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« Bâzâr » désigne en persan un lieu de vente et d’achat et d’offre de marchandises. Ce terme est très ancien et il existe dans certaines langues anciennes iraniennes depuis des siècles. Il était prononcé « vâzâr » dans la langue pahlavi (vieux-persan) et « vâžâr » chez les Parthes.
Ce mot a voyagé vers les pays arabes, l’Empire ottoman et certains pays européens, y compris la France, par le biais des échanges commerciaux. Auparavant, ce mot désignait en général un site de vente et d’achat de marchandises, mais aujourd’hui, il désigne plutôt un marché permanent, principal et ancien, dans les villes anciennes et historiques.
Bazar couvre en persan un champ lexical assez vaste. Il désigne notamment un « emplacement animé avec une foule », et est aussi utilisé pour désigner l’importance et la dignité des gens.
De la préhistoire à l’époque des Mèdes : L’histoire des sites où l’économie est basée sur la production, l’artisanat et le commerce s’étend sur près de 10 000 ans. Par exemple, l’histoire de l’urbanisation et de la sédentarité d’un site près de Kermânshâh dont l’économie reposait sur la plantation de céréales et le pastoralisme, date d’il y a 9000 ans. Il existe plusieurs autres sites historiques et antiques de ce type comme Teppe Zâgheh à Qazvin (6500 av. J.-C.), Teppe Sialk au sud-ouest de Kâshân (6000 av. J.-C.), Teppe Hassanlou au sud-ouest du lac d’Ourmia (6000 av. J.-C.), ou encore Teppe Yahyâ à 225 kilomètres au sud de Kermân (5000 av. J.-C.).
Les vestiges des ateliers d’artisanats et des lieux de commerces constituent un indicateur du niveau de développement de l’urbanisation et de la civilisation sur le plateau iranien. Des coquilles trouvées sur le complexe de Sialk à Kâshân montrent que ces objets étaient des produits d’ornement et de luxe. Ces coquillages, en provenance du golfe Persique, arrivaient à Sialk par voie commerciale.
Dès cette période, le développement des échanges commerciaux mène à l’invention des sceaux pour fermer les emballages, au IVe millénaire av. J.-C. D’après les documents archéologiques, il existait alors des relations commerciales entre Teppe Yahyâ (sud de Kermân) et les habitants du littoral du golfe Persique au IIIe millénaire av. J.-C.
Située sur le delta du fleuve Hilmand, cette ville très ancienne date du IIIe-IIe millénaire av. J.-C. La prospérité de cette région durant cette période, en particulier entre les années 3200 et 2100 av. J. -C., est due à la production marchande. La population de la ville a été estimée à environ 5500 personnes, ce qui représente un nombre remarquable. Cette ville a été détruite après un grand incendie, suivie d’une inondation. Ses vestiges ont été découverts sous des couches de sel et de cendres.
La majorité des quartiers industriels de Shahr-e Soukhteh était située dans une zone délimitée à l’ouest de la ville. Une autre zone périphérique rassemblait les ateliers de poterie. C’est notamment en raison de cette délimitation urbaine par métier et par fonction que les archéologues estiment que cette ville possédait également un quartier de bazar et une zone de commerce, et que cette zone commerciale ou zone franche était probablement plus ou moins indépendante.
La culture élamite s’est étendue du IVe millénaire av. J.-C. au Ier millénaire av. J.-C. Cette civilisation est l’une des plus éminentes et mieux connues des anciennes civilisations du plateau iranien. Une épigraphie élamite nous permet de savoir qu’il existait 32 villes dans le royaume élamite durant cette période. Parmi ces villes, la cité de Suse est la plus importante. Les archéologues y ont découvert des objets de différentes époques historiques, y compris des vestiges d’avenues larges de 9 mètres. Les archéologues ont également découvert des espaces publics comme des écoles, des maisons de commerce, ainsi que quelques entrepôts et salles d’archives pour conserver des documents commerciaux. Ils ont aussi mis à jour un complexe d’une cinquantaine de pièces et dix cours. Ce complexe appartenait à un homme nommé Tamti Vârâsh. Ce dernier possédait de grands troupeaux de bétail (un millier de têtes) et de vastes terres. Il faisait également du commerce avec les marchands du Bahreïn.
