N° 159, février 2019

“Et ce jour-là, il y aura des visages rayonnants et réjouis”


Saeid Khânâbâdi


Un écolier qui devient vendeur de falafels. Un vendeur de falafels qui devient commerçant. Un commerçant qui devient protecteur financier de familles pauvres. Un protecteur humanitaire qui devient un habitué de la mosquée. Un habitué de la mosquée qui devient acteur culturel. Un acteur culturel qui devient militant pro-révolutionnaire. Un militant politique qui devient étudiant en théologie. Un apprenti théologien qui devient cheikh au howzeh [1] de Nadjaf. Un cheikh au howzeh qui devient gnostique. Un gnostique qui devient photographe de guerre. Un photographe de guerre qui devient combattant volontaire anti-terroriste. Un soldat volontaire qui devient martyr. Et un martyr qui devient un héros sans frontière.

Photo prise par Mohammad Hâdi Zolfaghâri

Le destin du martyr Mohammad Hâdi Zolfaghâri reflète dans sa mort l’excellence de la vie d’un homme iranien de la génération post-révolutionnaire. La mort de Hâdi constitue la somme d’un ensemble d’évènements parfois contradictoires, de particularités parfois opposées, d’orientations parfois hétérogènes, et de courants multiples qui ont traversé sa vie. Le parcours de Hâdi reflète bien les caractéristiques de son âme indomptable et inébranlable qui n’a jamais pu trouver la paix en ce monde.

Son âme invincible était inlassablement en quête de béatitude perdue. Son âme a longuement voyagé sur cette terre pour retrouver sa plénitude céleste, son ravissement spirituel, sa tranquillité finale. Son âme curieuse n’a rien lâché, a emprunté tous les chemins du bonheur et enfin a découvert l’unique Voie de la droiture. Son âme rebelle ne s’est jamais contentée du quotidien de ce monde et s’est libérée des tentations pour migrer vers la sublime Vérité ; une vérité qu’elle n’a trouvée que dans le martyre. Oui, le martyre. L’âme purifiée de Hâdi a finalement découvert le sens de la vie dans le martyre, dans l’union parfaite avec l’Être Éternel et Infini.


Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier d’Allah, soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus/ Et joyeux de la faveur qu’Allah leur a accordée, et ravis que ceux qui sont restés derrière eux et ne les ont pas encore rejoints, ne connaîtront aucune crainte et ne seront point affligés.
(Sourate 3, versets 169 et 170)

Hâdi a toujours exprimé son amour profond pour les martyrs. À la mosquée, il organisait des programmes en vue de commémorer le souvenir des martyrs de la Guerre imposée [2]. Chaque jeudi soir, il se rendait à la division des martyrs du cimetière de Téhéran pour un pèlerinage hebdomadaire. C’est lui qui se consacra à un projet de décoration de l’entrée de chaque allée étroite de son quartier par le portrait du martyr dont le nom était attribué à l’allée. Ce projet a été repris par la mairie de Téhéran pour être réalisé dans toute la capitale. Hâdi organisait des voyages et des circuits de visite des zones militaires et des anciens champs de bataille de la guerre, à l’ouest et au sud-ouest du pays. Il est l’auteur de plusieurs monographies et éditeur de plusieurs mémoires de martyrs. Et à Nadjaf, il s’était improvisé graphiste pour concevoir les affiches des funérailles des martyrs irakiens de la guerre sainte contre les terroristes wahhabites.

Mohammad Hâdi Zolfaghâri est né le 2 février 1989, le jour anniversaire du martyre de l’Imam Hâdi, le dixième Imâm des chiites. Et c’est pour cette raison qu’il fut prénommé Hâdi. Cette coïncidence marqua toute sa vie. Il éprouva toujours un grand amour pour cet Imâm chiite et finalement, il tomba en martyr au cours d’une opération pour défendre la ville sainte de Samarrâ en Irak – le lieu qui abrite le mausolée de l’Imâm Hâdi et de son fils l’Imâm Hassan Askari (le onzième Imâm), aussi bien que les tombes de la mère et de la tante de l’Imâm Mahdi (le douzième Imâm).

Martyr Mohammad Hâdi Zolfaghâri

Lors de l’enfance de Hâdi, des problèmes financiers ont poussé la famille Zolfaghâri à élire domicile dans la conciergerie d’une petite mosquée d’un quartier populaire de Téhéran. La famille habita la mosquée pendant plusieurs années avant de pouvoir déménager, et Hâdi y passa son enfance. Les années passées dans la maison-mosquée eurent une influence fondamentale dans la formation de la culture et du parcours religieux de Hâdi. Adolescent, il est énergique, bruyant, un peu rebelle. Passionné de foot, il pratique aussi des arts martiaux qui aident à renforcer son caractère solide, responsable et indépendant.

