N° 136, mars 2017

Structure narrative des films d’action iraniens des années 1980-90 : étude de cas


Zeinab Golestâni
Traduit par

Samirâ Deldâdeh, Zeinab Golestâni


"La première chose est de considérer que la critique de film ne diffère pas d’autres critiques." (John I. Simon [1])

Introduction

 

La critique structurale qui considère le monde comme la mise en action des formes auxquelles notre conscience donne vie
 [2], s’occupe des structures déterminées et systématiques [3]. Dans son analyse des séries James Bond de Fleming, Umberto Eco parle des structures universelles qui marquent ces romans et évoquent des actes et oppositions précises. L’étude de ces types de romans qui ont inspiré des productions cinématographiques ouvre la voie à des analyses similaires dans le domaine cinématographique ainsi que dans le domaine littéraire. Mais est-ce que des films produits à la même époque peuvent porter de telles structures et actes familiers ? Le présent travail cherche à dégager une structure déterminée à travers quelques films d’action iraniens sortis dans les années 1980-90 (Târâdj, Nish, Guerogân, Tchachm-e Oghâb). L’une des caractéristiques communes de ces films est le rôle de trafiquant criminel joué par l’acteur Djamshid Hâshempour.

 

Umberto Eco et la structure narrative des romans d’action

 

Umberto Eco (1932-2016) se base sur les couples d’oppositions en tant qu’apport essentiel du structuralisme en narratologie structurale pour analyser quelques romans de Ian Fleming dans un article intitulé « James Bond : une combinatoire narrative » [4]. Après avoir sélectionné 14 couples d’oppositions dans la structure des romans de Fleming, Eco finit par comparer ces derniers à un jeu aux règles propres. Affinant son analyse, il les compare à une partie de football, qui est non pas un match imprévu, mais un jeu connu des spectateurs avertis et connaissant ses règles en détail.

Dans son analyse, Eco dévoile la présence d’un élément prédéterminé dans les romans de Fleming, un élément « escompté et de redondance absolue qui caractérise les instruments d’évasion fonctionnant dans le domaine des communications de masse. Parfois dans leur mécanisme, ces engins sont représentatifs des structures narratives qui travaillent sur des contenus évidents et qui n’aspirent pas à des déclarations idéologiques particulières. » [5] Ainsi, Eco résume la narration de tous les livres de Fleming sous une même trame : « Bond est envoyé dans un endroit donné pour éventer un plan de type science-fiction, ourdi par un individu monstrueux d’origine incertaine, en tout cas pas Anglais, qui, utilisant une activité propre soit comme producteur soit comme chef d’une organisation, non seulement gagne énormément d’argent, mais fait le jeu des ennemis de l’Occident. » [6] 

Poster du film “Guerogân”

Il est important de noter qu’Eco aborde dans son analyse uniquement la structure narrative des livres de Fleming et ne revient pas sur la version adaptée au cinéma. Mais sa méthode d’analyse des romans policiers d’action est un modèle cohérent pour l’étude de la structure narrative des scénarios du genre mentionné. Bien qu’un critique tel que William Jinks parle du film en tant que phénomène unique du XXe siècle qui « a réussi à atteindre tous les éléments principaux de la narration et à les revivifier » [7], il faut cependant noter que cet outil d’expression artistique est une expérience multidimensionnelle combinant le son, l’image et le mouvement. C’est cette dimension multiple du cinéma qui le distingue des autres arts et sépare indéniablement la critique de film de celle du roman, de la peinture ou de la sculpture. [8] 

Le but principal de notre travail consiste à analyser la structure narrative des films en recourant à leurs narrations littéraires et se basant sur la méthode écoïenne dans la narratologie structurale. Nous nous fixons sur la narration, le thème et les personnages, sans aborder les éléments constitutifs du film.

