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Abandonnés aux oubliettes de l’histoire, il ne nous reste aujourd’hui que de simples mots pour désigner certains vestiges du passé de cette terre ancienne qu’est l’Iran et qui fut jadis le berceau de l’une des plus riches et importantes civilisations du monde.
Malheureusement, nous sommes actuellement témoins de la disparition de nombreux savoir-faire et techniques artistiques et artisanaux du passé. L’émaillage fait partie des métiers artisanaux dont l’existence remonte à près de quatre mille ans et qui s’est ensuite développé et enrichi au cours des siècles. Aujourd’hui, la permanence de cet art semble cependant menacée du fait d’une faible transmission de sa technique d’une génération à l’autre et avec la disparition des dernières générations d’artisans spécialisés.
Lorsque nous feuilletons des livres ou des manuels de référence sur l’émail, nous tombons la plupart du temps sur des définitions presque similaires, telles que : "Substance vitreuse, opaque ou transparente, dont on recouvre certaines matières pour leur donner de l’éclat ou les colorer de façon inaltérable. Un émail est généralement composé de sable siliceux, d’un mélange de potasse et de soude, d’oxydes métalliques colorants, le tout fondu à chaud. L’émail de fer sert au travail sur le métal, tout comme l’émail de verre sert à la décoration de vitraux. Il existe également d’autres formes d’émaux pour recouvrir des objets métalliques ou bien des céramiques ou de la porcelaine".
La plus ancienne verrerie du monde se trouvait en Egypte, si l’on en croit les chercheurs qui soutiennent que les premiers prototypes remontent à l’époque des pharaons. En Iran, les plus anciens verres ont été retrouvés dans le Lorestân. Ces verres en forme de boulons sont propre à l’art Kâssi, et datent du second millénaire avant Jésus-Christ. Compte tenu de l’absence de tout échange culturel, à l’époque, entre les ethnies qui vivaient au pied du mont Zagros et celles de la vallée du Nil, on peut en déduire que la fabrication du verre en Iran s’est fait indépendamment et sans être influencée par la verrerie égyptienne. On peut ainsi lire dans un numéro de la revue Archéologie et Art iraniens que "Les fouilles effectuées entre 1948 et 1958 à Hassanlou, en Azerbaïdjan, ont laissé apparaître six grains de collier en verre propre à la civilisation des Mâns et datant entre 900 et 800 av. J.-C. Sur trois de ces grains (colorés), on retrouve des arbres, dessinés à l’émail".
Quant à la glaçure sur métal, on peut lire dans la même revue qu’une paire de boucles d’oreilles en or a par ailleurs été découverte lors des fouilles de Nahâvand. L’intérieur et le pourtour de ce bijou qui représente le soleil sont minutieusement travaillés. Cette sorte d’orfèvrerie remonterait au VIIème siècle. Des bijoux similaires ont été découverts entre 1947 et 1950 au Kurdistan. Le plus célèbre d’entre eux est une croix en or dont la face est recouverte d’une glaçure de verre. Quant aux perles de colliers aux motifs divers, ils sont la plupart du temps de couleur beige, bleu ciel ou marron. Ce genre de grains a été découvert en abondance dans toute la région de Guilân.
Durant toute la période Achéménide, les grains ou billes en verre ou recouverts d’émail ont joué un grand rôle dans l’art de la bijouterie de cette époque. Petit à petit, le verre s’est affiné et fut remplacé par des pierres précieuses et semi précieuses. Cette technique a connu un essor important chez les Iraniens, après l’assaut d’Alexandre le Macédonien en Iran et l’ouverture des voies commerciales (Grèce-Syrie). Ceci contribua à la diffusion du savoir faire des Grecs, qui maîtrisaient parfaitement l’art de remplacer les pierres précieuses par le verre.
Aux environs de Roudbâr à Guilân, d’Ardébil ou encore de Khalkhâl en Azerbaïdjan, de nombreux colliers, bracelets et autres bijoux ont été retrouvés. Sur la plupart d’entre eux on retrouve des personnages ou héros de la mythologie grecque. Les pierres précieuses montées sur des bagues sont soit de couleur marron, soit bleues.
Cet art semble avoir connu son apogée à l’époque Sassanide. C’est à cette même époque que cet art fut diffusé jusqu’en Chine pour devenir depuis l’art national du pays du soleil levant. Un grand nombre de motifs et de couleurs que l’on retrouve sur des objets chinois viennent en fait de la Perse dont les artistes avaient fait l’objet d’une grande admiration de la part de leurs collègues chinois.
Durant l’ère Sassanide, des billes de verres très simples et de couleurs diverses ont été retrouvées aux alentours de Guilân. Cependant, ce qui fait la particularité de ces objets est l’emploi de verreries de mines dans le processus de fabrication ainsi que les motifs qui y sont tracés et qui transforment ces simples billes en véritables objets d’art. Le meilleur exemple de ce genre se trouve sur une assiette en or appartenant à la cour de Shosroès II, et qui est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque Nationale de Paris.
A partir de l’ère islamique, le motif de la fleur et de la vigne, en vogue à l’époque, fut de nouveau très apprécié et l’écriture coufique, très appropriée pour ce genre de motifs, fut abondamment utilisée. Parmi ce genre d’œuvres, on peut faire référence à une épigraphe datant de l’an 559 de l’hégire lunaire ayant appartenue à un dénommé Mohammad Ben Abdolvâhid Harâti. Cette inscription est ornée d’un minutieux travail d’émaillerie réalisé par Hâjeb Massoud Ben Ahmad. Cette épigraphe est conservée au musée de l’Ermitage. Il existe également une autre œuvre de ce genre au musée du Louvre : il s’agit d’une épigraphe sur un récipient en laiton et dont les inscriptions nous permettent de découvrir son propriétaire et la date de sa fabrication : Othmân Ben Suleymân Nakhjavâni, 586 de l’hégire lunaire.
