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Les textes anciens et les inscriptions sur pierre confirment que les arbres du type du cyprès [1] ont été constamment loués et admirés par les Iraniens. De plus, les témoignages archéologiques et historiques prouvent que les Iraniens ont porté une attention particulière aux arbres toujours verts comme le cyprès, le cèdre, le myrte, le dattier, le buis, le pin, etc. De ce fait, on peut observer des arbres de ce type âgés de plusieurs milliers d’années dans différentes régions du pays et plus particulièrement dans les jardins et cimetières historiques.
Les arbres sempervirents ont une présence persistante dans les déserts et les régions désertiques. La croissance d’un nombre très limité d’arbres au milieu des sables brûlants du désert offre un paysage sans pareil à tout visiteur. Selon les traditions populaires persanes, le désert est le lieu d’habitation des ogres (ghoul-e biâbâni). Selon la légende, pour combattre la présence effrayante des ogres, les Iraniens auraient planté des arbres toujours verts dans les déserts. L’histoire de cette pensée remonte sans doute au VIe siècle avant J.-C. : à cette époque, Zoroastre, le prophète iranien, fait planter deux cyprès dans le désert du Khorâssân afin de lutter contre les ogres du désert. Il s’agit des régions désertiques de Beyhagh (Sabzevâr actuel) et plus particulièrement les déserts de Posht (Kâshmar actuel) et Fouroumad. Ce vers de Khâghâni Shervâni (1121-1190) fait allusion à ce geste du prophète iranien :
Les vastes déserts abritent des ogres contre qui
On mena une lutte dans le désert du Khorâssân [2]
Suite à cet acte, la plantation de cet arbre au milieu du désert devint une tradition chez les Iraniens. Pour eux, le cyprès fait parmi des éléments qui symbolisent le Bien et qui contribue à la lutte perpétuelle contre le Mal [3]. Ainsi, suite à la plantation de ce cyprès dans le Khorâssân, on y construisit un grand sanctuaire qui devint pendant des siècles le lieu de pèlerinage de plusieurs milliers de croyants. Durant la dynastie des Abbassides (750-1258), cette construction fut complètement détruite et son cyprès tronqué sous l’ordre du calife Motavakki
[4]. Il n’est pas sans intérêt de préciser que le cyprès d’Abarghou est considéré comme étant le plus vieux cyprès du monde. Âgé de 4500 ans, il est à Abarghou, dans la province de Yazd. Sa hauteur dépasse 25 mètres et son tour de tronc fait plus de 11 mètres.
Selon Daghighi Toussi [5], le cyprès du Khorâssân est un don du Paradis planté par Zoroastre dans le désert de Posht. Hamdollâh Mostowfi
[6] nous donne une description du cyprès de Kâshmar : « Depuis très longtemps, il y avait un arbre dont le feuillage était toujours vert. C’était l’arbre le plus élevé au tronc le plus large ; appelé Sarv (cyprès), cet arbre avait été planté par Goshtâsb [7] ou Djâmâsb [8]. Il était un symbole de fierté pour la région du Khorâssân ». D’ailleurs, d’après Abolhassan Beyhaghi [9], le cyprès de Kâshmar, sous lequel plus de mille moutons se reposaient à l’ombre, avait été planté par Zoroastre. En analysant ces opinions au sujet des planteurs du cyprès, on peut conclure que le cyprès a été pour les Iraniens un symbole de la divinité (puisqu’il a été planté par un prophète), de la sagesse (puisqu’il a été planté par un philosophe) et du pouvoir (puisqu’il a été planté par un roi).
Les inscriptions sur pierre datant de l’époque sassanide témoignent que le cyprès de Kâshmar jouit d’une grande importance chez les Iraniens. Dans ces inscriptions, on peut observer le dessin de plusieurs cyprès qui se dressent aux côtés des soldats de l’armée sassanide. Selon ces gravures symboliques, les cyprès tentent de protéger les jardins iraniens contre la sécheresse et la stérilité, à l’instar des soldats qui sont chargés de défendre le pays contre toute invasion étrangère.
Les planteurs de cyprès ont également joui de l’amour populaire. En contrepartie, les coupeurs d’arbres et surtout les coupeurs de cyprès étaient blâmés. C’est le cas dans l’histoire du calife abbasside, Motavakkil, qui, après avoir tronqué le cyprès de Kâshmar, fut assassiné par ses propres agents : pour les Iraniens, c’était le fait d’avoir ordonné la mort de l’arbre qui avait provoqué son assassinat. La place du cyprès chez les Iraniens ne se résume pas aux inscriptions historiques et gravures archéologiques : le symbole du cyprès a une présence également ancienne et forte dans les textes littéraires et plus particulièrement la poésie. Chez les poètes iraniens, cet arbre symbolise la liberté aussi bien que l’éternité, la générosité et même la pauvreté libératrice.
Puisqu’il jouit d’une longue vie, il est symbole de vie et d’éternité. De fait, cet arbre peut résister à la chaleur, au froid et à la sécheresse ; c’est pour cette raison qu’il est aussi un symbole de résistance :
Le buis et le cyprès n’ont pas le souci de l’hiver ni de l’été
Ce sont les fleurs qui se fanent face aux chaleurs et au froid [10] (Khâghâni Shervâni)
En outre, le cyprès fait partie des arbres qui ne donnent pas de fruits. Etant dégagé de toute dépendance à une quelconque production, il est aussi un symbole de liberté et de noblesse. Selon l’expression de Sa’di : « On reconnaît tout arbre à ses fruits, tout bon arbre porte de bons fruits, tandis que le mauvais arbre porte de mauvais fruits, il est donc tronqué. Pour le cyprès, ce n’est pas pareil. Il est toujours heureux de ne pas donner de fruits. Il est indépendant et libre ». Cette qualité a été également soulignée dans ces vers :
Si tu peux, sois généreux comme le dattier !