Les informations sur les cités élamites restent très incomplètes, mais les fouilles archéologiques dans les villes de Ur et Sumer montrent que dans certaines résidences, il y avait des passages commerciaux avec des boutiques des deux côtés. Apparemment, certaines parties des passages étaient couvertes, comme les bazars d’aujourd’hui. Dans quelques autres zones urbaines se trouvent des vestiges de quartiers d’artisanat et même quelques communautés de confréries professionnelles, notamment celle des teinturiers avec leurs ateliers, ou encore celle des fileurs textiles.
Selon la mythologie iranienne, très tôt, les premiers lieux de résidence des Iraniens ont été équipés de bazars d’alimentation, sorte de marchés permanents et couverts. Un chapitre du Vendidâd tiré de l’Avestâ évoque Jamshid, le roi mythologique iranien, en ces termes : « Et c’est ainsi que le roi Jamshid fit construire une grotte à quatre côtés de la taille d’une piste d’équitation pour y loger les gens, et fit clôturer un autre terrain carré de la taille d’une piste d’équitation pour les vaches laitières. Il fit construire le bazar dans lequel il y avait des légumes et des aliments non périmés. Il fit construire des maisons avec des pièces, des colonnes, des murs et des barrières. »
Dans le Vendidâd, il est parlé d’ateliers d’artisanats, tels que les forges, les ateliers de soufflage du verre, d’orfèvrerie et de fonderie. Un code du travail et des règles d’organisation du temps de travail sont également mentionnés. Dans certaines zones urbaines datant de la période mède, par exemple à Teppe Hassanlou dans la province de l’Azerbaïdjân, des vestiges d’ateliers de fonderie et de poterie ont été découverts. Il semble qu’à l’époque déjà, l’organisation urbaine était de telle sorte que les artisans étaient regroupés par métiers et travaillaient dans des quartiers spécifiques, ce qui semble appuyer la thèse de l’existence de quartiers de commerce spécifiques.
Le vaste territoire de l’Empire achéménide nécessitait une gestion et une organisation administrative et financière rigoureuse. En vue de faciliter les échanges commerciaux, les Achéménides avaient émis une monnaie unique : les pièces d’or étaient des darik (la darique), les pièces d’argent des sigel. Tout le système financier de l’empire était basé sur cette monnaie et les taxes, les droits de passage et les échanges commerciaux se faisaient tous avec cette monnaie. En étudiant les épigraphies de Persépolis, les archéologues ont constaté que toutes les personnes travaillant de façon permanente à Persépolis, mais aussi les ouvriers, les artisans, les architectes, etc. qui ont participé à la construction du site étaient rémunérés selon leurs compétences et leurs spécialités. La gestion économique et financière de l’empire était si bien organisée que l’existence de bazars et leur place fondamentale dans l’espace public semble aller de soi. Xénophon est l’un des historiens qui revient sur les bazars iraniens et précise que les écoles étatiques étaient situées dans des quartiers loin du bazar.
L’économie du pays à l’époque parthe était basée sur l’agriculture et le commerce. L’État était conscient de l’importance de la situation économique, et c’est la raison pour laquelle il gardait le monopole des échanges commerciaux entre l’Orient (la Chine et l’Inde) et l’Occident (la Rome et la Grèce). L’Iran était au centre de la voie commerciale reliant l’Europe et l’Asie de l’est. C’est pourquoi les Parthes contrôlaient une bonne partie des échanges qu’ils ont favorisés, notamment en développant massivement les voies de communication et en faisant construire des cités, des caravansérails, des bazars et des espaces marchands pour les échanges commerciaux. Doura Europos, une ville parthe, en est un bon exemple.
L’urbanisation de la société iranienne s’est accélérée à l’époque sassanide, et c’est à cette époque qu’émerge une quatrième classe sociale : celle des dabir ou fonctionnaires/scribes. Les dabirs étaient des gens de haute naissance qui vivaient uniquement dans les zones urbaines. Les trois autres classes sociales étaient constituées par les religieux zoroastriens (les mages), les militaires, et les agriculteurs/artisans. Durant le règne de cette dynastie, de nombreuses nouvelles villes sont fondées et les échanges commerciaux avec les pays voisins sont nombreux. Le bazar est déjà un espace public marchand incontournable. Les documents historiques montrent que certains métiers étaient organisés par confréries et chaque communauté choisissait indépendamment ses chefs. C’était notamment le cas pour les orfèvres, les joailliers, les forgerons et les commerçants.
