N° 136, mars 2017

Entretien avec Rakhshân Bani-Etemâd, Noushâfarin Atefi et Sharmin Mehdizâdeh


Réalisé par

Shahnâz Salâmi


Née le 3 avril 1954 à Téhéran, Rakhshân Bani-Etemâd est une réalisatrice, productrice et scénariste iranienne. Elle rejoint dans la légende du cinéma des cinéastes tels que Lina Wertmuller, Liliana Cavani, Margarethe Von Trotta ou Agnès Varda. Elle a brossé des portraits de femmes iraniennes courageuses tout en traitant les grands problèmes de société de son pays. Elle possède une licence en réalisation de films et est l’épouse du producteur Djahângir Kosari ainsi que la mère de l’actrice Bârân Kosari. Elle a réalisé son premier long métrage, Hors limite en 1987. Les femmes jouent un rôle important dans la plupart de ses films. Son film Le Voile bleu (Rousari Abi) a remporté la Panthère de Bronze du Festival de Locarno en 1995, et elle a été membre du jury dans plusieurs festivals locaux et internationaux. Parmi ses principaux films, nous pouvons citer La Femme de mai (Bânou-ye Ordibehesht, 1998), Sous la peau de la ville (Zir-e poust-e shahr, 2001), Gilâneh (2005), Nous sommes la moitié de la population iranienne (Mâ nimi az jamiat-e Irân hastim, 2009), Les Contes (Ghesseh-hâ, 2011). Lors de cet entretien, nous avons eu l’occasion de parler avec trois artistes de trois univers artistiques différents : le cinéma, la sculpture et la musique.

 

Shahnâz Salâmi : La plupart des recherches portant sur le sujet des droits d’auteur adoptent une approche purement juridique. Peu de chercheurs se sont intéressés aux aspects politiques et économiques de cette question. D’ailleurs, la législation iranienne a toujours fonctionné coup par coup. Dès qu’il y a une nécessité, les législateurs pensent à promulguer une loi. D’après votre expérience artistique professionnelle, quelle a été la situation des droits d’auteur durant ces dernières années ? S’est-elle améliorée ou dégradée ?

 

Rakhshân Bani-Etemâd : En réalité, l’absence de droits d’auteur suscite toujours beaucoup de problèmes chez les cinéastes. D’une part, la Télévision elle-même ne respecte pas les droits des films iraniens ni ceux des films étrangers. D’autre part, la copie illégale des films a porté un coup dur aux cinéastes. C’est un phénomène universel qui existe partout dans le monde : le marché informel. Sous la présidence de M. Khâtami, la Police, avec la collaboration de certains cinéastes, avait réussi à arrêter quelques-uns des pirates. Sous la présidence de M. Ahmadinejâd, ces efforts se sont arrêtés et actuellement, le marché noir est hors de tout contrôle.

Rakhshân Bani-Etemâd, productrice de films iraniens

 

ShS : Aujourd’hui, la Police ne s’en occupe plus ?

 

RB : Son action se limite aux DVD de films au contenu politique ou immoral. Si, en tant que productrice, je décide de poursuivre les pirates de mon film, je n’ai aucun recours contre eux.

ShS : Et vous, en tant que sculpteur ?

Noushâfarin Atefi : Concernant les droits d’auteur, nous avons récemment commencé à faire signer une pétition aux artistes des Arts Visuels afin de protéger nos droits.

 

ShS : Avez-vous des corporations ?

 

NA : Nous avons plusieurs corporations : la Corporation des peintres, des potiers, etc. Mais elles sont séparées les unes des autres. C’est pour cela que nous avons décidé de demander une collaboration aux différentes corporations des Arts Visuels. J’ai rarement connu le respect des droits d’auteur dans ma carrière artistique. En Iran, le piratage se fait facilement dans ce domaine. Et cela ne date pas seulement d’aujourd’hui. A l’époque du Shâh, il existait beaucoup d’imitations d’œuvres étrangères sans mention du nom de l’artiste. Après la Révolution Islamique Iranienne, certains artistes précisaient par respect qu’ils s’étaient inspirés d’œuvres étrangères, américaines ou françaises et parfois même, ils dédiaient leurs œuvres aux artistes étrangers. J’ai montré plusieurs fois mes sculptures dans différentes expositions. Quelque temps après, je les ai retrouvées dans les expositions de jeunes sculpteurs qui ne faisaient aucune référence à mon nom. Ce n’est pas vraiment important pour moi. Que les artistes imitent mes œuvres me fait plaisir parce que je comprends à quel point ils aiment mon travail, mais j’aimerais bien, s’il s’agit d’une imitation ou d’une inspiration, qu’ils mentionnent au moins mon nom. Parfois, mes œuvres sont imitées à l’étranger et je ne peux rien faire contre leur apparition sous un autre nom dans les journaux étrangers. L’originalité de mon travail tient davantage à la nouveauté de l’idée qui inspire l’œuvre qu’aux détails. Aujourd’hui, le réseau social Facebook a réglé le problème de la propriété des œuvres et a rendu un grand service aux artistes. Je peux désormais montrer facilement mes œuvres à tout le monde sans crainte de piratage.