 

Aperçu général sur le cinéma d’action en Iran des années 1980-90

 

Les films d’action, caractérisés par des scènes mouvementées et des combats, sont généralement bien vendus dans le monde, mais sont plus rarement remarqués par les critiques et les spectateurs plus exigeants du cinéma [9] : leur but est avant tout de divertir, et il n’y a pas besoin d’une attention approfondie pour les comprendre. En Iran, les films d’action ne forment qu’une petite partie de la production annuelle. Ce genre est apparu avant la Révolution islamique de 1979 et a survécu sous une forme bien précise jusqu’aux années 1990 pour ensuite évoluer.

Le cinéma d’action et héros-centrique d’après la Révolution est surtout connu au travers de son acteur le plus marquant, Jamshid Hâshempour, un homme au crâne rasé et physiquement marqué, au jeu unique. Le point de départ de ce cinéma est Târâdj (Pillage), un film d’Iraj Ghâderi. « On fit beaucoup d’efforts pour empêcher que Târâdj ne lance un mouvement dans les genres cinématographiques iraniens : Iradj Ghâderi reçut une interdiction de travail pour 9 ans et Jamshid Hâshempour fut interdit de jouer la tête rasée pour un certain temps. Malgré toutes ces interdictions, Târâdj devint un film exemplaire dans le cinéma d’action iranien et lança un mouvement. » [10] Ce courant se caractérise non seulement par des séquences d’action et de combats, mais aussi par son plan narratif. Târâdj fut le quatrième film le plus vendu des cinémas de Téhéran en 1982. En 1992, à l’occasion de sa rediffusion dans six salles de cinéma à Téhéran, il a de nouveau fait un million de tomans de recettes. [11]

Notre corpus d’étude dans le présent travail est Târâdj (Pillage) réalisé en 1982 par Iradj Ghâderi dont le scénario a été écrit par Alirezâ Dâvoudnejâd, Nish (Piqûre) dirigé en 1992 par Homâyoun As’adiân et écrit par Rezâ Esmâeili et Hossein Farahbakhsh, Guerogân (Otage) réalisé en 1993 par Asghar Hâshemi et écrit par Ghâsem Dja’fari, Yousef Rezâeimanesh et Yousef Rezâ Raïsi, et enfin Tchachm-e Oghâb (Œil d’aigle) réalisé en 1996 par Shafi’ Âghâ Mohammadiyân et écrit par Ali Asghar Amini et Shafi’ Âghâ Mohammadiyân.

Târâdj relate l’histoire d’un gros trafiquant, Zeynâl Bandari (interprété par Djamshid Hâshempour). Après plusieurs évasions, Zeynâl est enfin arrêté et en échange de sa liberté, collabore avec la police contre le narcotrafic. Nish commence par l’exécution judiciaire d’un trafiquant de drogue et le meurtre de la famille de l’agent d’investigation de la police (interprété par Abolfazl Pourarab) par d’autres trafiquants. Ce film met en scène la collaboration, cette fois en échange d’argent, de ce trafiquant expert avec la police. Dans Guerogân, le personnage principal est un chauffeur de camion qui passe de la drogue en contrebande, et dont la famille est prise en otage par des mafieux. Pour sauver sa famille, il décide lui aussi d’aider la police. Dans Tchachm-e Oghâb, le commandant d’un régiment militaire de la frontière de l’Est (joué par Farâmarz Gharibiyân) et le grand trafiquant de drogue (Djamshid Hâshempour) travaillent ensemble pour capturer Gorguidj, chef des trafiquants de la région, qui a assassiné plusieurs membres de leurs familles.

Poster du film Nish

Dans tous ces films, nous voyons Djamshid Hâshempour incarner le rôle du grand mafieux bien connu des services de renseignements. Târâdj s’ouvre sur un gros plan de Hâshempour incarcéré. Malgré sa condamnation à mort justifiée, il évite la pendaison avec de l’argent. Dans Nish, un policier poursuivant les meurtriers de sa famille et tentant de résoudre le dossier dont il est responsable, recourt à l’expertise d’un trafiquant, Kamâl Zâreï, condamné à 10 ans de prison. Dans Guerogân, deux amis criminels sont mis en scène, dont l’un (interprété par Jahânbakhsh Soltâni) se met au service de la police, alors que l’autre continue à transporter des grands conteneurs de marchandises de contrebande en échange de petites sommes d’argent. Tchachm-e Oghâb raconte l’histoire d’un important trafiquant connu de toute la région Est.

