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Viens avec moi pleurer sur l’homme d’aujourd’hui
Le pauvre, il a perdu le sens de l’amour
" De la musique avant toute chose " disait alors Verlaine ; aujourd’hui, c’est encore le degré de musicalité qui fait en grande partie la force du poème. La musique est le moule qui confère sa forme à la parole, qui démultiplie le verbe, qui l’habille de ses belles notes, qui à voix haute, séduit l’oreille, et l’esprit à voix basse. Telle est la poésie mochirienne. On l’écoute, on l’entend, on la fredonne à l’infini.
Poète chansonnier populaire de la langue persane, Fereydoun Mochiri est né en 1927 à Téhéran. Son premier recueil, Assoiffé de la tempête voit le jour en 1955. Paraissent ensuite Le péché de la mer en 1956, Le nuage et la ruelle en 1967, Crois le printemps en 1968 ; autant de recueils à la fois poèmes et réflexions, sur le sens de la vie et de la mort, sur l’amour et la force du destin. Du silence, publié en 1978, évoque les souffrances de l’homme moderne au sein de la grande ville. Ses derniers recueils s’intitulent Oh, pluie, publié en 1988 et Ahurâ, tu es le matin brillant ! en 2001 (un an après son décès), lesquels célèbrent le culte de l’amitié et de la paix. L’amour occupe une place privilégiée dans l’œuvre de Mochiri, ainsi que le thème de la nature. Cette dernière fournit le cadre de la plupart des textes de l’auteur, qui invite avec insistance l’homme d’aujourd’hui à entrer en communion avec elle :
Ouvre la fenêtre pour voir que la brise
Célèbre l’anniversaire des acacias,
Que le printemps
A allumé des bougies
Sur chaque branche, auprès des feuilles.
Dis-moi où est l’oiseau du soleil !
Prisonnier je suis, de l’éternelle nuit noire
Eclaire-moi à travers les barreaux de la fenêtre
Au creux de la brise matinale, en plein milieu des champs
Je voulais m’épanouir comme un arbre
Sans crainte de la hache.
Par mes mains élevées vers le ciel pur
Je voulais prier pour le soleil, la terre, l’eau et l’air.
Je voulais que les moineaux chantent sur mes épaules.
Verdoyant et robuste, et fier, et florissant
Je voulais ramener la fierté, la verdure sur ce champ triste
Je voulais ramener la verdure sur ce champ sec et triste.
Ah ! Oiseau du soleil !
Des cent mille bourgeons, pas un seul n’a fleuri
La main de la brise n’a guère connu mon corps
Les moineaux n’ont plus traversé ce pays
Ces belles feuilles colorées se fanèrent dans la poussière
Et ce champ sec et triste, désespéra du printemps
Ah ! Oiseau du soleil !
Emporte-moi vers le pays où, comme le vent
Je peux libre et gaiement aller où je désire.
Je suis le moineau du jardin d’amitié qui s’est brisé les ailes
Combien de temps dans ce désert
Cacher sa tête sous le plumage ?
Emporte-moi vers les prairies lointaines
Où je trouverai un arbre pour entamer mon chant
Je brûle de m’envoler
Quand trouverai-je ma compagne de chant ?
Mais dis-moi où se trouve le lieu
Où sous tes ailes, au creux de l’univers
Un instant à mon gré
Je déploierai mes ailes
Où je pourrai pleurer
Où je pourrai chanter ?
LA RUELLE
Sans toi, sous le clair de lune, je repassai cette ruelle
Œil je devins, te cherchant corps et âme
De la coupe de mon être déborda le désir de te voir
Je redevins cet amant exalté d’autrefois.
Au fond de mon cœur
Brilla la fleur de ta mémoire
Sourit le jardin d’une centaine de souvenirs
S’exhala l’arôme d’une centaine de souvenirs
Je me souvins de la nuit où nous passâmes à deux la ruelle
Nous ouvrâmes nos ailes, nous promenant dans ce coin tranquille
Nous nous assîmes un instant au bord de ce ruisseau
Tous les mystères du monde étaient dans tes yeux noirs
Moi j’étais ébloui en les contemplant
Claire était la nuit, serein était le ciel
Le bonheur me riait, dompté était le temps
Et les épis de lune baignaient dans l’eau
Les branches s’élançaient vers le clair de lune
La nuit, le champ, la fleur et la pierre
Etaient ivres du chant du rossignol
Je me rappelai tes paroles : "Evite cet amour !
Regarde un instant cette eau qui court !
L’eau est le miroir de l’amour qui passe
Ô toi dont le regard de mon regard s’émeut !
N’ais crainte, car demain d’une autre tu seras l’amant !
Pour oublier mon amour, quitte cette ville quelque temps !"
" Je ne saurais éviter ton amour, te dis-je
Te quitter pour m’en aller au loin
Le premier jour où vers toi, mon cœur prit son envol
Pour se poser comme une colombe au bord de ton toit
Tu me lanças des pierres, mais je n’ai pas fui, ni rompu avec toi
Je me redis que toi, tu es chasseur et moi, la gazelle des champs
Je cherchais, recherchais pour tomber dans ton piège"
Je ne saurai éviter ton amour
Ni te quitter pour m’en aller au loin
Une goutte de larme se détacha d’une branche
L’oiseau de nuit gémit de douleur et s’enfuit
Une larme frémit dans ton œil
La lune ria de ton amour
Je me souvins que je n’entendis plus de réponse de ta part
Je me noyai dans le chagrin
Je n’ai pas fui, ni rompu avec toi
Dans les ténèbres du chagrin, cette nuit passa, et d’autres avec
Tu ne t’enquis plus de ton triste amant
Et de cette ruelle jamais plus tu ne passes.