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L’architecture naît des besoins culturels et des particularités climatiques spécifiques de chaque région. De ce fait, elle est fortement rattachée à la culture des habitants. Plus elle est adaptée aux usages de la population, plus elle est pertinente au contexte. C’est le cas de l’architecture traditionnelle iranienne dont les caractéristiques sont liées au climat et à la culture de l’Iran. L’architecture de l’habitation, qui symbolise la famille, occupe par ailleurs, de par des raisons culturelles, une place très importante chez les familles iraniennes. Pour eux, l’habitation est avant tout un endroit pour le vivre-ensemble familial. Le concept de la famille a une importance d’autant plus grande qu’il est conforté par des préceptes coraniques et culturels qui le désigne comme « abri sûr » pour ses membres.
L’architecture résidentielle traditionnelle iranienne divise l’habitation en deux parties distinctes : l’andarouni, ou corps du bâtiment exclusivement réservé aux femmes et interdit à tout adulte de sexe masculin à l’exception des proches ; et le birouni, ou corps de réception, destiné à l’accueil des invités et hôtes étrangers. Cette seconde partie de l’habitation abrite généralement de grandes pièces, une salle de réception et un cabinet consacré au travail ou à l’accueil de visiteurs dans le cadre du travail. Les deux bâtiments sont reliés par un portail, et un mur élevé entoure l’andarouni pour préserver l’intimité de la famille. Nous donnons ici un aperçu plus détaillé de ces deux notions dans la résidence traditionnelle iranienne.
- Andarouni : Dans la culture iranienne, antique et islamique sans distinction, les femmes doivent s’habiller en couvrant la majeure partie de leur corps lorsqu’elles sont en présence d’hommes n’appartenant pas à famille proche, autrement dit littéralement les nâmahram (non proches). Ce précepte, plus ancien même que l’entrée de l’islam en Iran, a contribué au développement du concept andarouni/birouni dans les maisons traditionnelles persanes, qui a conduit à la division des espaces d’habitation selon les sexes. Précisons que l’entrée de l’islam en Iran à partir de l’an 651 a permis l’émergence d’une culture mixte dont toute l’architecture post-antique iranienne est imprégnée. Ainsi, avec l’arrivée de l’islam en Iran, les caractéristiques antiques de l’architecture iranienne les plus en accord avec les préceptes de la nouvelle religion prennent beaucoup d’importance, y compris la séparation générique.
Le mot andarouni, signifiant littéralement « ce qui est intérieur » ou la partie « intérieure », désigne un bâtiment autonome relativement grand érigé au centre ou à l’arrière de l’habitation ; c’est dans ce corps de bâtiment que résidaient les membres de sexe féminin de la famille. Dans l’andarouni, les femmes étaient libres de se vêtir comme elles le souhaitaient et seuls les hommes de la famille proche étaient autorisés à entrer.
L’andarouni était généralement doté d’une cour verdoyante avec un bassin au milieu et un jardin qui multipliait la beauté de cet espace dédié aux femmes. Autrefois, l’andarouni était aussi vu comme un espace d’apprentissage pour les jeunes filles que l’on préparait au mariage en leur apprenant les arts du ménage tels que la cuisine, la couture, les arts propres aux femmes, etc.
Cependant, le mot andarouni ne désigne pas uniquement un espace physique dans l’habitation, c’est aussi un concept. Chez les Iraniens, le concept d’andarouni renvoie à la notion de foyer sûr. C’est le cœur de l’habitation et un refuge pour tous les membres de la famille qui y partagent leurs moments.
Mais l’andarouni ne désigne pas uniquement le corps de l’habitation réservé aux femmes. Au fil du temps, la signification du concept s’est élargie pour désigner l’ensemble des résultats de l’application d’un certain principe d’« introversion » dans l’architecture traditionnelle iranienne. Selon l’architecture résidentielle introvertie, la cour est l’élément central de l’habitation traditionnelle et l’andarouni désigne l’ensemble des pièces entourant une cour intérieure couverte ou non-couverte. Cette cour permet au vent de circuler et aère de ce fait les pièces de l’andarouni.
Etant donné que la famille réside habituellement dans ces pièces, une grande importance est accordée à la construction de cet ensemble qui doit être à la fois beau et confortable. Pour rajouter à la beauté de l’andarouni, les portes et fenêtres sont décorées de vitraux colorés et les murs ornés de gravures ou de fresques. Les styles architecturaux traditionnels choisis pour l’andarouni contribuent accessoirement à générer une atmosphère de paix et de sérénité, favorisant la méditation, la prière, le calme et le repos.
