N° 145, décembre 2017

Suse, la capitale du monde


Shahâb Vahdati


Située dans le sud-ouest de l’Iran, au pied des montagnes Zagros, à 250 km à l’est du fleuve Tigre, l’une des plus anciennes villes du monde, Suse, fut le centre religieux et la capitale de l’ancien royaume d’Elam ainsi que l’une des capitales des Achéménides. Aujourd’hui encore, elle possède des chefs-d’œuvre des arts élamite et achéménide. La ville historique est maintenant un site archéologique situé aux abords de la ville moderne de Suse (Shûsh).

La vieille ville de Suse a fait l’objet de fouilles dès la fin du XIXe siècle, avec des recherches archéologiques effectuées en plein air sur les restes de la ville antique qui forment quatre collines. La première, la Colline de l’Acropole, est située dans le sud et abrite la ville royale d’Elâm. La deuxième, la Colline d’Apâdânâ, se trouve au nord. On y a découvert les ruines d’un palais achéménide avec des bas-reliefs représentant la procession de soldats, ainsi que les restes d’une salle de cérémonie achéménide, l’Apâdânâ, et un temple du feu datant de la première moitié du IVe siècle av. J.-C. La Colline de la Ville Royale se trouve à l’est. Il s’agit du lieu de résidence des rois achéménides et de la noblesse sassanide du IIIe siècle av. J.-C. au VIIe siècle. Dans cette même zone se trouve la Colline de la Ville des Artisans où des nécropoles parthe (IIIe siècle av. J.-C.-IIIe siècle) et séleucide (de 312 à 64 av. J.-C.) ont été mises à jour.

Suse est l’une des villes les plus anciennes du monde. Sa fondation date du début du IVe millénaire av. J.-C. Les archéologues ont découvert les vestiges d’une colonie agricole entourée de murs, ainsi que les traces d’une architecture monumentale, des œuvres primitives en pierre et en cuivre, ainsi que des sceaux ornés d’une écriture pictographique. Les céramiques sont décorées de motifs géométriques élégants et d’images stylisées d’oiseaux, d’animaux et de personnes.

Dans la première moitié du troisième millénaire av. J.-C., Suse était un important centre politique et économique. C’est l’époque des rois dont les tombes renferment une variété d’outils et d’armes, des objets en or, des tablettes et écritures hiéroglyphiques. L’art de cette période est représenté par des images de griffons, de lions ailés et de démons, ainsi que des scènes de la vie quotidienne avec des motifs de chasse, d’artisanat et de récoltes.

A partir de la seconde moitié du IIIe jusqu’au premier tiers du Ier millénaire avant notre ère, Suse est la capitale d’Elam. Cette période voit la création d’œuvres exceptionnelles et représentatives de l’art de cette civilisation. Un exemple en est la statue en bronze de la reine Napier-Asu. Les archéologues ont retrouvé un nombre important d’œuvres en céramique, de vêtements peints, de bas-reliefs et d’objets pillés par les Elamites lors de leurs campagnes en Mésopotamie, telles que les stèles du code de Hammourabi et celle de Naram-Sin d’Akkad. Ce sont les découvertes des épigraphes en cunéiforme qui ont le plus contribué aux avancées archéologiques sur ce sujet, notamment un contrat avec le roi Naram-Sin, des épigraphes des rois élamites, des documents, des rapports d’affaires et des actes de propriété.

Statue en bronze de la reine Napier-Asu

Suse, la capitale, est également un centre religieux dont le panthéon voit l’élévation de la Déesse Mère Pinikir (ou Pinengir), considérée comme la mère des dieux. Un grand rôle a également été joué par le culte de Puzur-Inshushinak, patron de Suse et dieu des enfers. Le dieu du soleil et de la justice Nahhunte était considéré comme le créateur du jour. A en juger par les images sur les sceaux, des prêtres nus effectuaient les activités du culte. Dans le cadre des cérémonies religieuses, des musiciens participaient également, en effectuant leurs devoirs ecclésiastiques. à la tête du corps sacerdotal se trouvait le grand prêtre, qui exerçait une grande influence à la cour et accompagnait le roi dans les campagnes militaires.

Au VIIe siècle avant notre ère, de 558 à 330 av. J.-C., Suse est l’une des capitales des Achéménides. Durant ces deux siècles, l’architecture de la ville subit fortement l’influence achéménide. Un siècle auparavant, en 645 av. J.-C., Suse avait été pillée et détruite par les Assyriens. L’ancienne capitale d’Elam est désormais la résidence d’hiver des Perses. Sous Darius Ier (522 à 486 av. J.-C.), la ville connaît un essor architectural. Les excavations ont révélé des monuments d’art achéménides comme le Bas-relief des Flèches, également nommé “Archers de Darius”, les chapiteaux des colonnes à la Chambre des publics, ou le palais de Darius. Les matériaux pour la construction du palais proviennent de douze pays différents, ainsi que les maîtres maçons.

Epigraphe de Darius le Grand découverte au Palais d’Apâdânâ de Suse

Après la conquête macédonienne (au IVe siècle avant J.-C.), Suse adopte la structure d’une ville grecque.

