N° 7, juin 2006

Un nouveau regard sur Délchodégân : une mélodie dont la descente est l’apogée


Mahsa Abhari


Les œuvres de Ali Hâtami sont toujours tentantes à voir. Pour notre génération dont l’enfance et l’adolescence ont été imprégnées des films tels que " Hézâr Dastân " (le rossignol), "Kamâl-ol-molk" et "Délchodégân " (les épris), cette tentation est beaucoup plus forte, et ne se limite pas seulement à voir le film. L’image qui existe dans notre mémoire des époques Pahlavi et Qadjar est celle que Hâtami nous a laissée, on compare même les photos de l’ancien Téhéran avec le Téhéran de Hâtami, ce qui arrive rarement pour les autres metteurs en scène.

Ali Hâtami naquit en 1944 à Téhéran. Adolescent, il perdit sa mère. Son père travaillait dans une imprimerie. Le milieu dans lequel il vivait était favorable au développement de son talent dans le domaine de l’art et de la littérature. Il jouait avec les caractères et les mots dans l’imprimerie de son père pour se divertir, ce qui est devenu plus tard la particularité de son style dans le théâtre et le cinéma. Dès son adolescence, il fut épris de spectacles. En 1965, sous l’influence du Petit Prince de Saint Exupéry, il rédigea sa première pièce de théâtre, intitulée "Dive" (le démon). A partir de 1967, il commença à écrire ses scénarios.Son attachement à la nostalgie et au passé est presque toujours présent dans ses ouvrages. C’est pourquoi ses oeuvres, sub

til mélange de cette affection liée à l’histoire de l’Iran et de la propre mémoire de Hâtami sont comme une narration personnelle des événements et des personnages historiques. "Satâr Khân" est sa première expérience dans ce domaine. Hâtami dit lui-même : " Il y a longtemps que l’on dit que Hâtami est à la recherche des objets. Il a toujours à faire aux choses anciennes et aux objets antiques, comme les brocanteurs. Je le sais. Bien entendu, il ne s’agit pas des chapiteaux de Persépolis ou d’objets préhistoriques, je me passionne pour une époque qu’on appelle le passé récent. " En 1992, il composa "Délchodégân" (les épris) et en 1996, malgré sa maladie, il commença la réalisation de "Djahân Pahlévân Takhti " (Takhti, le héros mondial), qui resta inachevée à cause de son décès survenu le 15 Azar 1996.

" Délchodégân " en tant que dernier film de Hâtami est un éloge de l’art et de l’artiste : l’art est indissociable de la vie, des amours et de la mort de l’artiste. Ce thème nous fait penser à " Lime light" de Chaplin et la mort de " Tâhér " ressemble à celle de Chaplin sur la scène, tandis que la ballerine l’accompagne en dansant. De ce point de vue, " Délchodégân" est une autobiographie : l’art accompagne Hâtami dans sa vie, dans ses amours et c’est lors de la réalisation de son dernier film qu’il meurt. S’intéresser à "Délchodégân ", c’est étudier tout le cinéma de Hâtami , car presque tous les éléments concernant ses thèmes favoris et la forme adoptée par sa narration de l’histoire s’y retrouvent.

Les thèmes

L’amour

L’amour est un motif qui revient dans la plupart des œuvres de Hâtami . Dans ce domaine, il s’inspire beaucoup de la littérature classique de l’Iran, et ne s’en cache pas. Parvenir de l’amour terrestre à l’amour divin, de l’amour métaphorique à l’amour réel, est l’un des thèmes les plus fréquents dans notre littérature, surtout à partir du sixième et septième siècles. On voit plusieurs fois la répétition de ce thème dans "Délchodégân " de façon directe ou indirecte.

Hâtami le dit lui-même, la mort est un élément purificateur pour ses personnages.La mort de "Tâhér" représente aussi son amour. Sa mort n’est pas seulement celle du chanteur du groupe. Car s’il est amoureux, d’une certaine manière tous les autres membres sont aussi épris. " Tâhér " meurt comme le symbole de cette foule d’amoureux. Le message principal de Hâtami, c’est l’accomplissement de l’amour éternel par l’annihilation.

Le destin

La croyance à la destinée divine est un thème présent dans les œuvres de Hâtami . Dans l’époque qu’il dessine, les hommes s’inclinent devant le destin et croient aux signes qui le présagent : un " toughi " (une sorte de pigeon) est de mauvais augure, ou le corbeau noir est porteur de mauvaises nouvelles. Dans la scène où les membres du groupe sont en train de faire leurs bagages, dans la maison de " Tâhér ", sa mère lui dit : " Il m’est venu à l’esprit que je ne peux plus te revoir", et c’est un signe qui prédit la mort de " Tâhér".

La nostalgie

Hâtami ressentait lui-même cette nostalgie. Comme les membres du groupe, il n’appartient pas au lieu où on l’a envoyé.

Il se reconnaît à travers les demeures dotées de hauts arcs et de fenêtres à claire-voie et ornées de miroirs, les gens habillés de vêtements larges et portant le chapeau de l’époque Qadjar, une ville dans laquelle circulent des charrettes…

Il se retrouve à travers ces objets antiques qui sont les symboles de son identité. Le ton ironique de Hâtami dans les scènes concernant la modernité montre qu’il est conscient que ses affections sont puériles devant ce monde moderne. Dans " Délchodégân " on voit que le groupe de musiciens a recours à cette nouvelle civilisation pour inscrire une musique de pure race, et à la fin, il progresse et fait apprendre scientifiquement la musique au professeur de cithare. Après une longue promenade dans son monde mental et imaginaire, il entre un peu en contact avec ce monde moderne et accepte que tout soit en train de changer. La charrette est remplacée par l’autobus, les hautes demeures cèdent la place aux maisons avec des plafonds moins hauts et finalement la musique traditionnelle donne sa place à une musique dont les principes sont rationnels, " Khosrô Khân " apprend la musique occidentale, en outre il s’habille de vêtements propres à cette culture.

La forme de la narration

La forme narrative de Hâtami est aussi inspirée par la littérature classique : Une histoire principale

et axiale et quelques histoires secondaires. C’est la forme simple et ancienne de la narration orientale. (La narration à la manière des " Mille et Une Nuits"). Dans cette forme narrative, la parole et les dialogues font progresser le récit. Les actions principales du film se présentent sous forme de dialogues, sauf dans quelques scènes, comme celle de la mort de " Tâhér " dans les escaliers. Cette attention au dialogue est fréquente dans plusieurs scènes : il faut faire allusion à la brièveté du dialogue dans les deux séquences de la présence de " Ahmad Châh ", qui indiquent d’une part le temps historique du film et d’autre part en définissent l’action principale (voyage en Europe pour enregistrer la musique). Dans une autre séquence, encore à l’aide d’un dialogue court et bref, il représente la Cour iranienne de cette époque à laquelle son partenaire européen ne tient pas sa promesse ; ce qui cause beaucoup de difficultés au groupe de musiciens.

Aujourd’hui encore, 13 ans après la composition de "Délchodégân", on revoit ce film avec plaisir. Même si de nos jours, on s’intéresse à un cinéma qui met en question tous les constituants de ce film, on aime toujours Hâtami et son oeuvre, comme il aimait lui, " ce passé récent ".

Bibliographie :

1. La revue "Bâmdâd"

2. La revue de film


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