Les actes et les récits de ces films, tous organisés autour de la co-présence d’un officier de police et d’un trafiquant, peuvent être posés dans une structure précise. Une structure à sept éléments qui résulte d’une coopération entre la police et le criminel. Cette coopération vient d’une sorte de « contrat » et devient le point de départ des autres événements du récit. 

 

1.La structure narrative dans quelques films d’action des années 1980-90
A-B. La proposition de la collaboration et le refus du trafiquant

 

Dans Târâdj, dont l’histoire se déroule pendant l’époque Pahlavi, des responsables gouvernementaux proposent à Zeynâl de collaborer avec le commissaire Ahmad pour démanteler un réseau de narcotrafic et échapper à la peine de mort. Le criminel accepte et les trafiquants sont bien arrêtés avec son aide. Mais on comprend bientôt que Zeynâl faisait du trafic d’héroïne sous la couverture d’une exposition d’automobiles. Ahmad le retrouve et lui demande une nouvelle fois de collaborer, mais cette fois-ci Zeynâl refuse.

Dans Nish, la condamnation de Kamâl à 10 ans de prison devient le prétexte de sa collaboration avec la police. Mais une fois que Kâmâl dévoile les informations nécessaires à la police, il prend ses distances avec l’officier de police et refuse de continuer à travailler avec les forces de l’ordre : « Ne parle plus de ma peine d’emprisonnement. Fais ce que tu veux ». Pourtant, ils recommencent à travailler ensemble un peu plus tard.

Dans Guerogân, un policier (Hâdj Ahmad) demande à son vieil ami, Masih Sepanj, chauffeur de camion porte-conteneurs et trafiquant de drogue et de fausse monnaie, de l’aider à arrêter un chef mafieux important. Masih refuse : « Ecoute, tu as ton propre boulot et moi, j’ai le mien. Et nous avons chacun des convictions… que vous appelez… comment ? des principes professionnels… Nous sommes très sévères sur nos principes… Ne pense donc plus à moi. Je n’ai rien à vous dire. Va trouver quelqu’un qui peut vraiment vous aider… Me le demander, c’est comme donner un coup d’épée dans l’eau. » Il change pourtant d’avis après avoir vu des photos de deux enfants tués par la bande et commence à aider la police. Mais dès que les contrebandiers prennent sa famille en otage et menacent de les tuer, il se sépare de la police pour libérer sa famille de façon indépendante.

Dans Tchachm-e Oghâb, le commandant croit que Sandal Zeynali a tué son frère et deux autres agents de police. Son chef le charge d’une mission spécifique qui consiste à proposer à Sandal de les aider. Sa proposition est refusée au début : « Tu rêves ? Tu détestes me voir vivant et tu me proposes de vous aider ? Tu es fier de tes épaulettes ? Tu t’es dit qu’il va me servir comme un cheval, qu’il va espionner tous les trafiquants, me donner leurs informations et qu’enfin je lui dirai que voilà, pour ta récompense, on va t’envoyer dans la fonction publique ? Mais non, Monsieur l’officier, je ne permettrai à personne de vous renseigner, même si vous me gardez dix ans ici. » 

 

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    C. Apparition de l’objet de valeur

 

Troquant sa vie contre la coopération avec la police, Zeynâl Bandari de Târâdj leur offre spontanément sa collaboration une nouvelle fois après le succès de la première mission. Ce qui met en scène dans ce film, comme d’autres films de ce type, le réveil de la conscience du trafiquant et son engagement pour sauvegarder non pas sa propre vie, mais celle d’autrui, en particulier sa propre famille, celle-ci jouant un rôle fondamental dans le schéma narratif de ces films. Ces derniers mettent souvent en scène des femmes qui, condamnées à la souffrance et au malheur, n’en parlent jamais ; femmes frappées par une souffrance qui pousse, en tant que point culminant du récit, l’antihéros vers l’héroïsme.