Conscient de la situation financière de sa famille, Hâdi pense un certain temps quitter l’école pour travailler. Il finit cependant par obtenir son diplôme de fin de cycle secondaire. Après le lycée, il commence à travailler dans une petite sandwicherie en tant que vendeur de falafels. Puis comme commis pour un négociant en métaux au bazar de Pâmenâr à Téhéran. Il est doué et se taille une excellente réputation. Il peut désormais lancer son propre négoce. Il commence à gagner de l’argent, ce qui lui permet de se consacrer au bénévolat et au mécénat financier pour des familles en difficulté. Parallèlement, Hâdi fréquente les mosquées et les hey’at [3]. Il s’inscrit au Bassidj et mène des activités culturelles religieuses. Sa passion : l’organisation de cérémonies commémoratives pour les martyrs. Parmi ces derniers, il admire spécialement Ebrâhim Hâdi dont il colle la photo partout, même sur sa moto Suzuki. Un grand portrait de ce martyr orne aussi les murs de sa chambre.

Après plusieurs années d’activités culturelles et politiques, Hâdi s’oriente vers les études religieuses pour le djihad scientifique. Il s’inscrit à l’école théologique Hadj Abolfath de Téhéran. Après quelques mois de formation, il quitte l’Iran pour Nadjaf en vue de continuer son parcours dans la howzeh la plus ancienne du chiisme. Hâdi reste trois ans dans cette ville où il apprend l’arabe. Il fréquente la mosquée indienne de Nadjaf, célèbre pour les tendances spirituelles de ses imâms. C’est une mosquée tenue par le clan Hakim, un de ces lieux où l’Imam Khomeyni tenait ses prières collectives durant son exil.

Durant ce séjour, Hâdi s’initie également aux ouvrages des grands maîtres de la gnose islamique. Il commence une vie d’ermitage. Il n’est plus ce jeune homme bruyant qu’il était à Téhéran. Il parle moins. Il pratique l’ascèse et suit strictement les directives des livres en éthique et en gnose. Il limite ses contacts avec ses amis. Il passe des heures à prier dans un endroit précis du cimetière Wâdi-as-Salâm de Nadjaf, cet immense cimetière historique, parfois jusque tard la nuit. À Nadjaf, il se rend souvent au mausolée de l’Imâm Ali, le premier Imâm chiite. Chaque jeudi soir, il va aussi à Karbalâ pour faire le pèlerinage au mausolée de l’Imâm Hossein, le troisième Imâm.

Hâdi n’a pas abandonné le bénévolat en commençant ses études. À Nadjaf également, il continue de mener des activités de ce type. Notamment en plomberie, métier qu’il maîtrise professionnellement. Il nourrit et loge aussi gratuitement des pèlerins. Parallèlement, il est actif dans plusieurs organisations culturelles chiites.

Le déclenchement de la crise de l’État Islamique et de Daesh en Syrie puis en Irak change le rythme religieux de la vie de Hâdi. Connaissant la photographie et le graphisme, Hâdi adhère au service d’action culturelle et de communication de Hashd-osh-Sha’bi (Mobilisation de résistance du peuple irakien). Il accompagne en tant que photographe de guerre les soldats volontaires irakiens dans les opérations anti-terroristes.

Martyr Mohammad Hâdi Zolfaghâri

Le 15 février 2015, au cours d’une mission pour défendre la ville de Samarra et les mausolées de deux Imâms chiites menacés par les terroristes wahhabites, leur équipe est victime d’un attentat suicide. Un bulldozer blindé, avec un chargement de plusieurs centaines de kilos d’explosifs, fonce sur eux. Le corps de Hâdi est découvert et identifié quatre jours après l’attentat.

Les Irakiens organisent de belles funérailles pour ce martyr iranien. Après avoir fait bénir son corps dans les villes saintes de Samarra, Kâzemayn et Karbalâ, ils l’enterrent, d’après ses volontés, au cimetière Wâdi-as-Salâm à l’endroit où il faisait toujours ses prières nocturnes. C’est le défunt Ayatollah Assefi, alors représentant du Guide suprême de la Révolution islamique, qui dirige la prière des morts pour Hâdi. Aujourd’hui les pèlerins iraniens qui visitent le cimetière historique de Wâdi-as-Salâm rendent hommage à ce martyr, qui repose aux côtés de grands ulémas et de quelques prophètes. Sa tombe est pareillement respectée par les chiites irakiens.

En Iran aussi, plusieurs cérémonies ont été organisées pour commémorer le martyre de Hâdi. Plusieurs ouvrages aux tirages importants ont été publiés pour honorer sa mémoire. Le petit vendeur de falafels d’une minuscule sandwicherie d’un quartier pauvre de Téhéran est ainsi devenu un héros sans frontière, admiré par les deux nations frères et amies d’Iran et d’Irak. De son vivant, Hâdi préparait toujours des posters commémoratifs pour les martyrs irakiens. Lorsque lui-même tombe en martyre, ses amis arabes irakiens écrivent sur son faire-part, où se profile son visage souriant sur un arrière-plan du mausolée de l’Imâm Hâdi à Samarrâ, ces versets coraniques qui décrivent la condition des hommes croyants au jour du Jugement dernier :

 

Ce jour-là, il y aura des visages rayonnants/riants et réjouis.

(Sourate 80, versets 38 et 39)

Notes

[1Séminaire religieux.

[2C’est-à-dire la guerre de l’Irak contre l’Iran (1980-1988).

[3Centres de rassemblement, d’organisation et de planification des activités religieuses commémoratives.


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