Salut poète. Salut petit homme au regard noir strié de vert. Mes respects, petit être périphérique. Petit monsieur sans envergure ; le plus minuscule des mal nés ; parmi les dispensateurs de sens, assurément le plus insensé. Pour toi, j’ai de la peine, c’est pourquoi je t’écris. Permets-moi mon ami, de te rendre à ton néant, d’anéantir tes illusions, de rire à la somme des approximations que tu déposes avec l’air de composer, à tes minuscules idées dont la somme n’excèdera jamais la densité d’une larme bien pleurée.

Poète du présent, c’est à toi que je m’adresse ; à ton optimisme, à ton pessimisme aussi, à ta neutralité, fuyante, comme une inaccessible limite ; à ton acharnement de forcené, quand, ouvrage en main, tu t’étales sur ton fragile et blanc métier. De ta manière d’être je veux parler, de ton maintien bancal, de ta plume qui insinue le mot, l’idée, le poème ; qui ne fait qu’insinuer ; de ton style, de ton être, chargés du remord de ne pas être comme il faut, de ne pas être "à la hauteur de", "fier de", "en mesure de". Et dire que tu persistes malgré tout dans ta quête de démesure ; que tu continues à démultiplier tes images à foisons.

Je te connais. J’aime à te fustiger car je te reconnais. Qu’importent tes habits, tu est toujours le même. Fébrile et suffisant. On masque pourtant tes faiblesses. Partout on glose autour de toi, de tes lumières qui, dit-on, défont les noires équations, dissolvent les nappes d’obscurité. Nous savons bien nous autres, que tu n’es plus assis, à l’image des poètes d’antan, "au sommet d’un rocher", à regarder passer "d’autres ombres" (paix à Kyoraï). On te néglige, il est vrai, sans pour autant tarir d’éloges à l’adresse de tes confrères de jadis. Tous sont encensés, portés aux nues ; du plus obscur des shamans cherokee jusqu’au géniteur de l’Iliade (paix à Homère), du plus discret araucan au plus insensé des dadaïstes. Je les connais t’ai-je dis. Les encenseurs et les encensés. Les plus anciens sont désormais oubliés. Je te l’accorde. Ceux d’Amérique, d’Afrique, de Polynésie, de l’Asie centrale, de Malaisie, et jusqu’aux esquimaux de l’arctique. Ils ont laissé au cercle restreint de leur postérité, d’élémentaires livres sacrés qui ne veulent plus rien dire. L’abîme du temps n’avait que faire de leurs exorcismes, de leurs incantations, de leurs invocations à la pluie et au beau temps, à la nature et ses éléments. La Faucheuse est passée en fauchant leur mémoire. Longtemps les poèmes ne furent que chants rituels et litanies, mythes, légendes, épopées. Bien belles furent les prophéties, les hymnes et les psaumes. On chanta le monde à grands coups d’allégories. Déborah et Ezechias eurent droit à leur cantique. Et Ishtar, et Shiva, Xipe Topec, le buveur nocturne. On célébra Viracocha, et le Grand Prince des Jasaktu. Tant de choses oubliées. A toi je veux le dire : le poème est une laborieuse expiration. A peine au monde, il se mêle au râle de son époque, à la poussière des corps qui tombent. Le poème est bien beau, mais il ne masque rien. Ersatz du bonheur absent, de l’équilibre absent, de l’absente beauté, il n’est pas gratifiant. Il a tort d’être grand, d’être majestueux. Je dis qu’il est tison d’un feu mort ; orage passager (et cesse de plisser ton front, de froncer tes sourcils). Je dis qu’elle fut bien belle La Divine Comédie (paix à Dante) ; bien beau le grand Livre des rois (paix à Ferdowsi) ; et la Légende des siècles (paix à Hugo). Bien beau. Les plus magnifiques des mensonges (tu sais cependant que je ne suis pas platonicien). Le poème est l’art de tirer les mots, les phrases et le texte, vers l’impossible, pendant que le possible menace à chaque instant de tourner comme "lait au soleil".

Mais revenons à toi. A toi qui t’évertues, dans notre techno-monde, à produire des images. En réponse à nos cris, tu composes des pages (je retire ma rime). Il sont bien loin de toi les livres de la tradition et des diverses sagesses, les envolées lyriques. Tu n’as pas eu l’aubaine d’un Nallanduvanar, d’un Djâmi, de Rudel et de Cardenal. Ni même d’un Saint John Perse. A son époque encore, on lisait le poème. A son art consommé, on a rendu justice. C’était presque aujourd’hui. J’ai dis presque (aujourd’hui la justice est ailleurs, où elle a fort à faire, même quand elle ne fait rien). Mais toi mon pauvre ami. Tu parles dans le vent, tu écrits pour du vent. Que dire de tes poèmes. Ton mètre est orphelin de ta grandeur passée. Et tes enjambements. Ils tombent au bout du vers et ne montent jamais. Dans l’ornementation, je dois dire, bien souvent tu excelles. Ton texte est parfois constellé ; j’y retrouve les thèmes, les verbalisations, les mêmes compléments qui firent la renommée des versificateurs. Mais le vers devint libre, et le poème avec. Ton vers est libre aussi, mais perdu en chemin. Ne sachant plus où se poser, dans quel œil attentif, il reste dans l’écrin. Quand tu modères ta flamme, il gèle entre tes mots. Et de ton feu nourrit, je n’espère que des mots.

Alors ami. Cesse de grâce de gesticuler. Revient vers moi. J’ai dans ma maison une chambre d’hôte. Dedans, un lit, une couette douillette, une table de chevet. La pièce est chaude. Elle jouxte mon salon, avec sa table et ses deux fauteuils, une cheminée secrète dans un angle fermé. Je sais faire cuire de bons rôtis, enrichis de fines herbes, de pommes de terre sautées. Je suis au coin du feu. Tous les soirs. Il me manque l’ami. Alors viens, je t’en prie, pour me lire un poème.


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