 

ShS : Comment arrivez-vous à protéger vos œuvres sur les réseaux sociaux ?

 

NA : Sur le réseau Facebook, les sculpteurs, les peintres et les potiers ont ouvert une page sur laquelle ils peuvent déposer la photo de leurs créations. Chaque corporation essaie d’obtenir les signatures de ses membres par le biais de Facebook pour faire une pétition en vue de protéger les droits d’auteur en Iran. Cette idée vient d’une de mes amies artistes. C’est le début de l’opération. Dans ce sens, le réseau Facebook représente un avantage pour nous en tant que sculpteurs. En déposant nos œuvres sur cette page commune, nous pouvons les protéger de toute atteinte aux droits d’auteur, car le statut nous sert de preuve de propriété, puisque nous indiquons le nom de l’artiste, celui de l’œuvre, la date et le lieu de dépôt. De cette façon, personne ne peut s’attribuer une œuvre déposée pour la première fois par un artiste et prétendre qu’il a réalisé cette œuvre avant lui. Aujourd’hui, tous les artistes sont en contact partout dans le monde grâce à Facebook, et il devient beaucoup plus difficile de pirater les œuvres parce que les collègues dénonceront vite ces pratiques, que ce soit en Iran ou en France par exemple. Personne n’ose plus le faire s’il tient au prestige de son nom.

 

RB : Au moins au niveau artistique, personne ne le fera. Peut-être copiera-t-on des œuvres destinées au commerce.

NA : Pour moi, l’art n’est pas une technique, je ne réalise pas des travaux manuels mais je concrétise mes idées. Mon art n’est pas décoratif. C’est l’idée qui m’importe et quand cela se répète ailleurs, c’est gênant. Prenons l’exemple de l’une de mes œuvres, une sculpture de profils en répétition sur la même statuette et évoquant le mouvement dans un art où tout est immobile. Les étrangers ont apprécié mon idée et m’ont demandé l’autorisation de l’emprunter dans leurs œuvres, et ils ont tous écrit qu’ils se sont inspirés de mes œuvres. Cela est très précieux pour moi. Mon cas n’a rien à voir avec le cinéma. Si Rakhshân Bani-Etemâd me raconte un scénario et si moi, je le raconte à quelqu’un d’autre, ce dernier pourra facilement le pirater et après c’est fini. Pour moi, ce n’est que l’aspect moral qui compte. Car l’aspect économique ne me paraît pas tellement important.

 

Sharmin Mehdizâdeh : Pensez-vous que si vous étiez aussi célèbre que Rakhshân Bani-Etemâd, vous auriez assez de pouvoir pour faire plier ces pirates ?

 

NA : Que pourrait-on faire ? On peut seulement salir l’honneur des pirates.

 

ShM : Par exemple, vous vous souvenez du film Santouri qui n’a pas pu obtenir la licence de projection. Son producteur décide de diffuser ce film et demande au public de virer l’argent des tickets de cinéma sur son compte. Je n’approuve pas son action. Mais il a réussi à gagner beaucoup d’argent. Tout le monde a collaboré avec lui. En accord avec leur religion, beaucoup de gens se sont dit que le propriétaire du film ne serait pas content et qu’il fallait donc virer cet argent.

 

NA : Pour moi, il s’agit à la fois d’un aspect moral et économique.