Après s’être rendu compte de l’héroïnomanie de son fils adolescent, Zeynâl Bandari le bat, l’enferme, et lui demande la raison de cette toxicomanie. C’est à ce moment-là que, libérant sa parole, Begome, épouse de Zeynâl, lève le voile sur tous les crimes de son époux :

- Mais toi, homme ! Tu es un homme ? Pourquoi tu lui demandes qui l’a drogué ? Tu es à la recherche de qui ? De toi-même ? Tu as brûlé ses racines… les racines de notre fils… de tous les gars qui sont comme lui…Tu pensais que j’étais aveugle tout ce temps-là ? Moi, je voyais… Homme ! Je voyais ! C’est la haine d’une mère qui te dit à toi, Zeynâl Bandari, maître de tous les trafiquants… dit que si tu veux que ton fils, ton jeune homme, et tous les autres jeunes survivent, alors meurs ! Meurs ! Meurs ! Meurs ! Meurs ! Meurs ! Meurs !…

Dans Nish, la femme divorcée de Kamâl Zâreï se soucie de son honneur, ainsi que des sentiments de son fils qui étudie la médecine au Pakistan : « J’ai un fils, il a 21 ans. Je me suis battue bec et ongles pour l’élever… il ne peut pas voir son père exécuté… ». C’est ce qui est pour Kamâl « la seule raison d’être » : « Et s’il n’y a pas cette seule étincelle, on s’éteindra. » Cet amour pour l’enfant et l’espoir de le voir devenir un jour médecin aboutissent à la coopération de Kamâl avec la police. Echangeant des mots avec l’officier du bureau d’investigation, Kamâl le dit explicitement et précise qu’il coopère pour financer les études de son fils : « Ne t’abandonne pas à la rêverie… Je ne suis pas de ces gens chevaleresques ! Mais celui qui veut faire des achats dépense de l’argent… Djozi à toi, et son argent à moi… ». Cependant, comme les mafieux de la bande de Djozi – qui est à l’origine des meurtres de la famille du policier – prennent le fils de Kamâl en otage, ce dernier se sépare de la police pour libérer son fils.

Djamshid Hâshempour dans le rôle de Zeynâl Bandari dans le film Târâdj

L’amour pour la famille est aussi, dans Guerogân, à l’origine de la fuite de Masih Sepanj. Après avoir libéré sa femme et son fils des mains des mafieux, Masih tente de fuir à l’étranger. Ici encore, une parole de femme se libère :

- On ne vient pas…

- Qu’est-ce que tu dis ?

- Je dis qu’on ne vient pas avec toi, mon fils et moi.

- Tu es folle ? Je me suis jeté dans la gueule du loup pour vous libérer, je suis allé aux portes de la mort de peur qu’un malheur ne vous frappe, j’ai fait des pieds et des mains pour vous revoir. Et maintenant, tu dis que tu ne viens pas ? Pourquoi ? J’ai demandé pourquoi ? Dis-le-moi… J’ai mis ma vie en danger, je suis devenu une armée pour toi et mon fils…

- Mon fils et moi, on ne veut pas d’armée, mais père et mari, tu l’as été ?

[...]

- De quoi, de quoi tu avais besoin ?

