N° 142, septembre 2017

Le Musée Picasso d’Antibes
(Ancien Musée Grimaldi)
Exposition « Picasso sans cliché. Photographie d’Edward Quinn »
8 avril - 15 octobre 2017


Jean-Pierre Brigaudiot


De l’Antiquité romaine à nos jours

 

Antibes est une petite et très ancienne ville de la Côte d’Azur, située non loin de Nice, sise au bord de la mer Méditerranée et dominée par deux bâtiments historiques, d’une part le Château Grimaldi, désormais appelé Musée Picasso, et d’autre part le Fort d’Antibes, une construction militaire du seizième siècle destinée à protéger les côtes françaises ; c’était au temps de la marine à voiles. Préalablement les Romains, occupant la région, avaient édifié sur ce site d’Antipolis (le nom latin d’Antibes) une construction dont les traces restent aujourd’hui encore visibles. Au Moyen Age, ce furent les évêques d’Antibes qui occupèrent les lieux ; plus tard, après la Révolution, le château devint l’Hôtel de Ville d’Antibes. Certes ce château a été considérablement restructuré au fil du temps, mais il garde un aspect majestueux dû, notamment, à ses hauts murs de pierre et à la présence d’un grand et sobre donjon, dû également au fait qu’il occupe une place dominante au dessus de la ville et face à la mer. Le musée Picasso se situe donc sur l’emplacement du Château Grimaldi, anciennement occupé par la famille Grimaldi, des princes génois de la même famille que les princes de Monaco, du même nom. Aujourd’hui, l’appellation est celle de Musée Picasso à la suite d’un certain nombre d’actions conduites par Romuald Dor, un professeur et archéologue qui en fit dès 1925 le Musée Grimaldi avant que Picasso, demeurant dans la région, n’y fut invité à utiliser certains des espaces pour y faire un atelier, en 1946.

Terrasse du musée Picasso

A la fin de son séjour, Picasso laissa en dépôt au musée un ensemble d’œuvres assez significatif de son travail du moment. Dès lors et peu à peu, la collection Picasso va se constituer avec peintures, dessins, sculptures et céramiques. C’est en 1966 que le musée Grimaldi prend le nom de Musée Picasso. En 1957, Picasso est devenu citoyen d’honneur de la ville d’Antibes, ce qui conforte son implantation en ces lieux. Récemment rénové et réaménagé, le château, devenu Musée Picasso, a su bénéficier de travaux judicieusement conduits afin d’en faire un espace muséal conforme à ce qu’est le white cube, c’est-à-dire un espace standardisé identique à ce que sont l’immense majorité des espaces d’exposition depuis plusieurs décennies. Ici l’enfilade des salles, sur plusieurs niveaux, allie judicieusement le blanc immaculé des murs d’accrochage et ce qui reste apparent des structures de l’architecture extérieure et intérieure du bâtiment historique. Autrement dit, le lieu est agréable à pratiquer et se prête volontiers à ce qui y est exposé ; la petite cour et la terrasse ornées de quelques sculptures de différents artistes sont délicieuses avec un muret de clôture qui donne sur la pleine mer, la Méditerranée et son bleu si profond autant que quasi permanent… On n’imagine d’ailleurs pas cette mer autrement que bleue !

Affiche d’annonce de la collection Picasso

 

Une collection hétérogène où Picasso côtoie beaucoup de monde

 

Le fonds concernant Picasso recèle aujourd’hui environ 245 œuvres, mais aussi un certain nombre d’œuvres d’autres artistes, ce qui rend la collection assez hétérogène au-delà des œuvres de Picasso. On y trouve à la fois des artistes comme Hans Hartung, un peintre abstrait de la gestualité, ou autrement dit de l’expressionnisme abstrait, on trouve des peintures de Nicolas de Staël qui résida à Antibes et produisit une œuvre plutôt paysagiste à la limite de la figuration et de l’abstraction, œuvre picturale de hautes pâtes, donc matiériste. Quelques sculptures sont d’autre part installées dans la cour qui domine la mer, dont une œuvre d’Anne et Patrick Poirier, un Miro, un Pagès, une accumulation de violons due à Arman, etc.