 

ShM : Quand vous composez une œuvre musicale, elle vous appartient en intégralité. Personne n’a le droit de la couper ou d’intervertir les passages. J’ai vécu moi-même cette amère expérience. Une musique de film que j’avais composée a été complètement différente à la suite d’un nouvel arrangement, à tel point que je n’arrivais même pas à la reconnaître et j’avais honte que mon nom apparaisse au générique du film. Demander l’autorisation à un compositeur pour modifier son œuvre relève en premier lieu du droit et en deuxième lieu de la morale. En ce qui concerne la nouvelle proposition de loi en discussion à l’Assemblée Nationale, je ne sais pas quand elle sera votée, puis appliquée. Peut-être, nos enfants le verront-ils… Mais je pense qu’en Iran, il est très important d’expliquer à la population que le piratage est en contradiction formelle avec la morale et la sharia. Il faut mettre l’accent sur les aspects immoraux du piratage. Beaucoup d’Iraniens ont refusé de copier des séries de Mehrân Modiri, car il avait parlé à son public de son mécontentement.

 

RB : Ce sont des principes individuels qui sont aujourd’hui à la base du respect du droit d’auteur. Ce n’est ni le droit ni la loi. En ce qui concerne le cas de Sharmin Mehdizâdeh, je lui ai dit qu’il n’existe aucune issue à sa situation. Personnellement, je demande l’autorisation à mon compositeur de musique pour utiliser une seule minute de sa musique pour une séance du film. Il doit être d’accord avec cet emprunt. Ce sont les principes moraux qui sont en jeu non seulement pour le cas du marché noir, mais aussi pour les interactions entre les cinéastes.

 

NA : Je dis souvent à mes élèves que Picasso était très heureux parce que beaucoup d’artistes l’ont imité. Mais ils mentionnaient que c’était une copie de ses œuvres. Si vous copiez ou si vous vous inspirez des œuvres d’un artiste, vous n’avez pas le droit de faire une exposition sous votre nom et vendre ces statues au public. Je me suis efforcée de modeler l’esprit de mes élèves pour qu’ils respectent le droit d’auteur. Qu’un particulier décore sa maison avec une belle statue « Made in China », ce n’est pas important pour lui. Mais moi, j’attache un grand prix à l’originalité et à l’authenticité d’une œuvre. De même, c’est très mortifiant pour un collectionneur de s’apercevoir, après quelques années, que les œuvres qu’il a achetées étaient des faux. Quand un imitateur fait référence aux œuvres d’un artiste, cela valorise son travail et celui de l’artiste par l’admiration qu’il lui porte. La parole et les conseils directs ne suffisent pas. Un artiste doit d’abord lui-même respecter ces pratiques pour donner l’exemple à ses élèves.

 

ShS : La plupart des cinéastes ne sont pas au courant de l’existence d’une loi sur les droits d’auteur dans le pays, même si cela date de plus de quarante ans. Qu’en pensez-vous ?

 

RB : Pendant ces quarante ans, nous avons assisté à la naissance de nouveaux métiers d’artistes. Avant, les producteurs sélectionnaient des musiques pour leurs films, mais aujourd’hui, la composition de musique de film est devenue un vrai métier et par conséquent, le compositeur revendique ses droits de propriété. De même, nous avons été témoins de l’émergence de nouveaux médias comme les réseaux internet qui permettent la diffusion de films immédiatement après leur sortie. Tahmoures Pournâderi et Homâyoun Shajariân ont dévoilé au public leur nouvel album un mardi et le lendemain, mercredi, cet album était piraté et distribué partout. On pouvait le télécharger facilement. Avant la cérémonie, M. Tahmoures voulut me dédier une version de cet album, mais par précaution, j’ai refusé, parce que c’est très fréquent que l’on pirate les œuvres musicales en Iran et je ne voulais pas en porter la responsabilité. Quand la loi a été rédigée, nous ne connaissions pas internet.

 

ShS : Cette loi a vraiment besoin d’être mise à jour.

 

