N° 144, novembre 2017

LA CITE INTERNATIONALE DES ARTS A PARIS
…ou la nouvelle ruche…
 (La Ruche, qui existe toujours, est une cité d’artistes créée en 1902
à Paris, à partir de matériaux de récupération d’une exposition
universelle, pour accueillir les artistes dans le besoin, et elle eut
pour locataires certains artistes devenus très célèbres, tels
Modigliani, Brancusi, Chagall ou Léger)


Jean-Pierre Brigaudiot


Vers une réelle dynamique

 

La Cité des arts est aujourd’hui installée sur deux sites, l’un, le principal et premier de ces sites trône sur les quais de la Seine, à proximité du Pont Marie et de l’Hôtel de Ville, face à l’Ile Saint Louis, et l’autre site est à Montmartre, un haut lieu historique des arts. La Cité des arts a été pensée et fondée par un artiste finlandais, Erro Snellman, en 1937, lors de l’Exposition Universelle de cette même année. La construction ne se fit qu’après la Seconde Guerre mondiale, et l’ouverture eut lieu en 1965. Le bâtiment des quais de la Seine témoigne de ce que put être la modernité architecturale des années soixante, c’est-à-dire internationale et insipide. Mais ce sont peut-être les aménagements intérieurs qui dégagent davantage encore une atmosphère surannée ! C’est sans doute l’une des raisons qui pousse la direction de l’établissement à une mise à jour des lieux et à repenser les aménagements individuels et collectifs, à créer des espaces de convivialité, d’exposition, de rencontre et d’échanges ici et là, dans les jardins ou aux alentours immédiats des bâtiments. Il en va de même avec le site de Montmartre dont il est question de restructurer les quelque 5000 m2, avec un espace jardin. Les ateliers collectifs, comme ceux dédiés à la sculpture ou à la céramique, à la musique ou à la projection filmique et les lieux de rencontre et de spectacle se multiplient, répondant ainsi aux besoins actuels des différentes formes d’art plus relationnelles et festives que ce ne fut le cas antérieurement. Les espaces d’exposition du bâtiment initial comportent une vaste galerie qui se répartit sur plusieurs niveaux pour une surface totale de 500m2, cette galerie étant accessible à différents projets internes et externes à la Cité, et dans ce dernier cas, ils sont locatifs. La galerie est bien éclairée, y compris par la pleine lumière du jour ; elle est modulable et blanche comme il se doit selon les exigences du white cube.

La Cité internationale des Arts à Paris

La Cité des arts est une fondation privée d’utilité publique dont les principaux partenaires en même temps que tutelles sont l’Alliance Française, c’est-à-dire, en amont, le ministère des Affaires Etrangères, la Ville de Paris, le ministère de la Culture, et l’Académie des Beaux-Arts qui financent la Cité à hauteur de 10% de son budget, les 90% restant provenant de l’auto-subventionnement. L’actuel président est Henri Loyrette, conservateur des musées, notamment au Louvre, qui porte une attention particulière au principe même de la résidence d’artiste. La directrice générale est Bénédicte Alliot, titulaire d’un doctorat en littérature anglaise, Maître de conférences, dont le parcours dans le monde de l’art s’est prioritairement effectué dans le cadre des Instituts Français, notamment en Afrique et en Inde. Autant dire que ces deux principaux acteurs ont largement la compétence requise pour relancer la dynamique de la Cité des arts, car en effet, outre un côté pensionnat d’antan, elle a connu des périodes de douce somnolence qui ont contribué à lui donner une image peu attrayante en termes de productions, d’activités artistiques et de visibilité. Ses vernissages furent longtemps essentiellement fréquentés par les artistes résidents eux-mêmes, comme si ce lieu était refermé sur lui-même, coupé du vrai monde de l’art.

