N° 12, novembre 2006

Hazin Lâhidji, le poète soufi de l’école d’Ispahan


Arefeh Hedjazi


Cheikh Mohammad Ali ibn Aboutâleb Zâhedi Gilâni Esfahâni, surnommé Cheikh Ali Hazin, est né en l’an 1692.

Ses origines remontent à Cheikh Safi, grand père du premier roi de la dynastie safavide. Il vivait à Ispahan quand en 1734 eu lieu l’attaque afghane qui se solda par l’effondrement de cette dynastie.

Quelques années plus tard, avec la prise du pouvoir par Nâder Châh Afshâr et lassé de la brutalité de ce roi-soldat, il quitte la Perse pour prendre le chemin des Indes où il choisit finalement la ville de Bénarès comme lieu de résidence. Il y décèdera en l’an 1779.

Né dans une famille cultivée - son père est un des célèbres théologiens de son époque -, il est dès son enfance destiné à la même carrière que son aîné. Selon la coutume de l’époque, son éducation commença dès l’âge de quatre ans et, grâce aux dispositions dont il fit preuve, il intégra très vite le savoir classique de son époque. Il était également pourvu d’un grand don de poète et aimait la poésie plus que tout. Cela était par ailleurs mal vu par son père qui considérait la poésie comme un jeu de l’esprit presque indigne des intelligences supérieures.

Hazin est adolescent quand, à la suite d’une chute de cheval qui l’oblige à rester alité deux mois durant, il compose ses premiers poèmes qu’il rassemble au sein d’un recueil ; recueil qu’il perdra au fil de ses exils et qu’il recomposera de mémoire vers la fin de sa vie, à la demande de l’un de ses disciples.

C’est en 1741, à Bénarès, qu’il compose son premier ouvrage célèbre, L’Histoire Safavide, traduit en anglais par F.T.Balfour. Ce livre parut en 1831 à Londres en anglais et en persan.

Hazin a également composé une Anthologie de la Poésie et L’Histoire selon Hazin. Ce dernier ouvrage est paru pour la première fois en Inde et a été réédité par Mohammad Bagher Olfat à Ispahan en 1952.

L’auteur du Zariaa rappelle que selon les ouvrages Meraat ol Ahwal et Tohaf al-Alam, Hazin est l’auteur de quatre divans (recueil de poèmes) et que les formes poétiques qu’il utilise comprennent les odes, les quatrains et les mathnavi (poèmes composés de distiques à rimes plates).

Il est l’auteur de Safir-e-Del et de Hadigheye Sani par opposition avec le Hadighe de Sanaï, ainsi que de Tazkara-t-el-Asheghine composé en réponse à Leyli et Majnoon de Nezami.

Lalabashi a écrit dans Riazolarefin qu’il était un bon calligraphe.

Il avait visité l’Azerbaïdjan, le Khorassan, l’Irak et le Fars et avait quitté la Perse pour l’Inde par la voie du Larestan et du port de Bandar Abbas. Il s’établit d’abord à Delhi et y fut célèbre en tant que soufi. Il devint le favori des grands de Delhi et l’arbitre incontournable des litiges qui les opposaient. Malheureusement, il dut quitter cette ville au bout de quelques années, car, étant de caractère franc et emporté, il n’hésitait pas à caricaturer dans ses poèmes les défauts et vices des grands de Delhi.

Il vécu par la suite sept mois à Khodâ Abâd, seul et malade. La nostalgie du pays lui rongeait l’âme à tel point que plus tard, il ne considéra pas les années d’exil comme faisant partie de sa vie. Tous les poèmes qu’il a composés après son départ de Perse chantent douloureusement cette profonde nostalgie dont il ne parviendra jamais à se défaire. L’idée du retour ne le quittera jamais, en vain puisqu’il mourra loin du pays qu’il aimait.

Après Khodâ Abâd, il se rendit au Lahore sans savoir qu’une épidémie de cholera y faisait rage. Une fois sur place, il tomba malade et frôla la mort. Après son rétablissement, il regagna de nouveau Delhi, espérant y trouver un moyen de rentrer en Perse par l’Afghanistan. Ses déboires continuèrent et, après plus d’une dizaine d’années d’errance d’une ville à l’autre, il s’installa à Bénarès où il passa le reste de son existence.

Sans aucun doute, Hazin fut le plus grand poète de son époque, c’est-à-dire de l’ère dite du " Retour Littéraire ". Marquée par un retour au classicisme et aux thèmes de la poésie mystico-amoureuse, cette époque fut caractérisée par des difficultés dans l’interprétation de ces poèmes et l’emploi parfois exagéré de figures de style alourdissant le texte. Les deux grands courants littéraires de cette époque sont ainsi l’école indienne dont Bidel de Delhi en est le plus célèbre maître, et l’école d’Ispahan, dont Hazin est l’un des meilleurs représentants.

De nombreux poèmes lyriques de Hazin rivalisent de beauté, de technique, et de raffinement avec les plus belles œuvres de l’école d’Ispahan. Hazin sait mêler la grâce des poèmes de Saeb et de Kalib avec la profondeur mystique des œuvres de Molawi.

Contrairement à la plupart des poètes de l’école d’Ispahan, Hazin est un mystique et un théologien. Il dispose en la matière d’une connaissance et d’une culture vaste et il est lui-même un grand maître soufi.

Bien entendu, on peut trouver des faiblesses de structure dans sa poésie mais ces dernières sont imputables au fait que Hazin les composait en état de grâce mystique, sans souci particulier d’éloquence ou de recourir à des figures de style particulières.

Même si Hazin mena une existence difficile et troublée, marquée d’exodes volontaires et de douloureux exils, de voyages sans retour et de nombreux problèmes avec son entourage, ses poèmes nous dévoilent un homme à jamais amoureux, joyeux et amical. On ne voit dans ses œuvres nulle trace d’aigreur, d’amertume et de ressentiment.

Il évoque la grâce et l’annihilation du Soi dans l’Autre. Cependant, ses poèmes parlent avant tout d’amour et c’est pour cette raison que sa poésie se distingue de celles des autres poètes de l’école d’Ispahan. Hazin était un homme à l’enthousiasme débordant et, comme il l’affirmait lui-même, l’univers entier était trop petit pour lui.

Il s’efforçait constamment de percevoir la réalité des choses au delà de leur apparence première et extérieure. C’est pourquoi, il refusa toute sa vie les honneurs, l’argent et les postes prestigieux pour se contenter d’une vie simple, ascétique et conforme à ses valeurs spirituelles.

Ô cœur,

Dans l’attente de qui

Brûles-tu ?

De qui es-tu,

Toute honte bue,

L’éperdu ?

En cette assemblée

D’angéliques beautés,

De quelle grâce es-tu la psyché ?

Tu m’as ressuscité,

Comme au Jugement

Dernier,

Ô sang brûlant,

Quelle est l’assemblée,

Que tu enflammes de ta présence ?

Malade suis-je,

Prêt à mourir

Pour tes lèvres,

Dis,

Pour l’amour de Dieu,

De qui es-tu le Messie ?

Le sommeil brûle en mes yeux,

Et mon cœur

Est empli de chagrin,

De qui es-tu

Le calme patient

De l’être ?

L’ascète sortit de sa religion,

Et l’amoureux perdit sa vie,

Que l’occasion te soit douce,

A la perte de qui travailles-tu ?

Tes larmes perlent

Couleur de vin,

Hazin

Du vin nocturne des tristesses

De qui es-tu ivre ?


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