RB : Souvent, quand les cinéastes ont un problème de piratage, ils ne vont pas le régler au tribunal, mais s’adressent directement au Haut Conseil d’Arbitrage de la Maison du Cinéma, parce que le tribunal ne dispose pas d’experts spécialisés en matière cinématographique. Alors les juges eux-mêmes renvoient les cinéastes à la Maison du Cinéma. Les cinéastes eux-mêmes méconnaissent leurs droits et c’est normal en Iran. Ainsi, l’un de mes films, Sous la peau de la ville, n’a pas obtenu la licence de distribution de la part du MCOI, mais trois ans après, à la suite du remaniement des séquences, mon film a été diffusé dans une émission de télévision. J’étais mécontente parce qu’on avait empêché la diffusion de mon film et qu’ensuite, la Télévision a réalisé quatre émissions sur la thématique du mariage avec les extraits de mon film et sans mon autorisation. Il existe un vide juridique sur le droit de propriété artistique, et les cinéastes ne savent jamais quels sont leurs droits. Et moi, je ne peux rien faire dans ce cas-là. Je ne peux même pas porter plainte. D’une part, nous ignorons nos droits faute de schéma directeur, d’autre part, notre législation n’est pas mise à jour et le domaine du cinéma est beaucoup plus complexe que les autres domaines artistiques. Par exemple, le scénario de la série de M. Salahshour a été piraté, mais le tribunal n’a reconnu ce piratage que très longtemps après. Le scénario était tiré d’un récit sur la vie du Prophète Youssef et l’auteur a porté plainte. L’affaire s’est finalement retournée contre le scénariste. Le procès a traîné en longueur et finalement, le réalisateur a été condamné à une amende.

Noushâfarin Atefi, sculpteur travaillant à l’international. Née à Téhéran, elle a commencé à sculpter en 1982. Depuis 1996, ses œuvres en bronze de fonderie sont empreintes de sa passion pour la mythologie persane et l’art primitif.

Nous avons aujourd’hui un grand problème de définition du statut de la Maison du Cinéma. Il existe une grande dissension entre les cinéastes eux-mêmes qui se sont divisés en deux catégories : ceux qui soutiennent la politique et le statut de la Maison du Cinéma, et les autres qui s’opposent à cette légitimité. La première catégorie de cinéastes, qui est une minorité, regroupe des professionnels qui réalisent toujours de bons films. Ceux de la deuxième catégorie rassemblent majoritairement des producteurs de productions de moins bonne qualité et des corporations qui avaient quitté la Maison du Cinéma et l’ont réintégrée, par exemple, la Corporation des maquilleurs. La plupart des producteurs qui se sont retirés de la Maison du Cinéma sont dépendants des subventions étatiques. De façon générale, les producteurs se divisent en trois catégories : le Haut-Conseil des Producteurs, l’Association des Producteurs et les Producteurs Réunis qui s’opposent parfois et qui, dans certains cas, ont des intérêts communs. Le Conseil de direction de la Maison du Cinéma ne reconnaît pas la nécessité de la présence d’un producteur, car il est considéré comme un employeur et un investisseur. À partir de la Révolution islamique, on remarque que les réalisateurs ont obtenu plus de pouvoir et de droits que les producteurs. Les producteurs de la période prérévolutionnaire ont rencontré beaucoup de difficultés pour se conformer au nouveau système et au nouveau cinéma. À un moment donné, le pouvoir du producteur a considérablement diminué. Nous sommes les héritiers de cette période-là. En tant que réalisatrice, quand je signe un contrat avec un producteur, j’insiste sur tous mes droits. Par exemple, je contrôle la vente de mon film sur le plan international, les recettes de la distribution des DVD, je peux même décider de la publicité du film ; ceci alors qu’auparavant, tout cela relevait du pouvoir du producteur. Moi, je revendique mes droits. Notre génération est celle du Nouveau Cinéma postrévolutionnaire.

 

NA : N’êtes-vous pas assez connue pour vous imposer et exercer un pouvoir ? Les producteurs souhaitent travailler avec des réalisateurs connus. Vous avez une grande marge de manœuvre.

 

RB : Juridiquement parlant, la plupart des droits du film devraient appartenir au producteur, mais le cas de notre cinéma est à part, et les réalisateurs se sont appropriés les droits des producteurs. Notre génération de réalisateurs continue de revendiquer ses droits.

 

NA : Mais si un jeune réalisateur tourne son premier film, il est obligé d’accepter toutes les propositions du producteur. D’ailleurs, il n’existe aucun modèle de contrat dans les corporations.

 

RB : Le problème fondamental de la Maison du Cinéma est également d’ordre juridique. Tous les conflits et les débats d’aujourd’hui découlent d’un vide législatif. Cette Maison n’est enregistrée nulle part. Le statut de la Maison du Cinéma comporte certaines clauses que nous avons interprétées pour légitimer son existence. Le nouveau groupe des producteurs et réalisateurs qui a pris le pouvoir sous la présidence de M. Ahmadinejâd, disait que l’existence de la Maison du Cinéma n’est pas légitime vu qu’elle n’est pas enregistrée. Alors, ils ont mis en place la Maison du Cinéma Numéro 2. Ils se sont même enregistrés au sein du MCOI comme des Associations. Notre débat à nous, c’est que nous ne sommes pas une Association mais un Syndicat de Corporations. Pour cette même raison, lors de la dernière réunion du Conseil de direction, nous avons décidé de nous enregistrer au sein du Ministère du Travail.