La Cité internationale des Arts à Paris, 1965

J’ai écrit le présent article après m’être longuement entretenu avec la, encore nouvelle, directrice générale, Bénédicte Alliot, sur ce qu’est devenue la Cité des arts depuis son arrivée. Antérieurement, la Cité des arts gérait les résidences sans créer de dynamique permettant à ses artistes d’exposer hors les murs, sauf initiative personnelle, de se rencontrer et dialoguer avec le monde de l’art. Chacun résidait dans un atelier logement de taille suffisante pour y travailler selon les pratiques les plus courantes, telle la peinture, ceci alors que depuis bien longtemps, les pratiques artistiques se sont grandement diversifiées, réinventées et démultipliées : installation, multimédia, net art, vidéo art, performance, esthétique relationnelle, art conceptuel, écriture, etc., font partie des pratiques d’aujourd’hui. L’artiste peut désormais être tout autre que celui qui opère discrètement dans son atelier, il sait se faire commissaire d’exposition, théoricien de l’art, sociologue et par exemple, quand il est peintre, il peut également être poète, musicien et vidéaste. C’est cette mutation que la Cité des arts prend aujourd’hui en compte, une nécessité absolue pour que sur la scène internationale, la France, à travers des établissements comme la Cité des arts, le Palais de Tokyo ou le Centre Pompidou, apparaisse davantage comme étant un foyer de création contemporaine et pas seulement comme un pays muséifié que parcourent des hordes de touristes, même si nos musées sont en général et qualitativement des lieux d’exception. Il est vrai qu’au niveau international, la France, au-delà de ses musées et lieux institutionnels, a depuis longtemps perdu ses manifestations les plus attrayantes en termes d’art et de création contemporaine, telles les biennales ou des événements comme peuvent l’être la Biennale de Venise ou encore la Dokumenta de Kassel en Allemagne. Mais il faut dire que les mutations des musées d’art moderne et contemporain leur ont permis d’être à la fois réceptacles et acteurs-commanditaires de la création d’aujourd’hui, ce qui évidemment a changé la donne. Cependant, la France véhicule indéniablement une image de pays où la démultiplication des foires commerciales d’art tend à réduire l’art vivant, d’une part à un objet (logeable dans un stand de quelques mètres carrés) et d’autre part à une marchandise. En se renouvelant et en se repensant, la Cité des arts peut, du fait de la quantité d’artistes qu’elle reçoit en leur permettant d’œuvrer et d’apparaître sur la scène artistique, espérer contribuer à améliorer l’image de la France. D’autant plus que Bénédicte Alliot est à même de travailler de plain-pied avec les Instituts Français au niveau mondial.

 

Atelier collectif

Etre artiste résident, mais aussi critique d’art résident ou commissaire résident

 

La résidence d’artiste ne date pas d’aujourd’hui si l’on se réfère à la villa Médicis de Rome ! Désormais, en France comme dans beaucoup d’autres pays, le principe est le même : un artiste candidate, s’il est retenu, il peut être partiellement ou totalement pris en charge pour les frais de séjour, de résidence et le travail qu’il effectuera, voire davantage puisque son travail est possiblement exposé, médiatisé et accompagné d’un vernissage et d’un catalogue. Différents établissements tels des musées, des universités, des centres d’art contemporain proposent ainsi des résidences dont la durée peut aller jusqu’à une année. La résidence itinérante existe également, ses modalités sont variables selon les organismes ou structures qui en sont les initiateurs et partenaires. Ces résidences, selon leur nature, selon l’artiste, selon l’assistance dont il bénéficie peuvent grandement profiter à l’artiste et même être déterminantes pour sa carrière. Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas, selon l’organisme d’accueil et la personnalité de l’artiste.

Galerie

Les résidences d’artistes dont il est ici question s’obtiennent de différentes manières, et rien que pour la Cité des arts des quais de Seine, il y a plus de trois cents ateliers logements où la résidence se fait sur des durées allant d’un mois à six mois ; la durée la plus fréquente étant celle de trois mois, en raison notamment des visas Schengen dont la durée est limitée à ces trois mois. Cette durée n’est certes pas sans poser problème aux artistes en termes d’adaptation et de dépaysement, en même temps que d’émergence d’un travail artistique dans de nouvelles conditions qui peuvent aller de l’atelier à la communication linguistique en passant par le manque de relations sur la scène artistique de Paris. La cité des Arts s’active cependant réellement pour venir en aide aux artistes, en un accompagnement dans certaines rencontres utiles mais surtout en organisant une réelle dynamique d’actions, expositions, événements ouverts sur le monde international des arts. Car la Cité des arts reçoit en résidence, outre les artistes du domaine des arts plastiques ou visuels, des musiciens, des acteurs, des performeurs, des commissaires d’expositions, des critiques d’art. Manquent peut-être encore des conférences débats dont le caractère plus théorique permettrait aux artistes de mieux situer leurs propres postures dans le monde de l’art, mondialement. Dans un certain nombre de pays, en effet, la mise en perspective théorique des enjeux de la création reste absente, question de liberté du débat, de liberté de la presse et de défiance à l’égard de ce qui pense. Mon expérience vécue dans un accompagnement de quelques artistes depuis 2004 jusqu’à aujourd’hui témoigne cependant d’une nécessité absolue d’une maîtrise du français ou de l’anglais. L’an passé, j’ai assisté à un séjour en résidence qui fut réellement un échec pour la seule raison que l’artiste ne parlait ni anglais ni français, et est donc resté à Paris durant trois mois en tant que touriste, ce qui ne relève pas de la vocation des résidences à la Cité des arts, celle-ci étant d’offrir une possibilité exceptionnelle de création dépaysée à l’artiste résident. Mais, inversement, j’ai pu voir récemment une résidence parfaitement réussie pour une artiste iranienne, très dynamique ; ainsi Zahra Shafie a-t-elle à la fois peint avec ardeur, participé à des spectacles performances, et noué une quantité de liens avec les autres artistes.