- De toi, en mari, en père. Qu’avez-vous, les hommes ? Vous vous imaginez qu’il vous suffit de nourrir votre famille, ou de l’habiller ? L’orphelinat fait la même chose, l’hospice donne les mêmes choses ; qu’est-ce que tu nous as donné de plus ? Du vagabondage. Du nomadisme. De la honte à ne pouvoir jamais avouer le métier de notre homme. Tu as vu Hassan ? Tu as vu ce jeune officier ? Regarde maintenant tes mains… Tu ne vois pas son sang sur tes mains ? Qui dit que tu n’es pas aussi coupable que ces assassins ? Qui dit ? Toute ma vie, j’ai gardé le silence car on m’avait dit d’entrer avec une robe blanche à la maison de mon mari et d’en sortir avec un linceul blanc… C’est la même chose maintenant. Mais pour l’amour de Dieu, apporte-moi ce linceul blanc, je suis fatiguée, fatiguée. Ne t’inquiète pas pour nous, mais pour toi-même… Tu seras le complice de ces assassins si tu t’enfuis… Je sais que tu as commis beaucoup de crimes, mais que tu n’as jamais tué personne… Pour l’amour de Dieu, pour l’amour de Dieu, ne laisse pas cette tache de plus souiller ton honneur…

Masih Sepandj plonge une autre fois dans ses pensées, et cela en entendant un de ses amis dire :

- Est-ce que tu veux que nos familles soient heureuses ?

- Je n’ai rêvé que de cela jusqu’à aujourd’hui.

- Alors tire-moi une balle dans la tête, et jette-toi du haut du plus haut bâtiment de la ville. C’est comme ça que nos familles échapperont à la misère. Tu vois Masih, nous avons enterré l’honneur de la vie au seuil de nos maisons…

 

    D. Coopération entre le criminel et la police

 

Après avoir ouvert les yeux sur ses propres actes, le personnage criminel s’engage sur la voie des valeurs humaines. Alors s’établit une coopération croissante et exemplaire entre le criminel et la police, et cela malgré toutes les règles dominant le trafic (« Un trafiquant est toujours un trafiquant, et un policier toujours un policier, pas de liens d’amitié entre eux », dit Gorguidj de Tchachm-e-Oghâb à Sandal.)

Emu par les paroles de Begome, Zeynâl Bandari se décide à faire quelque chose. Il se rend donc chez Ahmad et attend dans l’obscurité son arrivée :

- Je veux te parler dans l’obscurité. Sabri va mourir. Ça fait 20 ans que Begome ferme les yeux sur toutes mes activités. Elle ne connaissait dans cette vie que la tolérance et la soumission, mais aujourd’hui…. Tue-moi, Ahmad, ou dis-moi ce que je dois faire… Je suis exténué, Ahmad, je suis détruit… Dis-moi ce que je dois faire…

Heureux de cette évolution, Ahmad allume la lumière, s’adresse à Zeynâl et dit :

- Lève-toi ! L’obscurité ne fait qu’aveugler l’homme. Cette peste [la drogue] n’a pas seulement ravagé ton entourage, mais aussi toi-même. Lève-toi donc, Zeynâl ! Aide-nous… Aide-nous pour sauver aussi bien ton Sabri que tous les autres… Ils appartiennent à l’avenir de ce pays. Aide-nous à les sauver. Aide-nous pour que cette fois, on arrache non pas les branches mais les racines… Une bonne fois pour toute… Arrachons les racines…

- Gare ! On arrachera les racines ! Les racines !

Aspirant à présenter à la justice les chefs des narcotrafiquants, Ahmad et Zeynâl commencent alors à les traquer ensemble. Avant de partir, Zeynâl, sachant qu’ils mourront probablement, se rend chez sa famille : « Je vais partir, Sabri. Je pars pour arracher la racine principale. Mais après ce départ, il n’y aura aucun retour… ni pour moi, ni pour ton oncle, Ahmad. Dès demain, cette maison sera dépourvue d’hommes… Je ne veux qu’une seule chose, que tu deviennes l’homme de cette maison, si tu en es capable. »

Rêvant de retrouver Gorguidj et de se venger de lui, Sandal de Tchachm-e-Oghâb, dont la famille a été assassinée par les subordonnés de Gorguidj, établit une collaboration avec le commandant du régiment frontalier. Pourtant, à l’instar de Nish où le fils de Kamâl est pris en otage, Gorguidj tient en otage la mère du commandant de la base et la petite fille de Sandal, celle-ci proposant à ce dernier un bouton de fleur, souvenir d’un jardin fleuri, et confié à la vieille mère du commandant. Ces deux films se terminent sur un succès de la police.