ShS : Ne pouvez-vous pas vous enregistrer au MCOI ?

 

RB : Nous sommes en train de trouver une solution pour le faire, mais si nous suivons la même démarche que ces nouvelles Associations, comme elles se sont enregistrées avant nous, cela mettrait en péril notre ancienneté. D’ailleurs, nous insistons toujours sur l’idée qu’il ne s’agit pas d’une Association, mais d’un Syndicat de Corporations. Nous avons une ancienneté de plus de 25 ans. Nous avons donc proposé au MCOI de collaborer avec nous et de faciliter la procédure de notre rattachement au Ministère du Travail. Sinon, nous négocierons directement avec le Ministre du Travail pour mettre fin à tous ces débats. La situation est injuste et les intérêts divergent. Ce nouveau groupe de producteurs et réalisateurs a bénéficié d’une aide de trois milliards de tomans et de l’allocation d’un immeuble. Depuis 25 ans, les cinéastes eux-mêmes ont assuré de leur poche le fonctionnement de la Maison du Cinéma. Ses membres doivent participer à l’entretien de la Maison parce que nous ne sommes pas en mesure de payer le salaire de nos employés. Le MCOI avait, en effet, arrêté ses subventions. Nous avons tous participé financièrement. La divergence entre les deux groupes de cinéastes est tellement considérable au niveau des intérêts que nous n’avons aucune chance de nous regrouper. La Maison du Cinéma Numéro 2 dépend entièrement des subventions et du soutien de l’État. En plus, ils ont profité de ces subventions attribuées sans intérêt pour enregistrer le rattachement de quelques sociétés. Alors qu’à ce moment-là, la plupart des producteurs de la Maison du Cinéma connaissaient le chômage et n’avaient même pas de sécurité sociale. Ils subissent le chômage de plein fouet.

 

ShS : Le nouveau directeur de l’Organisation Cinématographique, M. Ayoubi, semble soutenir la Maison du Cinéma dans tous ces débats.

RB : Oui, c’est vrai, mais il est aux ordres du gouvernement et en subit la pression. Nous avons obtenu le droit de rouvrir la Maison du Cinéma sous la présidence de M. Ahmadinejâd, mais nous n’avons pu le faire qu’après son départ. Cette réouverture est quand même un grand espoir pour nous. C’est M. Ayoubi qui a osé le faire. Il a mené une bonne politique pour arriver à ce but.

 

RB : Si nous n’arrivons pas à étrangler le marché noir des films, de même que le piratage sur les écrans de cinéma, nous ne devons pas rester les bras croisés, mais commencer à entreprendre une action pour améliorer la situation. L’idée des réseaux de diffusion de films au foyer était incontestablement nécessaire. Aujourd’hui, avec l’émergence d’internet et des nouveaux médias qui mettent les films à la disposition de tous, ces réseaux de diffusion devraient bien fonctionner, surtout en Iran. Aux côtés des médias étatiques, par exemple la Télévision iranienne qui est très conservatrice, la production des films destinés à ces réseaux de diffusion pourrait exercer un impact significatif sur la culture de la société. Malheureusement, ce système, de culturel qu’il était, est devenu commercial !

À mon avis, plus on a les moyens de produire des films, plus on a la possibilité de façonner la culture des gens. Malgré quelques abus dans ces réseaux, nous ne pouvons pas nous permettre de les interrompre.

 

ShM : Imaginez une famille de la couche moyenne pour qui l’œuvre artistique en elle-même n’a pas d’importance. Si cette famille comptant quatre membres souhaite aller voir un film au cinéma, elle devra payer au moins 25 000 Tomans (environ 6,25€) pour l’achat des tickets et de friandises pour les enfants. Cela coûte cher pour elle. Alors qu’avec 3 000 Tomans (environ 0,75 €), elle peut voir le même film à la maison et en famille. En confirmant les propos de Rakhshân Bani-Etemâd, je dirais que c’est grâce à ces réseaux de diffusion que nous ne voyons plus de colporteurs de films sur la place Enghelâb, ou nous n’en voyons que rarement. Auparavant, ils étaient partout, sur tous les trottoirs, ils étalaient leurs catalogues, des films de mauvaise qualité avec des couvertures colorées pour attirer l’attention du public et ils vendaient très facilement les DVD copiés. Mais moi, cela fait quelques années que je n’ai plus vu ce phénomène. Aujourd’hui, le public pourra facilement avoir accès aux productions cinématographiques diffusées dans ce système.