Le Musée Picasso d’Antibes

La collection est constituée d’achats et de beaucoup de donations d’artistes, de membres de leurs familles ou de collectionneurs. L’accrochage ou la présence de ces œuvres aux côtés des Picasso est quelque peu déstabilisant pour le visiteur avant tout attiré par un musée qui porte le nom prestigieux de Picasso, ceci d’autant plus que ces œuvres ne sont pas toujours les meilleures produites par ces artistes. Ainsi la raison d’être là, au Musée Picasso, de ces œuvres d’artistes qui n’ont pour la majorité d’entre eux rien à voir avec le maître Picasso, n’est vraiment pas évidente et interroge la politique d’achats et de réception de donations de ce musée. Que l’on rapproche, pour une raison ou une autre, l’œuvre de Picasso de celle d’autres artistes, cela peut sembler logique et légitime : dans un but de comparaison, dans un but démonstratif, ou par exemple quant à la capacité bien connue de Picasso à s’emparer de telle ou telle invention, cela pourrait être intéressant. Ce Musée Picasso d’Antibes a donc bien peu à voir avec le musée Picasso de Paris !

Œuvres de Picasso

 

Picasso photographié

 

Le plus notoire des photographes ayant œuvré avec Picasso pour sujet, modèle, interlocuteur, est certes Brassaï, son œuvre est remarquable. Ici, le Musée Picasso propose trois approches du maître, selon trois « regards » différents. La principale exposition, la seule qui fasse l’objet d’une annonce, présente un ensemble de photos en noir et blanc d’Edward Quinn, elle s’intitule « Picasso sans cliché. Photographie d’Edward Quinn ». Ce sont des petits formats, le plus souvent en noir et blanc. Ce photographe vivait sur la Côte d’Azur et a rencontré Picasso au début des années cinquante. Quinn travaillera beaucoup avec Picasso dont il était devenu ami, ce qui lui permettait d’accompagner l’artiste tant dans sa vie ordinaire et sociale que dans son atelier, ceci sans provoquer ni gène ni réticence de celui-ci.

Céramiques de Picasso

L’annonce est faite au visiteur, à travers quelques lignes dont l’auteur est le photographe, qu’il ne s’agit ni de photo arrangée ni de photo mise en scène, ce qui n’empêche certes pas un travail important de choix des angles de vision, des cadrages et des lumières lors des prises de vues, tout cela étant à l’évidence fort réfléchi. Evidemment, une telle exposition ne montre pas le reliquat, c’est-à-dire toutes les photos que Quinn n’a pas retenues. Avec cette exposition, il s’agit d’un voyage au quotidien avec l’artiste, avec les siens, dans son atelier, lors de voyages. On y voit un Picasso en famille ou avec des proches, comme son marchand Khanweiller ou d’autres artistes notoires, on y voit un Picasso pensif et seul, dans son atelier ou quelque part au monde… Une photo donc avant tout en noir et blanc d’un Picasso simplement humain, loin de la figure du monstre sacré par son immense notoriété. Artiste et être humain parmi les objets les plus banals dont il effectuera la transmutation en objets d’art d’une portée mondiale.

Picasso en famille ; photo exposée au Musée Picasso

 

Une visite peu convaincante

 

Cette exposition des photos d’Edward Quinn qui est annoncée comme l’événement de la saison laisse un sentiment d’insuffisance, non point en elle-même, mais quant à la visite d’un Musée Picasso. Il y a d’une part cette exposition photo qui est sympathique et permet de connaitre et partager un peu plus de l’intimité de Picasso, un peu de son quotidien avec le travail d’atelier, la vie sociale et la vie familiale ; et il y a d’autre part les cimaises du musée avec un accrochage que Picasso doit partager avec les artistes évoqués ci-dessus. Pour le visiteur, la visite du musée repose en grande partie sur une attente importante d’œuvres remarquables de Picasso, ceci étant donné sa stature. D’autre part, la séparation entre l’exposition de Quinn et l’accrochage proposé par le musée se fait difficilement. Outre ce partage du territoire d’accrochage, il y a là des œuvres de Picasso qui ne sont pas nécessairement enthousiasmantes, ni toujours les meilleures.

Cela est sans doute dû à la collection constituée en grande partie de donations, mais aussi, certainement, aux moyens propres du musée lui permettant ou non d’effectuer les achats nécessaires à l’élaboration d’une collection à la hauteur de la notoriété du maître. Cependant, dans cette collection Picasso, les céramiques présentées sont bien intéressantes, il faut dire que Picasso, habitant Vallauris, capitale de la céramique d’art en France, fut un grand artiste en ce domaine.

Au demeurant, ce musée est un lieu agréable qui pourrait sans nul doute justifier davantage cette politique consistant à faire cohabiter Picasso et d’autres artistes. Néanmoins, les commentaires comme les explications mis à la disposition du public sont bien chiches, tant en termes de cartels que de documents à disposition du public, mais également en termes de site Internet.

Le Musée Picasso

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