Sinon, sois libre comme le cyprès [11] (Sa’di Shirâzi, 1210-1292)
Le cyprès est réputé pour sa liberté
Puisqu’il connaît bien les règles de l’honnêteté [12] (Obeyd-e Zâkâni, 1300-1371)
Je me libérerai de tout lien humain, comme le cyprès
Et si possible, je me retirerai du Monde
[13] (Hâfez Shirâzi, 1325-1389)
On demanda à un cyprès : tu ne portes pas de fruits ?
« Les libres sont pauvres. », répondit-il [14] (Sa’di)
Ô mon cœur ! Sois libre dans ta joie, comme le cyprès
Soyons ivres ! Ignorons les péchés et le repentir
[15] (Molânâ, 1207-1273)
Le cyprès, du fait de sa haute et mince stature, est aussi le symbole de la taille du bien-aimé(e). Dans le Divân de Hâfez, le mot sarv (signifiant cyprès) s’assimile souvent à la stature de l’amant et y est répété plus de 60 fois. Le mot est généralement suivi par un adjectif : sarv-e boland (cyprès élancé), sarv-e tchamân (cyprès gracieux), sarv-e kharâmân (cyprès charmant), sarv-e sahi (cyprès svelte), sarv-e ravân (cyprès mouvant), sarv-e nâzparvar (cyprès coquet), sarv-e âzâd (cyprès libre).
En général, on lance des pierres ou des bâtons sur les arbres qui portent des fruits afin d’en faire tomber les fruits mûrs. Puisque le cyprès n’a pas de fruit, il est à l’abri de ces attaques. Cette particularité transparaît symboliquement dans la poésie persane. Les gens pauvres sont comme un cyprès sans fruit ; celui qui n’a pas d’argent est donc à l’abri de toutes les atteintes.
Les indigents ne rencontrent jamais de difficultés
Le cyprès n’est pas exposé aux pierres [16] (Sâ’eb Tabrizi, 1601-1677)
D’après les mythologies persanes et le culte de Mitra [17], chaque Iranien plantait un cyprès lors de la naissance de son enfant. On peut également voir des dessins de cyprès dressés à côté d’Anahitâ
[18].
Le cyprès présent dans le mithraïsme a été une source d’inspiration pour les chrétiens et les musulmans, qui ont introduit les arbres de son type dans leurs traditions. C’est le cas du sapin de Noël, ou du palmier d’Ashourâ chez les chiites, qui est porté durant la cérémonie de Nakhlgardâni. Il s’agit d’un dattier (nakhl) recouvert de tissus décorés et porté au milieu de la population qui commémore le martyre de l’Imâm Hossein et de ses compagnons. Ce rite est encore vivace dans les parties centrales du pays, et plus particulièrement à Yazd et à Kâshân.
Sources :
Abrishami, Mohammad-Hossein, "Sarv dar farhang-e irâni’ (Le cyprès dans la culture iranienne), publié in Ettelâ’ât, le 5 mai 2010.
Goli, Ahmad, "Sarv va mazâmin-e ân dar divân-e Hafez" (Le cyprès et ses notions dans le Divan de Sâ’eb), Nâmeh-ye fârsi (La lettre persane), no 48, 2010.
Rangtchi, Gholâm-Hossein, Gol va giâh dar adabiât-e manzoum-e fârsi (Les fleurs et plantes dans la poésie persane), Téhéran, Société des études et des recherches, 1993.
[1] Les cyprès sont un genre d’arbres sempervirents originaires des régions tempérées chaudes de l’hémisphère nord ; ces arbres peuvent atteindre une hauteur de 5 à 40 mètres. Les feuilles sont en forme d’écailles triangulaires de 2 à 6 mm de long. Elles persistent de 2 à 4 ans. (www.wikipédia.fr )
[2] ´MIÄ ·IwHoi ¾M ·IMIÃM ·¯¼š ÍÎj k¹º¯¼š ¾µÀ RH »Iµw ·IMIÃM nj
[3] Ici, on fait allusion à la pensée dualiste qui est à l’origine des religions iraniennes anciennes dont le zoroastrisme. Elle consiste en l’affirmation du conflit continuel entre le Bien qui est souvent accompagné par des notions comme la lumière, le spirituel, l’âme et le Dieu, et le Mal lui-même représenté par des notions comme les ténèbres, le matériel, le corps et Satan.
[4] Dixième califat abbasside qui régna de 847 à 861.
[5] Poète et écrivain de l’époque samanide au Xe siècle.
[6] (1281-1349) géographe et historien iranien.
[7] Gouverneur de Balkh qui fut parmi les fidèles les plus fervents de Zoroastre.
[8] Philosophe iranien et grand vizir de Goshtâsb.
[9] Historien persan.
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[16] SwH ½jHpA ·I¨j¼¨ ª¹w p ®‚Ie ÂM »ow nI¨ ³IÄH ÂThw jnHkº ·ITwkÿU IM
[17] C’est un culte à mystères, apparu pendant le IIe siècle av. J.-C. en Perse.
[18] Nommée également Nâhid, elle fut la mère de Mitra ; elle était la déesse des eaux.