 

Sharmin Mehdizâdeh, pianiste, compositeur de musiques de films et professeur de musique

RB : Cela concerne uniquement des films commerciaux. Mais je vois parfois que même le Musée du cinéma copie mes films, et donc j’achète moi-même le DVD copié de mon œuvre !

 

ShM : Par exemple M. Hatamikiâ présente les DVD de ses films dans des pochettes très élégantes.

 

RB : Mais il a derrière lui un budget étatique. Les autres ne peuvent pas faire la même chose facilement.

 

ShM : Cela ne vous gêne pas quand vous voyez la copie de vos films ?

 

RB : Cela ne me gêne pas ?! J’ai envie d’en pleurer ! C’est toute ta vie qui est piratée.

 

ShS : Dans les magasins de films, nous voyons des pochettes de qualité différente pour des films, parfois très élégantes quand il s’agit de grands réalisateurs, et parfois de qualité très médiocre. C’est vous qui décidez de la qualité des pochettes, n’est-ce pas ?

 

RB : Pour les pochettes de DVD, lors de la signature du contrat, je signale toujours au producteur que je veux décider moi-même de notre modèle de publicité du film. Mais nous n’avons qu’un pouvoir relatif. Par exemple, pour les affiches de publicité de mon film Sous la peau de la ville, j’ai eu une grande discussion avec le producteur, parce que la protagoniste de mon film était une vieille femme, Golâb. Or, le producteur me disait : « Si nous mettons l’image d’une femme âgée sur les publicités du film, il ne se vendra pas très bien. » Cela était très désagréable pour moi parce que finalement, il a fait un poster du film avec l’image d’un jeune garçon, Mohamad-Rezâ Foroutan, et d’une petite fille qui se regardaient amoureusement, alors qu’ils n’avaient joué que deux minutes dans mon film. Je disais que mon film ne correspondait pas du tout à cette image trompeuse. Les spectateurs vont m’en vouloir en sortant de la salle parce que l’image ne concorde pas avec le sujet du film. C’est une question de goût. Heureusement, aujourd’hui, on voit de moins en moins ce type de tricherie parce que toutes les affiches apparaissent sur internet et les spectateurs sont devenus de plus en plus exigeants.

 

ShS : Vous avez fait diffuser votre film Nous sommes la moitié de la population iranienne à travers les réseaux du marché pirate. Pourquoi ?

 

RB : Ce film était un cas particulier. J’avais réalisé ce film dans le but d’éclairer mon public. J’ai fait exprès de le diffuser de cette manière et j’ai demandé qu’on rédige sur la pochette du film Diffusez-le ! J’avais un objectif de communication. Je voulais transmettre le message de mon film. Là, pour moi, les droits d’auteur se limitaient à ce que le public regarde mon film. Mais mon objectif avait changé. J’ai confié mon film à ces réseaux et le lendemain du nord au sud du pays, tout le monde l’avait vu. C’était très étonnant pour moi-même. Leurs réseaux de diffusion sont extraordinaires. Mais, je l’ai fait exprès, j’ai même écrit Diffusez-le !

 

ShS : Comment avez- vous contacté ces réseaux de piratage ?

 

RB : J’ai rencontré deux personnes, mais elles n’étaient pas les principales responsables mais des intermédiaires. Quand ils sont venus, ils étaient très choqués, parce qu’ils ne savaient pas ce que je leur demandais. Ils pensaient que nous voulions les arrêter. Je leur ai dit : « Pendant des années, vous avez ruiné notre vie professionnelle, aujourd’hui, je voudrais vous demander de me rendre un service : piratez mon film ! » Ils n’en croyaient pas leurs oreilles. Et finalement, ils ont bien fait leur boulot.

 

ShS : La Revue de Téhéran vous remercie d’avoir accepté de participer à cet entretien.

 

Merci à vous.


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