Râsteh-ye asli (la voie de passage principale) : Les bazars anciens iraniens sont généralement bâtis de façon linéaire, dans le prolongement des voies de passages les plus importantes de la ville. Des deux côtés de la voie de passage principale du bazar se trouvent des magasins et des boutiques, qui sont rassemblés dans la même partie de la voie selon leur communauté de métier.
Râsteh-ye far’i (la voie de passage secondaire) : Les voies secondaires sont en général parallèles et perpendiculaires à la voie principale, et elles montrent le développement du bazar. Leur nombre dépend de la prospérité économique de la ville.
Dâlân (le corridor d’entrée) : Le dâlân, dans l’architecture iranienne, est un corridor qui relie linéairement un espace à un autre. Par exemple, un dâlân relie un caravansérail à la voie principale. Ils sont en forme de ruelles et de voies secondaires. Les deux côtés du dâlân sont également pourvus de boutiques et de bureaux.
Tchahârsou (carrefour couvert) : Le tchahârsou est un point d’intersection entre deux voies principales du bazar. Les tchahârsou des bazars de Téhéran, d’Ispahan, de Kermân, et de Lâr en sont de beaux exemples anciens. Toute intersection n’est pas un tchahârsou ; seules les intersections d’importance urbaine ou commerciale reçoivent ce titre et cette fonction.
Meydân (la place) : À côté ou dans la continuation des bazars des grandes villes se trouve une ou deux places. Par exemple, le grand bazar d’Ispahan compte deux places très connues : Sabzeh Meydân et Naghsh-e Jahân ; Téhéran, Sabzeh Meydân et Yazd, Meydân-e Khân. Parfois, dans le prolongement des voies du bazar, il y a de petits espaces couverts ou découverts appelés meydâncheh (petit meydân), qui ne sont pas des places. On les appelle tekkieh ou hosseiniyeh, et ils servent d’espace de cérémonie pour organiser des événements religieux et des spectacles rituels.
Jelowkhân : Le jelowkhân est un espace fermé sur trois côtés. Il se dit d’un lieu d’entrée ou de réunion. On peut donner l’exemple du jelowkhân principal de la Mosquée de l’Imâm dans le Grand Bazar de Téhéran, dont trois des quatre façades n’ont jamais été modifiées, ou encore le jelowkhân du Portail Gheysari d’Ispahan.
Hojreh (bureau de commerce) : Les hojreh sont les éléments les plus petits mais aussi les plus importants de l’espace architectural du bazar d’un point de vue pratique. La voie principale se dessine quand les hojreh et les boutiques s’alignent linéairement des deux côtés du passage. La superficie des hojreh varie généralement de 20 à 25 m2.
Caravansérail : Edifiés derrière les voies principales comme lieu de restauration et de séjour des marchands voyageurs, les caravansérails, dans leur forme ancienne ou moderne, se retrouvent dans les ruelles secondaires des bazars. Depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, on les dénomme les sérails.
Timtcheh (petit caravansérail) : Le mot « tim » signifie caravansérail. Nâsser Khosrow, poète et voyageur du XIe siècle, utilise ce mot à plusieurs reprises. Cependant, timtcheh qui signifie littéralement « petit bazar », désigne un espace couvert et une sorte de « bazar dans le bazar », où se vendent des produits fragiles et luxueux comme des tapis.
Qeysariyeh : Ce mot est dérivé du mot latin « Caésarea » et signifie « bazar royal ». En Iran, dans le jargon de l’architecture du bazar, le qeysarieh est un espace relié à l’ensemble par une voie secondaire. Le qeysarieh possède également un dâlân et un timtcheh, et son espace intérieur rappelle parfois celui d’un caravansérail. Le qeysarieh est le lieu de commerce de produits de luxe ; c’est la raison pour laquelle il est l’une des parties du bazar fermée la nuit.