Toutes ces œuvres cinématographiques mettent en scène l’héroïsme et la valeur d’importants trafiquants qui décident de changer de vie et de coopérer avec la police iranienne dans sa lutte contre la drogue. Cette voie aboutit dans Târâdj à la mort des personnages principaux, à savoir Ahmad et Zeynâl, morts marquées par la fierté et la vertu. Harcelé dans une maison de campagne en bois entourée par les hauts arbres de la forêt, Zeynâl dit à Ahmad :

- Je me concentrais un jour dans un zoo sur un lion, un lion dans sa cage. Je me suis dit ce jour-là qu’un lion mort hors de la cage vaut mieux que trente-trois lions vivants dans la cage. Est-ce qu’il vaut mieux qu’on reste dans la cage ?

- On mourra hors de la cage…

Une fois toutes les prévisions du début du film invalidées, on constate non seulement la coopération entre la police et les personnages criminels, mais aussi la disparition de la haine qui rongeait ces derniers. Ahmad, qui appelait un jour de ses vœux la mort de Zeynâl Bandari – qu’il considérait non pas comme un homme mais comme un animal écœurant qui contaminerait le monde entier s’il n’était pas supprimé – désire ardemment à son dernier souffle lui serrer les mains. Hâdj Ahmad se réconcilie aussi plusieurs fois avec Masih qu’il a pris un jour pour un comparse malhonnête et sans honneur. Cette évolution apparaît aussi chez Masih qui jurait de brûler la cervelle d’Ahmad s’il avait possédé une arme. Le commandant de la force frontalière de l’est sauve la vie de Sandal Zeynâli, celui qu’il considérait toujours comme un serpent lâche et venimeux et qui ne méritait que l’exécution. Et Sandal, son ennemi juré, sauve la vie de sa mère, comme si elle était sa propre mère dont il regrettait la perte.

Schéma n° 1

 

Conclusion

 

La plupart des films d’action iraniens réalisés dans les années 80-90 (60-70 du calendrier iranien) mettent en scène un policier vertueux dont le métier met en danger la sécurité de ses bien-aimés. Ce policier rencontre alors un malfrat qui paraît être l’image même de la déloyauté. Mais cette première impression concernant le malfrat disparaît au cours des péripéties du film.

Après sa magnifique interprétation de Zeynâl dans Târâdj, Djamshid Hâshempour est devenu l’acteur préféré des réalisateurs de ce type de films pour le rôle du malfrat principal. Cela démontre que les films d’action iraniens tournés durant les années 80-90 ne suivent pas seulement une structure narrative précise, mais bénéficient aussi d’une certaine figure en tant qu’icône, dont les actes sont déterminés dans le cadre de structures définies.

Selon l’analyse ci-dessus, le schéma narratif de ces œuvres cinématographiques se résumerait ainsi :

  1. a) La vie quotidienne du trafiquant hors-la-loi.
  2. b) Arrestation du trafiquant.
  3. c) Proposition de coopération avec la police en échange d’une réduction de peine.
  4. d) Refus du trafiquant.
  5. e) Accord avec la police et acceptation de la proposition de coopération.
  6. f) Dépassement du contrat initial et quête de la vertu par le trafiquant.
  7. g) Changement de perspective et engagement dans la voie de l’honneur et de la vertu.