Située sur la vaste vallée fertile entre les fleuves Kâroun et Karkheh dans le sud-ouest de l’Iran moderne, la capitale d’Elam est l’un des plus anciens lieux d’apparition de l’agriculture. Déjà, au tournant du IV-IIIe millénaire avant notre ère, les habitants des vallées des fleuves Kâroun et Karkheh cultivaient l’orge et le blé. Les montagnes environnantes habitées par des éleveurs de bétail étaient riches en bois de construction et en métaux. D’importantes routes commerciales reliaient Suse à la cour, du Nord à l’Est en traversant la vallée. Il n’est pas surprenant que, située à l’intersection des routes commerciales, elle devînt bientôt la capitale d’Elam et l’un des centres de la civilisation antique.

Les souverains élamites avaient le titre de Sukkalmah ("grand messager"), et leur palais se trouvait sur une colline artificielle au nord-ouest de Suse, sur les rives du Karkheh. Cette acropole géante se trouvait à 33 m au-dessus du niveau de la rivière et à 6 m au-dessus du reste de la ville. De là, les Sukkalmah régnaient sur le pays, en s’appuyant sur des lois qu’ils prétendaient recevoir des dieux. Les dieux du panthéon élamite étaient nombreux ; un seul texte datant du XXIIIe siècle avant notre ère cite les noms de 37 divinités élamites. Le principal centre religieux du pays et la maison des dieux étaient également la ville de Suse.

Site de Suse à la fin du XIXe siècle

Comme chez beaucoup de peuples agricoles de l’antiquité, la divinité suprême des Elamites était la Grande Déesse Mère nommée Pinekir, et le protecteur de la ville se nommait Puzur-Inshushinak, dieu obscur des enfers. Au milieu du IIe millénaire avant notre ère, la position prédominante dans le panthéon élamite était occupée par le dieu Humban. Et le dieu solaire Nahunte, le créateur du jour, était un juge céleste qui punissait pour insoumission aux lois données par les dieux.

Ces réalités sont connues grâce aux nombreuses informations découvertes dans les textes en écriture élamite pictographique. Cet alphabet, inventé au début du IIIe millénaire avant notre ère, se composait d’environ 150 signes de base qui transmettaient des mots entiers et des concepts. Il a été en usage pendant plus de 400 ans. Des tablettes gravées avec cette écriture proto-élamite ont été retrouvées non seulement à Suse, mais dans tout le territoire d’Elam et au-delà de ses frontières, dans le centre et le sud-est de l’Iran et en Mésopotamie. Cela témoigne de la large diffusion de la culture élamite. Cependant, elle n’a pas encore été décodée et seuls les textes élamites rédigés en d’autres alphabets sont à ce jour compréhensibles. Un autre alphabet est inventé en Elam dans la seconde moitié du IIIe millénaire, qui est indépendant du proto-élamite. Il était composé de plus de 800 caractères dont chacun dénotait une syllabe et non un mot. On a découvert des écrits dans cet alphabet sur des supports en pierre, argile et métal. Dès la fin du IIIe millénaire avant notre ère, les élamites utilisaient également l’écriture cunéiforme akkado-sumérienne.

L’histoire d’Elam est étroitement liée à celle de la Mésopotamie avec des guerres sanglantes, des traités de paix et des relations commerciales et culturelles étroites. Parfois, Elam perdait son indépendance et tombait sous le contrôle des souverains de la Basse-Mésopotamie. Parfois, c’étaient les Elamites qui envahissaient la Mésopotamie et en prenaient le contrôle. Au milieu du XIVe siècle av. J.-C., Elam fut conquis par les Babyloniens. Cependant, vers 1180 av. J.-C., le roi d’Elam, Shutruk-Nahhunte Ier, rétablit l’indépendance du pays et, au cours d’une marche victorieuse vers Babylone, pilla la ville et amassa un riche butin. Il prit notamment la célèbre stèle des lois de Hammourabi. Cette campagne sur Babylone marqua le début de l’apogée d’Elam. Le pouvoir des rois élamites s’étend alors du golfe Persique au sud à l’actuelle ville iranienne de Hamedân au nord.

Au VIIIe siècle avant J.-C., Elam, qui s’est allié aux Babyloniens, se lance dans des guerres interminables contre les Assyriens. Exsangue, le royaume élamite subit une défaite finale en 642 av. J.-C. Suse est prise et ravagée par les Assyriens. Ainsi s’achève l’histoire de Suse comme capitale d’Elam, mais moins d’un siècle plus tard, elle est choisie par les Achéménides comme le centre administratif du plus vaste empire jamais vu. Dans un décret royal, Darius I retrace les travaux effectués pour la reconstruction de cette ville, ainsi que les matériaux employés :

Palais de Darius, la Résidence et l’appartement royal, Suse

“C’est le palais que j’ai construit à Suse... Le cèdre a été apporté du Mont Liban, par les Assyriens et les Ioniens. Le teck a été apporté du Gandhara et de la Karmania. L’or a été livré par la Lydie et la Bactrie. Les gemmes en lapis-lazuli et cornaline ont été livrées par la Sogdiane. La turquoise est de Khârezm. L’argent et l’ébène proviennent d’Egypte. Les décorations murales sont fournies par la Grèce (Ionie). L’ivoire provient de l’Ethiopie (Kushan), de l’Inde et d’Arahosie [actuel Baloutchistan]. Les colonnes de pierre proviennent du village d’Abiradu à Elam. Les ouvriers qui ont écrasé la pierre étaient Ioniens et Lydiens. Les orfèvres qui travaillaient sur l’or et incrustaient l’arbre étaient Mèdes et Egyptiens. Ceux qui ont moulé la brique brûlée étaient Babyloniens.

