N° 7, juin 2006

Fereydoun Moshiri, l’odeur de la pluie


Rouhollah Hosseini


Viens avec moi pleurer sur l’homme d’aujourd’hui

Le pauvre, il a perdu le sens de l’amour

" De la musique avant toute chose " disait alors Verlaine ; aujourd’hui, c’est encore le degré de musicalité qui fait en grande partie la force du poème. La musique est le moule qui confère sa forme à la parole, qui démultiplie le verbe, qui l’habille de ses belles notes, qui à voix haute, séduit l’oreille, et l’esprit à voix basse. Telle est la poésie mochirienne. On l’écoute, on l’entend, on la fredonne à l’infini.

Fereydoun Mochiri

Poète chansonnier populaire de la langue persane, Fereydoun Mochiri est né en 1927 à Téhéran. Son premier recueil, Assoiffé de la tempête voit le jour en 1955. Paraissent ensuite Le péché de la mer en 1956, Le nuage et la ruelle en 1967, Crois le printemps en 1968 ; autant de recueils à la fois poèmes et réflexions, sur le sens de la vie et de la mort, sur l’amour et la force du destin. Du silence, publié en 1978, évoque les souffrances de l’homme moderne au sein de la grande ville. Ses derniers recueils s’intitulent Oh, pluie, publié en 1988 et Ahurâ, tu es le matin brillant ! en 2001 (un an après son décès), lesquels célèbrent le culte de l’amitié et de la paix. L’amour occupe une place privilégiée dans l’œuvre de Mochiri, ainsi que le thème de la nature. Cette dernière fournit le cadre de la plupart des textes de l’auteur, qui invite avec insistance l’homme d’aujourd’hui à entrer en communion avec elle :

Ouvre la fenêtre pour voir que la brise

Célèbre l’anniversaire des acacias,

Que le printemps

A allumé des bougies

Sur chaque branche, auprès des feuilles.

 

Dis-moi où est l’oiseau du soleil !

Prisonnier je suis, de l’éternelle nuit noire

Eclaire-moi à travers les barreaux de la fenêtre

Au creux de la brise matinale, en plein milieu des champs

Je voulais m’épanouir comme un arbre

Sans crainte de la hache.

Par mes mains élevées vers le ciel pur

Je voulais prier pour le soleil, la terre, l’eau et l’air.

Je voulais que les moineaux chantent sur mes épaules.

Verdoyant et robuste, et fier, et florissant

Je voulais ramener la fierté, la verdure sur ce champ triste

Je voulais ramener la verdure sur ce champ sec et triste.

 

Ah ! Oiseau du soleil !

Des cent mille bourgeons, pas un seul n’a fleuri

La main de la brise n’a guère connu mon corps

Les moineaux n’ont plus traversé ce pays

Ces belles feuilles colorées se fanèrent dans la poussière

Et ce champ sec et triste, désespéra du printemps

 

Ah ! Oiseau du soleil !

Emporte-moi vers le pays où, comme le vent

Je peux libre et gaiement aller où je désire.

 

Je suis le moineau du jardin d’amitié qui s’est brisé les ailes

Combien de temps dans ce désert

Cacher sa tête sous le plumage ?

Emporte-moi vers les prairies lointaines

Où je trouverai un arbre pour entamer mon chant

Je brûle de m’envoler

Quand trouverai-je ma compagne de chant ?

Mais dis-moi où se trouve le lieu

Où sous tes ailes, au creux de l’univers

Un instant à mon gré

Je déploierai mes ailes

Où je pourrai pleurer

Où je pourrai chanter ?

 

 

LA RUELLE

Sans toi, sous le clair de lune, je repassai cette ruelle

Œil je devins, te cherchant corps et âme

De la coupe de mon être déborda le désir de te voir

Je redevins cet amant exalté d’autrefois.

 

Au fond de mon cœur

Brilla la fleur de ta mémoire

Sourit le jardin d’une centaine de souvenirs

S’exhala l’arôme d’une centaine de souvenirs

 

Je me souvins de la nuit où nous passâmes à deux la ruelle

Nous ouvrâmes nos ailes, nous promenant dans ce coin tranquille

Nous nous assîmes un instant au bord de ce ruisseau

 

Tous les mystères du monde étaient dans tes yeux noirs

Moi j’étais ébloui en les contemplant

Claire était la nuit, serein était le ciel

Le bonheur me riait, dompté était le temps

Et les épis de lune baignaient dans l’eau

Les branches s’élançaient vers le clair de lune

La nuit, le champ, la fleur et la pierre

Etaient ivres du chant du rossignol

 

Je me rappelai tes paroles : "Evite cet amour !

Regarde un instant cette eau qui court !

L’eau est le miroir de l’amour qui passe

Ô toi dont le regard de mon regard s’émeut !

N’ais crainte, car demain d’une autre tu seras l’amant !

Pour oublier mon amour, quitte cette ville quelque temps !"

 

" Je ne saurais éviter ton amour, te dis-je

Te quitter pour m’en aller au loin

Le premier jour où vers toi, mon cœur prit son envol

Pour se poser comme une colombe au bord de ton toit

Tu me lanças des pierres, mais je n’ai pas fui, ni rompu avec toi

Je me redis que toi, tu es chasseur et moi, la gazelle des champs

Je cherchais, recherchais pour tomber dans ton piège"

 

Je ne saurai éviter ton amour

Ni te quitter pour m’en aller au loin

 

Une goutte de larme se détacha d’une branche

L’oiseau de nuit gémit de douleur et s’enfuit

Une larme frémit dans ton œil

La lune ria de ton amour

 

Je me souvins que je n’entendis plus de réponse de ta part

Je me noyai dans le chagrin

Je n’ai pas fui, ni rompu avec toi

Dans les ténèbres du chagrin, cette nuit passa, et d’autres avec

Tu ne t’enquis plus de ton triste amant

Et de cette ruelle jamais plus tu ne passes.


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1 Message

  • Fereydoun Moshiri, l’odeur de la pluie 18 janvier 2015 03:51, par Cristina Gonçalves

    FEREYDOUN MOSHIRI, L’ODEUR DE LA PLUIE

    J’ai bien aimé l’article cité ci-dessus. Mais, j’aimerais savoir dans quel(s) recueil(s) sont parus ces deux poèmes et qui est-ce qui les a traduits ? Et les cinq vers avant le poème "Dis-moi où est l’oiseau du soleil !"sont-ils un poème complet ou seulement un petit extrait ?

    J’espére recevoir brèvement une réponse a ce message. Et merci pour votre attention.

    Cristina Gonçalves

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