Complété par l’interprétation de certains acteurs dans les rôles définis, ce schéma narratif donne vie aux oppositions binaires entre les personnages des films (officier – trafiquant/trafiquant – maître du réseau de trafiquants/trafiquant – famille). Le schéma ci-contre propose les relations entre ces rôles dans cette structure narrative (cf. schéma n° 1)

De même qu’avec l’analyse d’Eco des romans de Ian Fleming, nous découvrons dans ces œuvres cinématographiques des structures précises aboutissant à la familiarisation des spectateurs avec un schéma relativement figé et organisé selon des ensembles prédéterminés ; structures parfois enracinées dans la propagande militaire des années 80 et due à la guerre. La découverte de ces structures, comme le souligne Eco, est à l’origine de la naissance d’un sentiment de plaisir et de joie chez l’interlocuteur, sentiment qui est la conséquence de la poursuite de la narration et des moindres changements conduisant le héros vers son but et l’objet de valeur qu’il espère obtenir.

    Sources :

    Corpus

    -Târâdj (Pillage) (1363/1984), Scénario : Alirezâ Dâvoud Nejâd ; Réalisateur : Iradj Ghâderi ; Interprètes : Djamshid Hâshempour, Fakhri Khorvash, Behzâd Djavânbakhsh, Djamshid Âryâ.

    -Nish (Piqûre) (1373/1994), Scénario : Rezâ Esmâïli, Hossein Farah Bakhsh ; Réalisateur : Homâyoun As’adiyân ; Interprètes : Djamshid Hâshempour, Abolfazl Pour’arab, Gholâm Hossein Lotfi, Sorayyâ Hekmat.

    -Guerogân (Otage) (1374/1995), Scénario : Ghâsem Dja’fari, Youssef Rezâ Raïssi ; Réalisateur : Asghar Hâshemi ; Interprètes : Djamshid Hâshempour, Djahânbakhsh Soltâni, Zohreh Hamidi.

    -Tchachm-e-Oghâb (Œil d’aigle) (1377/1998), Scénario : Ali Asghar Amini Dehghi avec la coopération de Shafi’ Âghâ-mohammadiyân ; Réalisateur : Shafi’ Âghâ-mohammadiyân ; Interprètes : Djamshid Hâshempour, Farâmarz Gharibiyân, Shahlâ Riyâhi, Rezâ Safâïpour

    Sources critiques :


    - Bleton, Paul, « Jacques Dubois, Le Roman policier ou la Modernité », in Etudes littéraires, vol. 26, n° 1, 1993, p. 131-137, page mise en ligne sur http://id.erudit.org/iderudit/501036ar


    - Boileau-Naecejac, Le roman policier, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1964.


    - Casebier, A., Denitto, D., Herman, W., Osoul-e naghd-e film (Principles of film criticism), traduit en persan par Djamâl Hâdj Âghâ Mohammad, Editions de Pay Jeh, Mehr 1360/ Septembre-Octobre 1981.


    - Eco, Umberto, « James Bond : une combinatoire narrative » In : Communications, 8, 1966. Recherches sémiologiques : l’analyse structurale du récit. pp. 77-93, page mise en ligne sur http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1966_num_8_1_1116

     


    - Eco, Umberto, « Sâkhtâr-e revâyat dar roman-hâye James Bond asar-e Ian Fleming » (James Bond : une combinatoire narrative), traduit en persan par Abolfazl Horri, in Ketâb-e mâh-e adabiyât, Mehr 1390/Septembre-Octobre 2011, N° 168, pp. 32-36.


    - Hâshemi, Mohammad, « Negâhi gozarâ be târikh-e cinemâ-ye action-e Iran va djahân : djahân-e ro’yâï-ye taharrok » (Aperçu sur l’histoire du cinéma d’action du monde et de l’Iran : monde rêveur du Mouvement), in Naghd-e-cinemâ, Dey 1387/Décembre-Janvier 2008-2009, N° 61, pp. 38-43.