Darius le Roi dit : A Suse, le magnifique édifice a été commandé pour être construit. Ahura Mazda me garde, ainsi que Vishtasp mon père et ma patrie”.

Les excavations conduites par l’archéologue français Roman Girshman (1895-1979) ont montré que ce palais a été construit entre 518-512 av. J.-C. Le roi Darius l’avait choisie comme capitale de son empire pour bénéficier de la gloire dont la ville avait joui dans les temps anciens.

Bien que la cour passait seulement le printemps à Suse (l’automne et l’hiver à Babylone, l’été à Ecbatane), cette ville constituait le cœur de l’administration impériale. Un réseau dense de routes reliait Suse à toutes les satrapies du vaste empire. Les documents en cunéiforme relatifs à la période des VI-V siècles av. J.-C. contiennent une foule d’informations sur les échanges administratifs et la gestion impériale du pays depuis Suse jusqu’aux confins de l’Empire, de l’Egypte à l’Inde. Et c’est à Suse qu’étaient envoyées toutes les missives adressées au Roi.

Selon Strabon, chaque roi perse a construit son propre palais à Suse. Des informations importantes sur le complexe des bâtiments du palais à Suse se trouvent dans le Livre d’Esther qui mentionne “la cour intérieure”, “la maison du roi” (chambres royales), “la maison des femmes” (harem). Le Livre d’Esther rapporte également que le sol du palais royal de Suse était pavé de marbre rouge, blanc, noir et jaune.

Roland de Mecquenem, Suse

à la fin du XIXe siècle, les archéologues français ont eu l’occasion de vérifier l’authenticité des rapports des auteurs anciens. En 1884-1886, ils ont mené des fouilles sur les ruines du palais du roi Artaxerxès II à Suse. Leurs découvertes furent un palais monumental et de belles sculptures représentant des lions, suscitant un grand enthousiasme dans la communauté scientifique. En 1898, Jacques de Morgan et son collègue Roland de Mecquenem commencent à exhumer l’acropole à Suse.

Ils réussirent à découvrir les couches concernant la première période de l’existence de Suse, remontant au début du IIIe millénaire avant notre ère. Ils purent également établir le degré de destruction dont Suse a souffert au VIIe siècle avant notre ère, pendant l’invasion assyrienne. L’une des principales découvertes des archéologues furent les ruines de l’immense palais de Darius Ier, construit par les maîtres de sept pays et pour lequel vingt pays envoyèrent les meilleurs matériaux de leurs territoires.

Les fouilles effectuées par les archéologues français ont continué avec des interruptions pendant plus de quatre-vingts ans. Mais c’est seulement en 1974 que le plan de l’immense complexe achéménide est finalement mis à jour : les propylées monumentaux, la cour, le palais royal, la salle de réception (âpâdânâ). Cette construction énorme, commencée sous Darius I, a été complétée par son successeur Xerxès.

Les fouilles ont révélé que le palais de Darius se trouvait sur une terrasse rectangulaire d’une superficie de 400*260 m2. Il comptait 110 chambres, couloirs et cours, d’une superficie totale de 20 675 m2. Les murs étaient décorés de vastes panneaux de briques vernissées avec des images de guerriers, d’animaux divers et de créatures mythologiques. Un immense hall de parade jouxtait les chambres royales. C’est dans ce hall, construit sur ordre de Darius Ier, que se tenaient les réceptions solennelles de dignitaires et d’ambassadeurs étrangers. Le plafond de la salle était soutenu par six rangées de colonnes, dont les sommets étaient décorés de chapiteaux en forme de têtes haussières.

Bibliographie :
- Diakonov, Igor Mikhaïlovitch, Târikh-e Mâd (Histoire des Mèdes), trad. de Karim Keshâvarz, Téhéran, Ed. Elmi Farhangui, 2008.
- Loftus, William K., Travels and Researches in Chaldaea and Susiana (Les Voyages et les recherches en Chaldée et en Suse), Ed. Robert Carter & Brothers, 1857.
- Rawlinson George, A memoir of Henry Creswicke Rawlinson (Un souvenir d’Henry Creswicke Rawlinson), Ed. Nabu Press, 2010.
- Vallat François, The History of Elam (Histoire d’Elam), Ed. The Circle of Ancient Iranian Studies, 1999.
Sites consultés :
- http://www.iranicaonline.org/articles/susa-i-excavations
- http://www.susacity.ir/indexen.htm
- http://www.susa.ir/


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