N° 149, avril 2018

L’art achéménide ou l’art des nations


Zeinab Golestâni


Chapiteau à protomés de lion sur le site de Persépolis

Installés au IXe siècle av. J.-C. aux sud et sud-ouest du lac d’Ourmia, les Achéménides se déplacent à la suite des attaques des Assyriens et des Urartéens vers les régions du sud-est. Cette nouvelle terre située sur les bords de la chaîne de montagnes du Zagros s’appelle Parsuash (Parsumash). Alors que la civilisation grecque se développe autour des cités, les Perses, par l’intermédiaire des Achéménides, fondent une puissante dynastie régnant sur plusieurs nations. Le système politique, social et culturel de cet empire était unique à son époque. 

Basé rituellement sur la glorification des rois, l’art achéménide constitue une collection d’art composé, autrement dit des arts qui sont ceux des différentes nations formant l’empire achéménide. Empruntant des éléments artistiques à plus de vingt nations de l’empire, tels les Urartiens, les Babyloniens ou les Assyriens, aacx prédécesseurs, tels que les Mèdes, ou aux pays conquis plus tard ou voisins, telles l’Egypte et la Grèce, cet art est aussi marqué par un esprit national iranien, celui-ci lui conférant une originalité propre à une dynastie dont les frontières s’étendent du nord de l’Afrique jusqu’à la Sibérie, et du Danube jusqu’à l’Indus.

Frise des archers provenant du palais de Darius à Suse, art achéménide, fin du VIe siècle av. J.-C., briques émaillées, Musée du Louvre

L’exaltation des rois, les cérémonies et les rites sont parmi les sujets artistiques traités dont les œuvres nous sont parvenues. La dimension religieuse de ces œuvres leur donne un aspect symbolique. L’art achéménide se veut le porte-parole des croyances, des principes ontologiques, et du gouvernement de l’époque. C’est pourquoi il traite notamment des mythes qui seront repris par l’art tout au long de l’histoire iranienne jusqu’à aujourd’hui, en tant que signes et symboles. Contrairement aux arts grecs ou égyptiens, l’art achéménide ne se concentre ni sur « l’art des dieux », ni sur « l’art des morts » ; il s’efforce plutôt de mettre en scène les vivants de l’empire, dans le souci d’exalter la royauté achéménide certes, mais pour y arriver, ce sont aussi les peuples de l’empire qui deviennent sujets à capturer pour les artistes.

L’art achéménide était un art de commande, marqué par l’exclusivité de la volonté royale en matière artistique. Les artistes ne créaient pas d’œuvres indépendantes. Ils travaillaient dans le cadre des édits et ordonnances royaux en la matière. L’artiste devait suivre les ordres royaux, ceci de manière exclusive. Mettant l’accent sur ce fait, Roman Ghirshman affirme : « L’art respectait le même principe que le peuple, à savoir obéir au roi qui obéissait lui-même au Grand Dieu. » Ce caractère domine tant l’art achéménide que certains chercheurs d’art le catégorisent en style artistique indépendant et le dénomment « style royal » ou « style courtois ».

Poids en bronze en forme de lion trouvé dans l’acropole de Suse, Musée du Louvre

Cet art royal se développe en deux étapes : le règne de Cyrus le Grand (559–529 av. J.-C.), et celui de Darius Ier (522–485 av. J.-C.), pour continuer jusqu’à la fin des Achéménides. Certains chercheurs estiment que ce style a réellement mûri non pas sous le règne de Darius Ier, mais bien après, sous le règne d’Artaxerxès III (358 -338 av. J.-C).

Le tapis persan était déjà à l’époque achéménide un produit artistique réputé. Datant de plus de 2500 ans, le plus ancien tapis du monde tissé à la main à l’époque achéménide a été découvert lors des explorations archéologiques des tombes gelées de la région de Pazyryk en Sibérie.

L’art du métal occupe une place privilégiée dans les créations artistiques de l’époque achéménide. Une bonne variété de métaux étaient utilisés, plus courants que l’or ou le bronze. Ces productions métalliques se caractérisent notamment par l’emploi de motifs animaliers et de bestiaires. De nombreuses pièces de vaisselle, assiettes, plats, coupes, etc., ont été découvertes ornées de scènes animalières : scènes de chasse d’animaux prédateurs, jeux entre animaux domestiques ou animaux symboliques. D’autres productions métalliques, comme les bijoux, sont également décorées de figures animales. Par exemple, des bracelets dont l’extrémité a la forme d’une tête léonine, ou qui comprennent des motifs et des décorations animaliers.

Anse de vase en argent en forme de bouquetin ailé, IVe siècle,
Musée du Louvre

L’architecture achéménide se caractérise par des bâtiments construits sur des panneaux en pierre, de splendides palais avec des cours aux colonnes, et des constructions aux hautes colonnes et aux chapiteaux rappelant des animaux réels ou mythiques : taureaux, lions, griffons, etc. Cette architecture bénéficie aussi de l’ornementation, élément privilégié et omniprésent qui apparaît dans la construction des paliers, seuils des palais, bas-reliefs, et tombes royales rupestres. Les exemples les plus complets de cette structure architecturale se trouvent à Pasargades et à Persépolis.