Selon le Târikh-e Azodi [1] (L’Histoire selon Azodi), le mot « andarouni » était anciennement synonyme du gynécée ou du harem, autrement dit des appartements royaux des épouses du roi. Cependant, l’andarouni n’était pas réservé à une caste particulière et il a été durablement associé à la vie familiale de toutes les classes sociales iraniennes. Cet espace intérieur particulier a ainsi fortement contribué à la notion de solidarité et de cohésion familiale toujours très fortes aujourd’hui en Iran.
Dans les grandes maisons anciennes, l’andarouni comporte un bon nombre de pièces, dont le neshiman (salle de séjour), le golkhâneh (jardin d’hiver), les otâgh-e khâb (chambres à coucher), le sofreh khâneh (salle à manger), les otâgh-e dodari va pandj dari (des pièces à deux ou cinq portes), l’orossi (range-chaussures), le shâh neshin (place d’honneur dans la salle de réception, réservée aux invités d’honneur), le zirzamin (une cave où l’on stocke et conserve les aliments), le howz khâneh ou sardâb (pavillon d’été pourvu d’un bassin au milieu de sa cour centrale), le hayât (une cour disposant de plusieurs jardins et d’un bassin doté de multiples jets d’eau) et le bâghtcheh (grand jardin intérieur). L’andarouni dispose d’une entrée séparée de l’entrée principale. S’ouvrant généralement sur l’arrière de l’habitation, on l’appelle dar-poshti (littéralement "la porte de l’arrière").
- Birouni : Le birouni (littéralement « l’extérieur » ou « l’externe ») est la partie « publique » de la maison traditionnelle iranienne qui procure un espace d’accueil pour les invités n’appartenant pas à la famille. Autrement dit, c’est le lieu d’accès des hommes qui ne sont pas reliés à la famille par des liens sanguins. Dans un sens plus large, le birouni était anciennement un lieu d’exercice d’activité professionnelle. De ce fait, les résidences des grandes figures iraniennes dont les religieux, les politiciens, la noblesse ou les grands marchands disposaient et disposent encore pour certaines d’un grand birouni. En général, le birouni est organisé autour d’une cour ornée au centre d’un bassin et entouré de jardins. Cet espace traditionnellement masculin est un des symboles forts du sens de l’hospitalité et du goût pour les rassemblements et les réceptions des Iraniens.
Outre le mehmân khâneh, qui est la salle de réception principale, le birouni comprend d’autres éléments dont les plus importants sont le matbakh (la cuisine), la conciergerie et les logements de la domesticité, l’âbanbâr (réservoir d’eau), une cour plantée d’arbres avec au centre un grand bassin et entourée autrefois par les écuries, la grange, etc. La communication du birouni avec l’extérieur se fait par l’intermédiaire d’un hashti (le mot hasht signifiant huit), qui est un vestibule octogonal s’ouvrant sur plusieurs directions. Le hashti est donc le grand vestibule de l’entrée principale, qui offre à la fois un espace de circulation et de distribution. Le birouni donne généralement sur la rue principale ou le marché central de la ville.
Durant le XXe siècle, suite à la modernisation et l’urbanisation des villes, le concept d’andarouni/birouni a perdu son usage dans les maisons iraniennes. Aujourd’hui, l’andarouni signifie à peine les chambres à coucher des parents et des enfants, enfants qui sont désormais durant la journée à l’école. Quant au birouni, la diffusion de l’idée de sorties divertissantes et l’apparition d’établissements tels que le cinéma, le restaurant, les jardins publics, etc., l’ont aujourd’hui quasi vidé de son sens.
Sources :
Ghâssemi, Maryam ; Me’mâriân Gholâm-Hossein, "Gounehshenâsi khâneh-ye doreh qâdjâr dar Esfahân" (Typologie des maisons iraniennes de l’époque qâdjâre), in Nashriyeh-ye hoviyyat-e shahr (Revue de l’Identité de la ville), n° 7, 1389/2010. - Latif, Samâneh, "Barresi fazâ-hâye andarouni va birouni dar khâneh-hâye maskouni-e gozashteh va emrouz" (L’espace andarouni/birouni dans les maisons persanes anciennes et contemporaines), exposé à la Conférence Nationale de l’Architecture et de l’Urbanisation, Université Azâd islamique de Qazvin, 1390/2011.
[1] L’Histoire de Azodi, compilée en 1886 par Abbâs Mirzâ, le fils de Fath Ali Shâh Qâdjâr. Le livre est consacré à la vie privée des rois qâdjârs.