apporter l’art dans la vie quotidienne des gens. Tout le monde n’est pas amateur de musées, de galeries d’art ou d’expositions. Les gens n’y vont pas tous. Je voulais pourtant donner à un grand public le goût d’aller aux musées et aux expositions d’art. Finalement, j’ai eu cette idée d’exposer les œuvres d’art là où les gens ne peuvent pas ne pas les voir. »

Téhéran est-elle la première grande ville du monde à entreprendre un tel projet ? Peut-être que oui, peut-être que non. Néanmoins l’intérêt que les médias du monde entier ont apporté à cette exposition urbaine à Téhéran témoigne de l’admiration qu’elle a suscitée. Les habitants de la capitale iranienne et les voyageurs qui ont séjourné à Téhéran début mai s’en sont réjouis. « Mes clients sont tous contents. Faire connaître les artistes étrangers et iraniens est une très bonne chose », a témoigné au journaliste de l’Agence France Presse, Mohsen Moslemi, un chauffeur de taxi d’une soixantaine d’années.

Le IVe Congrès international d’architecture moderne avait défini en 1933 « la ville fonctionnelle » en tant qu’aboutissement de l’architecture et de l’urbanisme modernes. L’urbaniste français Le Corbusier et les autres signataires de la Charte d’Athènes ont défini quatre fonctions fondamentales de la ville moderne : habiter, travailler, se déplacer et se récréer. Une galerie d’art aussi vaste qu’une ville était sans doute une belle récréation collective pour les habitants de la capitale, une détente agréable dont ont besoin les citadins contemporains.

M. Habib Aghâ-Bakhshi, sociologue, réagit à ce projet urbain en ces termes : « La ville avait vraiment besoin d’un tel événement. Tout monde en parle, parce que tout le monde se sent concerné. Un sentiment esthétique partagé à une si grande échelle peut améliorer les relations sociales. L’art prend sa source dans l’amour et la beauté, il est le contraire de la violence. Le projet de la mairie de Téhéran a eu sans aucun doute des effets sociaux positifs. La vue de ces œuvres d’art qui couvrent tous les panneaux publicitaires donne aux habitants l’expérience agréable de partager cet esthétisme collectif. C’est bien de vivre dans une belle ville, et cela aura certainement des effets positifs sur le comportement des individus. »

Le PDG de l’Organisation de l’embellissement de Téhéran, Jamâl Kamyâb, a dirigé le projet d’Une galerie d’art aussi vaste qu’une ville. Dans une interview accordée au quotidien Hamshahri, il a expliqué que la mairie de Téhéran n’avait pas utilisé les fonds de la ville pour réaliser ce projet relativement coûteux : « Les contrats que l’Organisation de l’embellissement de Téhéran signent avec les sociétés de publicité comptent une clause portant sur une participation du client de nos panneaux publicitaires aux activités culturelles de la mairie de Téhéran, de 7% à 15% du prix du contrat. C’est ce fonds que nous avons utilisé pour le projet d’Une galerie d’art aussi vaste qu’une ville. »

« Contempler des œuvres d’art dans un lieu calme et en silence a sans aucun doute plus d’effet, mais combien de personnes peuvent aller dans les galeries et les musées ? Nous voulions rappeler l’art aux gens », souligne encore Jamâl Kâmyâb.

Le 16 mai, et en une seule nuit, la mairie a remis les publicités à leur place habituelle. Les œuvres d’art ont disparu, mais ce n’est pas la fin de cette aventure urbaine. Où sont maintenant les copies d’œuvres artistiques qui ont embelli notre ville pendant une dizaine de jours ? L’Organisation de l’embellissement de Téhéran les a distribuées gratuitement à des établissements scolaires, des universités et des centres culturels. Le projet a eu un si grand succès parmi les habitants de Téhéran que la mairie a déjà décidé de renouveler cette expérience au moins une fois par an. « Ce qu’ils ont fait est incroyable. C’est une action culturelle exemplaire », salue Lilie Gholestân, l’une des plus anciennes directrices de galerie d’art à Téhéran dans une note publiée par le quotidien Shargh.


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