En Iran, ce sont trois provinces, c’est-à-dire le Fârs, Kermânshâh et le Khouzestân qui abritent le plus grand nombre de monuments achéménides. La province du Fârs abrite notamment les sites de Persépolis, Naghsh-e Rostam, Pasargades, Tall-e Hakvân et Qasr-e Abunasr. Les bas-reliefs sculptés découverts sur les trois derniers sites cités appartiennent à des ensembles urbains, alors qu’à Naghsh-e Rostam, les bas-reliefs et autres décorations ornementent des tombes rupestres de rois achéménides. Les œuvres exécutées à Persépolis sont à la fois employées dans la structure architecturale palatine de l’ensemble et dans les tombes royales. Persépolis offre une grande diversité de motifs et de sculptures. La province de Kermânshâh abrite plusieurs sites, notamment celui de Behistoûn, qui s’étend sur plusieurs mini-sites. Dans le Khouzestân, les œuvres spécifiquement achéménides sont majoritairement à découvrir dans la ville antique de Suse.

Bas-relief du Ve siècle av. J.-C. découvert à Persépolis et montrant deux immortels persans porteurs des armes du roi, et des courtisans qui se tiennent derrière le trône de Darius Ier

A part leur rôle ornemental, les bas-reliefs remplissent à l’époque achéménide un rôle narratif. Ils racontent les événements marquants de leur époque. Nous constatons par exemple, à Persépolis, le déroulement de deux scènes narratives, la première montrant un Mède qui porte plainte auprès d’un souverain identifié par certains comme Darius Ier, par d’autres comme Artaxerxès III, et la deuxième, la cérémonie des tributs. Sur le site de Behistûn, c’est une victoire militaire de Darius Ier qui est racontée. La visualisation créatrice, la créativité artistique, et l’attention dans le choix du sujet caractérisent les sculptures et les gravures achéménides.

La sculpture achéménide a, parmi d’autres, la sculpture assyrienne comme modèle. Parmi les caractéristiques de ce style, citons la mise en scène d’animaux et une préférence nette pour un bestiaire réduit à quelques animaux au poids symbolique et au rôle social et culturel importants comme le cheval, le taureau, le lion. Mais les Achéménides modifient ce type de sculpture autour de l’exaltation de l’empire et de la royauté, en créant des scènes qui ont une histoire, qui se racontent, et qui tendent à mettre en relief la figure royale. Cependant, certaines exécutions achéménides sont parfaitement similaires aux modèles assyriens. On en voit un exemple dans un bas-relief achéménide qui imite un bas-relief assyrien dans les moindres détails, à cette différence près que le premier rajoute une scène de prière royale devant le feu éternel, rite zoroastrien non pratiqué par les Assyriens. L’exemple le plus impressionnant de similarité concerne une tablette gravée découverte à Til Barsip, ville assyrienne située en Syrie d’aujourd’hui. Illustrant une scène royale de réception, cette gravure ressemble parfaitement à une tablette similaire découverte dans le Trésor de Persépolis.

Darius Ier, dit Darius le Grand, est un roi de l’Empire perse appartenant à la dynastie des Achéménides. Il reçoit en audience publique un prince mède venu lui rendre hommage. Les Perses portent des chapeaux carrés alors que les Mèdes ont des chapeaux ronds.

L’art assyrien n’est pas cependant le seul à influencer l’art persan à l’époque achéménide. Les fouilles et recherches archéologiques ont mis à jour les nombreuses influences élamite, mède, babylonienne et même égyptienne ou grecque dans l’art achéménide. L’historien anglais, A. Farkas, affirme que les bas-reliefs de Pasargades s’inspirent de l’art babylonien. Selon lui, les motifs des animaux, du soleil et d’autres éléments naturels présents sur les bas-reliefs achéménides sont empruntés à l’art mède. Il ajoute que le mouvement souple des serveurs, celui des plis des vêtements, la gueule des lions lampassés, la forme des bras et des épaules des figures étaient des techniques courantes dans l’art grec. D’ailleurs, la répétition des images semblables, comme les figures des soldats à Persépolis, s’enracine dans les traditions artistiques de la Mésopotamie, de Sialk, du Lorestân, et de Ziwiye, civilisations régnant sur l’Iran avant les Achéménides. Bien que les bas-reliefs achéménides soient influencés par l’art des nations de l’Empire achéménide, ils n’en gardent pas moins une identité iranienne propre.

L’architecture achéménide se caractérise également par l’usage d’ornements en métaux et pierres précieux. Citons de plus l’importance des couleurs dans ce style. Les édifices et les œuvres d’art achéménides étaient généralement peints de couleurs gaies et vives, témoignant du pouvoir et de la grandeur du roi et de son empire. Certaines traces de ces coloris sont encore à voir, à Persépolis dans la Salle des Cent Colonnes où l’on voit toujours les couleurs ornant l’image d’Ahura Mazda et celles du trône royal. Des traces de couleur rouge sont également visibles sur des éléments de la terrasse intérieure, notamment les bouches, les bouts de nez et les yeux de certains des gardes royaux. On voit également d’autres couleurs comme le jaune, le vert émeraude, le bleu turquoise et le pourpre sur des bas-reliefs, normalement en contraste avec un fond foncé ou noir. Finalement, précisons que l’art achéménide ne met pas en scène les figures féminines. La nudité y est de plus absente. 

Rassemblant, synthétisant et améliorant de nombreux styles artistiques en un style propre, les Achéménides ont suscité l’apparition d’un art iranien particulier mettant un accent sur la composition, la finesse, et la proportion.

Inscription de Behistun racontant l’histoire de Darius Ier et ses conquêtes avec le nom de 23 satrapies lui étant soumises.

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