Studio de repetition
Auditorium

Il y a plusieurs modalités d’accès aux résidences de la Cité des arts, aux plus de trois cents ateliers logements, la plus classique étant, deux fois l’an, la candidature individuelle sur projet adressée selon les modalités et les dates accessibles sur le site Internet à la commission de la Cité des Arts. Cette commission est composée de personnalités du monde et des disciplines de l’art et de membres de la Cité des arts. Selon Bénédicte Alliot, le projet de travail formulé par l’artiste lors de sa demande est déterminant. A noter enfin que cette résidence en demande directe à la Cité des arts est le plus souvent entièrement financée par l’artiste. D’autres modalités existent, qui passent et sont financées par les Instituts Français liés aux ambassades de différents et nombreux pays. Il y a d’autre part la résidence soutenue et financée, au moins partiellement, par des opérateurs culturels, ceux que la Cité appelle les Partenaires Souscripteurs, au nombre de 135, ces derniers pouvant être des musées, des centres d’art, des galeries d’art, différentes institutions de l’art. Dans ce cas, comme pour ce qui est des Instituts Français, l’artiste résident est désigné par le partenaire de la Cité des arts. Ainsi l’Etat iranien, en tant que Partenaire Souscripteur dispose de plusieurs ateliers logements où il peut envoyer des artistes en résidence. Enfin il existe une autre résidence, celle qui s’inscrit dans le cadre d’un projet en partenariat ponctuel avec un organisme le plus souvent culturel, étranger ou français ; ici le projet de l’artiste s’inscrit tout naturellement dans celui défini par le Partenaire Souscripteur, et l’artiste choisi reste à la cité des arts durant la période, variable, offerte par ce partenariat. Ce fut le cas avec le festival Cosmopolis présenté par le centre Pompidou. Les artistes des différents pays du monde ont donc plusieurs possibilités d’accès aux candidatures à résidence. Dans sa volonté de ne pas isoler les artistes résidents, l’initiative d’offrir des résidences à la critique d’art française comme étrangère semble extrêmement positive et inventive, cela permet à celle-ci d’imaginer différentes actions et projets qui pourront impliquer certains des artistes résidents, durant et au-delà de leur séjour. Enfin, il est bon de souligner que les résidences sont accessibles aux artistes français.

La Cité internationale des Arts à Paris

 

Faire en sorte que la nouvelle dynamique perdure

 

J’ai posé la question à Bénédicte Alliot sur l’existence éventuelle d’une évaluation et d’un retour évaluatif par les bénéficiaires des résidences. Il existe effectivement un document que les artistes sont invités à retourner à la Cité après leur résidence, et son utilité dépend certes de la nature suggestive ou objective de l’enquête conduite autant que de la volonté de l’enquêté de répondre. La Cité conduirait également et actuellement d’autres types d’analyses et évaluations sur son propre fonctionnement, sur les résultats des objectifs mis en place ; cela m’a paru extrêmement positif en ce sens que cette structure s’était peu ou prou sclérosée avant l’arrivée de la nouvelle direction. L’art d’aujourd’hui évolue à peu près à la vitesse où se succèdent et sont subverties les nouvelles technologies, art lui-même épris de nouvelles technologies, de nouveaux médias, pris d’autre part dans une volonté et un besoin de renouvellement suscités par le marché.

Nouvel atelier-logement à la Cité internationale des Arts

Avec sa nouvelle directrice, la Cité des arts joue un rôle de plus en plus essentiel dans la vie artistique intense que connait la France, et on peut espérer que cette un peu vieille Cité va continuer à se transformer pour s’inscrire comme incontournable dans l’histoire de l’art, comme ont su le faire antérieurement des lieux tels le PS1 de New York ou Munster, en Allemagne.

Enfin, il semble que les rotations rapides des nombreux résidents laissent entendre que les artistes désireux de candidater ne doivent pas hésiter à le faire, mais surtout à partir d’un projet prenant en compte à la fois leur création artistique et ce qu’elle pourrait advenir durant une résidence au cœur de la France, terre des arts. L’offre faite par la Cité des arts est conséquente, et nul artiste ne doit sortir indemne de son séjour : rencontres, contacts, réalisations, retours en France sur de nouveaux projets dans et hors la Cité.


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