    - Jinks, William, Adabiyât-e film : djâygâh-e cinemâ dar oloum-e ensâni (The celluloid literature : film in the humanities), traduit en persan par Mohammad Taghi Ahmadiyân, Shahlâ Hakimiyân, Téhéran, Sorush, 1364/1985.


    - Lintvelt, Jaap, Resâleh-i dar bâb-e gouneshenâsi-ye revâyat. Noghteh-ye did : nazariyeh va tahlil (Essai de typologie narrative : le « point de vue » : théorie et analyse), traduit en persan par Ali Abbâsi, Nosrat Hedjâzi, Téhéran, Editions Elmi-Farhangui, 1390/2011.


    - Mostaghâssi, Saïd, « Tahavvol-e genre dar cinemâ-ye pas az enghelâb » (L’évolution du genre dans le cinéma iranien postrévolutionnaire), in Fârâbi, Automne-Hiver 1380/2001, N° 42-43, pp. 46-90.


    - Redford, Gary, « Didâr bâ Umberto Eco » (Rencontre avec Umberto Eco), traduit en persan par Hormoz Homâyounpour, in Bokhârâ, été 1385/2006, N° 52, pp. 330-343.


    - Sharff, Stefan, Anâsor-e cinemâ, darbâreh-ye nazar-e ta’sir-e zibâyi shenâsi-ye cinemâ-yi (The elements of cinema, toward a theory of cinesthetic impact), traduit en persan par Mohammad Shahbâ, Fereydoun Khâmenehpour, Téhéran, Hermes, 6e éd., 1391/2012.

    http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2000.ben-ameur_k&part=11832, page consultée le 9/9/2016.

    http://www.sourehcinema.com

    Notes

    [1In Jinks, William, Adabiyât-e film : djâygâh-e cinemâ dar oloum-e ensâni (The celluloid literature : film in the humanities), traduit en persan par Mohammad Taghi Ahmadiyân, Shahlâ Hakimiyân, Téhéran, Soroush, 1364/1985, p. 163.

    [2Casebier, A., Denitto, D., Herman, W. Osoul-e naghd-e film (Principles of film criticism), traduit en persan par Djamâl Hâdj Âghâ Mohammad, Editions de Pay Jeh, Mehr1360/ septembre-octobre 1981.

    [3Sharff, Stefan, Anâsor-e cinemâ, darbâreh-ye nazar-e ta’sir-e zibâyi shenâsi-ye cinemâ-yi (The elements of cinema, toward a theory of cinesthetic impact), traduit en persan par Mohammad Shahbâ, Fereydoun Khâmenehpour, Téhéran, Hermes, 6e éd., 1391/2012.

    [4Eco, Umberto, « James Bond : une combinatoire narrative » In : Communications, 8, 1966. Recherches sémiologiques : l’analyse structurale du récit. pp. 77-93 : 91.

    [5Eco, Umberto, op. cit., p.91.

    [6Ibid., p. 90.

    [7Jinks, William, Adabiyât-e film : djâygâh-e cinemâ dar oloum-e ensâni (The celluloid literature : film in the humanities), traduit en persan par Mohammad Taghi Ahmadiyân, Shahlâ Hakimiyân, Téhéran, Sorush, 1364/1985, p. 9.

    [8 Ibid., pp. 34, 167.

    [9Hâshemi, Mohammad, « Negâhi gozarâ be târikh-e cinemâ-ye action-e Irân va djahân : djahân-e ro’yâï-ye taharrok » (Aperçu sur l’histoire du cinéma d’action du monde et de l’Iran : Monde rêveur du Mouvement), in Naghd-e-cinemâ, Dey1387/décembre-janvier 2008-2009, N° 61, pp. 38-43 : 38.

    [10Mostaghâssi, Saïd, « Tahavvol-e genre dar cinemâ-ye pas az enghelâb » (L’évolution du genre dans le cinéma iranien postrévolutionnaire), in Fârâbi, Automne-Hiver1380/2001, N°42-43, pp. 46-90 : 77.

    [11Ibidem.


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