L’innocence, la gentillesse, l’enfance, la jouissance, la pureté, l’amour et presque toutes les vertus que les livres de la Morale nous définissent, je les retrouve toutes dans son visage angélique, dans ses beaux yeux ronds et brillants, baignés dans une larme dont l’origine me paraît familière et en même temps inconnue. Elle ne regrette pas son acte d’héroïsme, mais sa joie naturelle se heurte à une tristesse céleste, à une peine douloureuse issue de cette vérité amère et de cette blessure tragique qu’elle devra supporter peut-être pour toute sa vie. Haniyeh a 13 ans, mais son caractère est très différent de celui des adolescentes de son âge. Elle fait preuve d’une maturité intellectuelle, et d’une sagesse tôt développées dans sa grande âme. Les larmes de Haniyeh sont celles d’une héroïne.

Ce jour-là, le soleil de leur petit village, dans la province de Kermânshâh, se couche comme les autres jours. L’ombre du soir s’étend sur le village. Personne ne peut deviner l’ampleur de la catastrophe que cette région va subir dans quelques heures. Le père de Haniyeh, un simple ouvrier, subvient difficilement aux besoins de sa famille de trois enfants. Haniyeh est le deuxième enfant de cette famille, Hoda, sa sœur, n’a que 3 ans, et son frère Meysam a quelques années de plus qu’elle. Haniyeh est déjà connue dans le quartier et à l’école comme une jeune fille pleine d’énergie, de motivation, un sens du leadership, une source infinie d’affection, et comme la bien aimée de ses parents. Elle est celle qui défend le foyer. Son statut et son attitude font penser au personnage de Nafas dans le nouveau film de Narges Abyar, Nafas (Breath), qui représentera le cinéma iranien aux Oscars 2018. Elle montre le même héroïsme, le même sens du sacrifice pour préserver la cohésion de la famille, pour protéger son unité, le même amour pour le père de la famille et le même altruisme envers tous les êtres qui l’entourent. Une affection pour toutes les créatures sur la terre. Une sainteté qui enveloppe l’humanité.

 

Haniyeh sur son lit d’hôpital

La famille a déjà dîné. Haniyeh et sa maman font la vaisselle dans la cuisine de leur petite maison, dont le papa paye difficilement le loyer. Demain matin, elle doit aller à l’école. Elle rêve de ses camarades de classe. Peut-être vont-elles lire, demain, pendant le cours de persan, la célèbre leçon de Dehghân-e Fadâkâr, l’histoire réelle d’un paysan iranien qui risque sa vie pour sauver les voyageurs d’un train, ou cette leçon concernant Shahid Fahmideh, cet adolescent de 13 ans qui se sacrifie pour défendre sa patrie au cours de la Guerre imposée par l’Irak à l’Iran. Elle songe au reste de sa vie, à ses douces rêveries, à ses idées enfantines, à ces beaux moments, à ces rencontres inattendues que la vie lui réserve, comme toutes les filles de son âge. Sa petite sœur de 3 ans dort calmement après avoir joué avec les anciennes poupées qu’elle a héritées de Haniyeh. Le halo d’une vie heureuse entoure la famille, malgré les problèmes financiers. Mais soudainement, un fait terrible bouleverse le cours paisible de la vie de cette famille et de milliers d’autres dans la région.

 

12 novembre 2017. Il est 21 heures et 48 minutes. Un séisme de magnitude 7,3 fait trembler les villes de la province de Kermânshâh à l’ouest de l’Iran. La maison de la famille de Haniyeh ne résiste pas aux secousses et s’effondre entièrement. La famille est sous le choc pendant quelques secondes. La mère se fraye un chemin parmi les décombres et se réfugie à côté d’un réservoir à pétrole qui prend feu et brûle son visage mais heureusement, elle reste en vie. Le reste de la famille sort précipitamment de la maison. Haniyeh est déjà dans la cour. Elle est saine et sauve. Aucun danger ne la menace plus. Mais elle pense soudain à sa petite sœur Hoda qui dort dans sa chambre. Son amour pour cette petite créature aux cheveux frisés et aux joues potelées la pousse à retourner dans la maison. Elle y entre rapidement. Les murs s’effondrent à ses pieds. Les vitres cassées des fenêtres couvrent le tapis. Le plafond claque, et une poussière noire aveugle ses yeux. Elle trouve enfin sa sœur qui pleure et crie dans ce chaos. Haniyeh l’embrasse, la prend dans ses bras, et se dirige vers la sortie. Il ne lui reste que quelques pas pour se jeter dans la cour. Mais brusquement, une poutre du plafond se décroche et tombe sur son dos. Les voisins prennent Hoda. Mais Haniyeh ne peut plus bouger. Elle ne se souvient plus du reste. Lorsque Haniyeh se réveille, elle se trouve sur un lit de l’hôpital Taleghâni de Kermânshâh. Elle essaie de se lever. Un sentiment étrange l’envahit. Une impression de ne rien sentir. Une douleur de ne pas avoir de la douleur. Elle n’arrive pas à bouger ses pieds. Les médecins disent que sa moelle épinière est endommagée. Mais ils ont quand-même l’espoir de pouvoir aider Haniyeh, à condition que la famille puisse payer les lourds frais du traitement.

 

Le séisme a tout pris à cette famille. Le père a perdu son travail et depuis quelques semaines, malgré sa misère et ses propres blessures au pied, fréquente les hôpitaux afin de fournir l’argent nécessaire pour guérir les membres de la famille, pour leur trouver un abri, pour nourrir ses enfants.

 

Immobile sur le lit de l’hôpital, Hanieh embrasse parfois sa sœur. Elle joue parfois avec sa poupée qui l’accompagne sur le lit. Haniyeh se met parfois à pleurer. Ses yeux ronds et brillants sont baignés dans des larmes dont l’origine me paraît familière et en même temps inconnue. Elle ne regrette pas son acte d’héroïsme, mais sa joie naturelle se heurte à une tristesse céleste, à une peine douloureuse issue de cette vérité amère et de cette blessure tragique qu’elle devra supporter peut-être pour toute sa vie. Haniyeh n’a que 13 ans. Le reporter de la radiotélévision iranienne lui demande :

- Quel est ton souhait maintenant, chère Haniyeh ?

- Que notre famille soit de nouveau rassemblée sous un toit.

- Et tu veux que cette maison soit comment ?

Haniyeh dit :

- Je veux seulement que notre nouvelle maison soit parasismique !...

 


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