N° 9, août 2006

Hassan Hosseini, poète d’Ashourâ


Rouhollah Hosseini


Après qui soupirai-je
Moi qui comme le feu vis en brûlant
Ni triste ni joyeux
Ni terre ni univers
Ni mot ni fond
Que signifie-je ?

Pour le chiite fervent qu’est Hassan Hosseini, que signifierait la vie sans amour pour son Imâm, le guide des martyres de Kerbala ; celui dont le courage et le dévouement pour la sauvegarde des valeurs islamiques marquèrent l’histoire du chiisme ? Hosseini est en effet le grand héritier de cette tradition poétique iranienne qui glorifie, depuis le quatrième siècle de l’hégire, le prophète de l’Islam et sa famille, son "Ahl’al Bayt", et particulièrement le troisième imâm chiite. Il paraît que la plus ancienne élégie célébrant le deuil de l’Imam Hossein (p.s.) en Iran est signée de la main de Kassaï de Merv, poète du quatrième siècle de l’hégire. Vient ensuite le poète de Ghobâd, Nasser Khosrô, lequel chanta pareillement et avec passion l’épopée de Kerbala. Beaucoup d’autres poètes trouvèrent également leur source d’inspiration dans ce carnage cruel, mais c’est surtout avec l’accession au pouvoir de la dynastie safavide et le développement du chiisme en Iran que cette forme poétique s’épanouit véritablement. Mohtasham Kashani passait à l’époque pour l’un des plus habiles poètes en la matière. Il faut également signaler d’autres grands noms dont les œuvres ont trait au martyre de l’Imam Hossein : Vessâl, Soroush, Gha’ani, Cheykh Bahaï et Sâëb Tabrizi, l’un des maîtres du style indien. Cette tradition continua à gagner du terrain jusqu’à l’époque de Nader chah, qui pour sa part favorisait le sunnisme au détriment du chiisme. La poésie religieuse chiite fut confrontée alors à une période relativement courte de stagnation. Elle se renouvela avec l’arrivée au pouvoir des Zends, et devint désormais, et ce jusqu’à la Révolution islamique, omniprésente dans l’œuvre de différents poètes. Elle trouva alors un nouveau support dans l’héroïsme révolutionnaire d’un peuple, qui brandit l’étendard du troisième Imâm chiite face à l’oppression ambiante.

Hassan Hosseini

L’Achourâ est en effet considéré comme symbole de la dénonciation de l’injustice et de l’esclavage, et l’on considère qu’il donna spirituellement naissance à la Révolution islamique. Le poète voyait dans la révolte audacieuse de son peuple les mêmes caractères déjà perçus chez les martyres de Kerbala : le peuple iranien s’était insurgé contre l’injustice pahlavie, en réclamant sa liberté. Mais le goût de la liberté se manifesta surtout dans la poésie de guerre ; (celle qui éclata entre l’Iran et l’Iraq en 1980). Le poète n’était plus le passif chanteur d’un deuil ancien, mais il s’installait en plein milieu de la tragédie ; il voyait de ses propres yeux le dévouement, le courage, et l’amour pour la patrie de ses "frères", dont la gorge se gonflait d’un sang rose tandis qu’ils se remémoraient le "jardin perdu au milieu d’une haie vive." Il considérait la guerre comme une grâce accordée par Dieu qui s’adonnait pour lors à cueillir "les plus belles fleurs de son jardin". C’était comme si les portes du ciel s’étaient ouvertes aux plus méritants des humains. Voilà comment vont les choses pour les poètes de guerre, pour les Gheysar Aminpour, Salmân Harati, Alireza ghazveh et pour Hassan Hosseini.

Né en 1956 à Téhéran, Hosseini est considéré comme l’un des plus célèbres poètes de la Révolution et de la guerre. Il mit en effet sa poésie au service des valeurs révolutionnaires dont les plus considérables, à ses yeux, étaient de désobéir à la tyrannie, de conserver le goût de la liberté et de dénoncer l’oppression des plus faibles. Poète qui ne tergiverse pas avec les valeurs révolutionnaires, et qui s’attaque à ce titre aux poètes et érudits qui selon la circonstance renoncent à leur engagement. Ses textes de forme courte reflètent la dimension critique de son oeuvre :

"Un poète emprunat de l’argent
Sa poésie se calma alors"


Sa structure poétique de prédilection reste à n’en pas douter le quatrain. Sous cette forme, il a composé de beaux textes que l’on continue aujourd’hui encore de fredonner eu égard à la pureté et à la force des images qu’ils véhiculent. Celles-ci ont trouvé place au sein d’une langue joliment ornementée, claire malgré l’influence évidente de Bidel Dehlavi, grand maître du style indien, à qui Hosseini a d’ailleurs consacré un essai. Son œuvre poétique comporte les recueils Moineau et Gabriel, Tous en cœur avec la glotte d’Ismaël et Limailles de fer.

Très tôt décédé à l’âge de 49 ans, Hassan Hosseini nous a laissé en partage une œuvre sensible particulièrement caractéristique d’une certaine culture iranienne, en même temps révolutionnaire et traditionnelle.

Seul Dieu savait
Que ce cœur immense comme la mer
Ne se laisserait jamais enchaîner
Par de vaines maximes

Et qu’avec des lèvres onduleuses
Il baiserait les rives lointaines du danger

Pèlerinage aux alentours des lieux saints

" Le dos tourné à l’océan
Jamais de la pluie
La prière ne se lèvera
Au ciel".
En face du désert
Tu crias
Et sur tous les champs
Le vent fut béni.

Ce soir je suis venu visiter en pèlerin
Les alentours de ton cri
Peut-être que mes lèvres
Seront bénies :
Les mains étaient brisées
Ou fermées
Et si pied il y avait
Il marchait vers la lassitude.
Les longues clameurs
Heurtaient les murs continus
Et une haine infinie

Soumise à la peste
Espéraient obtenir d’une pauvre terre
Un semblant de royaume des cieux.

Ce soir, je suis venu en pèlerin voir
Les alentours de ton cri
Et mes lèvres fièrement avouent :
Si ta gorge n’était pas
La raison du larynx
N’aurait pu songer
A crier fort
Si ta gorge n’était pas…

Je dois me lever
Et en face de l’océan de l’attente
Pendre ton portrait d’aujourd’hui
Sur le mur des baisers
Peut-être que mon cœur- cette prière ancienne-
Sera exaucé
Au seuil de ton nom.

Le mont se brisa l’échine

Comme la lune
Ton nom se répétait sur les lèvres des cieux
Et ton pacte de fraternité
Avec les monts de lumière
Etait solide
À l’instar des versets de guerre sainte

Tu es ce mystère vaillant
Qu’un jour prononça Forât
Et une heure plus tard
Sous la pluie d’acier battante
Te révéla
Haché

Et le vent
Parla de toi
Aux effluves de la tente
Et l’attente se fit longue
Dans l’étonnement enfantin de l’Harem

Tu es ce mystère vaillant
Qu’un jour prononça Forât
Et en s’efforçant de te comprendre
Le mont se brisa l’échine.


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