A l’époque des Seldjoukides, la fabrication d’objets émaillés était de coutume et les principales villes où ils étaient fabriqués étaient surtout Mossoul et Damas. Mossoul était célèbre pour ses fabriques de laiton et d’émaillerie et Damas servait plutôt de cité-relais pour expédier les objets fabriqués vers les pays lointains.
Une nouvelle méthode pour travailler le fer et l’émail apparut durant la période qui succéda aux premières invasions mongoles. Conformément aux documents historiques retrouvés, Ghazân Khân, premier Ilkhân Mongol et musulman qui régna entre 694 et 703 de l’hégire lunaire, était un fervent admirateur de la chimie, mais contrairement à ses prédécesseurs qui dépensèrent des sommes colossales pour trouver "La Potion" pouvant transformer le bronze en or, celui-ci préféra consacrer ses connaissances et ses efforts à la propagation de l’émaillerie. Par conséquent, durant son règne, les émailleurs iraniens ont exploité tous les trésors de leur imagination en inventant des nouveaux procédés ainsi que de nouveaux motifs et formes décoratives. A partir de ce moment, les visages et les costumes de la cour iraniennes remplacèrent les motifs arabes que l’on retrouvait jusque là sur les émailleries. Cette nouvelle technique connût un réel développement notamment sous le règne de la dynastie Timouride. Tamerlan, fervent admirateur de cet art, devint même l’un de ses plus grands mécènes. Ainsi, on raconte qu’on trouvait de l’émail sur les portes, les lustres, les coffres, et de nombreux objets présents dans ses différents palais.
Plus tard, à l’époque Safavide, l’art de l’émaillage changea d’orientation. Désormais, les motifs représentaient plutôt des scènes de chasse, de soirées mondaines, et des cavaliers. De cette époque datent de nombreux objets - chandeliers, vases ou autres objets décoratifs, en bronze ou en argent - fabriqués pour la plupart dans le Khorassân et dont l’ornement est en émail.
Par ailleurs, cet art était également florissant sous le règne des Safavides. Enfin, les émailleurs de l’époque Qâdjâr travaillaient surtout sur des bas reliefs en or ou argent massif, décorés à leur tour avec des pierres précieuses, de l’ivoire et etc.
Les efforts faits durant le règne de Fath’alî Shâh pour propager ce type d’art n’ont malheureusement pas porté leurs fruits sur le long terme étant donné qu’après son décès, l’émaillage connut un réel déclin, malgré les efforts de Nassereddin Shâh en vue de sauver ce savoir-faire. Après la chute de la dynastie Qâdjâr, il n’existait plus d’émaillage proprement dit ; on en apercevait de rares spécimens de façon éparse dans le pays. Seul Ispahan comptait encore parmi les villes où cet art n’avait pas encore tout à fait disparu.
On peut également citer la ville de Ahvâz, où l’émaillage sur or et argenterie était encore pratiqué par les bijoutiers de la ville, forts experts en la matière. A Rasht également, l’émaillage inspiré des œuvres russes était encore pratiqué.
Après le renversement des Qâdjârs, un allemand du nom de Martin décida de fonder une association à Ispahan afin d’y regrouper des experts émailleurs pour travailler sur de l’argenterie. Quelques temps plus tard, dans les années 1950, un atelier d’émaillage fut mis en place par le Ministère de la culture de l’époque.
Enfin, il faut également souligner que cet art très ancien a pu survivre notamment grâce au savoir-faire incontestable des grands maîtres émailleurs dont les frères Namatollahi, les maîtres Sanizâdeh, Mansouri, Rohâni, Sadjadi, Sharifiân, Râez, Ebrâhim Zarghouni, Parvâneh Narâghi, Maryam Sheikh Mahdi, etc.
On utilise généralement des métaux tels que l’or, l’argent, le cuivre, le fer, l’aluminium, le bronze, etc. En Iran, la base du travail est surtout le cuivre et quelques fois l’or et l’argent.
La glaçure, vernis employé dans l’émail et qui compte parmi les étapes les plus importantes du travail, est une matière d’une certaine densité qui se solidifie après avoir été chauffée. C’est suite à cette opération qu’elle prend cet aspect transparent et limpide qu’on lui connaît.
Une fois le métal nettoyé, il est abondamment et entièrement recouvert d’émail, la plupart du temps coloré, tout ceci à l’état liquide pour ensuite recevoir après un certain temps les couleurs spéciales conçues à cet effet. Pour être plus précis, l’artiste dépose les couleurs sur l’émail comme tout peintre ferait en aquarelle. C’est exactement la méthode que l’on retrouve partout sur des travaux faits à Ispahan. Une autre technique de l’émaillage est le travail en parcelle. Dans ce cas, le métal nettoyé est recouvert de glaçure pure, c’est-à-dire sans coloration, et est directement cuit au four. Une fois retiré du four et après avoir quelque peu refroidi, des pailles de fer sont soigneusement déposées sur la base du travail en vue de la décorer. Ces pailles de fer sont donc déposées, l’excédent est découpé et les parties qui vont donner plus tard naissance au dessin sont collées à la base. Après cette opération, on remet le tout au four. Après un temps, on retire le travail pour faire couler de l’émail liquide entre les parties métalliques dessinées et fixées préalablement par les pailles de fer après quoi, l’objet en question est remis une dernière fois au four. Il existe de nombreuses autres façons de travailler l’émail propres à chaque région, et qui révèlent la richesse de cet art tant sur le plan de la technique que des différentes formes qu’il a pu prendre au cours des siècles.