N° 6, mai 2006

France 2006, printemps estudiantin


Esfandiar Esfandi


Mars 2006. Le printemps est venu, avec son lot de lumière, de fraîcheur tempérée, de vacances en perspectives ; avec, dans certains pays attractifs, les premiers "arrivages" de touristes, les premiers promeneurs, un peu disséminés, qui n’ont pas hésité à engager leurs premières promenades, prometteuses, dès l’apparition des premiers rayons de soleil. Et les premiers sourires printaniers venus annoncer la fin, pour certains, du cycle hivernal de leurs humeurs gelées ; la démultiplication des naissances, enluminées par le climat renaissant, par le retour de la flore ; et la jeunesse, également en fleur, pleine de vigueur, d’entrain, de lumière dans le regard, sur le visage, sur les mains, sur ses habits, déjà colorés, rehaussés de lumière joyeuses et criardes ; le printemps est une fête, sur tous les continents. Le jeune est en fête. Sur tous les continents, il aime la joie et la couleur. En mars, son maintient, toujours digne, reste festif. S’il garde son sérieux, l’intention reste festive. S’il adopte soudain des gestes amples, c’est pour communiquer sa joie. S’il a la verve haute, s’il gesticule en communiquant sa bonne humeur, c’est par nature. Alors, au printemps, le jeune gesticule par groupe. Il interpelle ses aînés en rangs dispersés, qui très tôt se rejoignent pour ne faire qu’un. Les aînés ne sont pas en reste, qui rallient leurs progénitures. Alors on crie, on hurle, on s’égosille, on aspire à synchroniser la musique des voix ; on lève les bras pour exprimer physiquement des paroles fleuries (certains esprits mal intentionnés diraient : des revendications). On sort des banderoles, on peaufine des mots d’ordre, on cisèle des slogans. C’est de bonne guerre. La société est un creuset de forces vives, de potentialités, de microprojets latents, d’espoirs souvent déçus, à l’état de braise, un souffle suffit pour faire ressortir la flamme du brasier. Par nature, la société contraint ses membres, parfois immodérément, souvent injustement. Alors ses membres donnent de la voix. C’est de bonne guerre. A la voix qui monte, le printemps est propice. Sous le clair soleil, on arbore avec fierté l’étendard de la vitalité. On espère corriger les ratés du système. On espère intervenir sur le calendrier qui planifie nos intervalles de joie et de peine, pour ne pas gâcher notre printemps.

Paris, mars-avril 2006, Boulevard SAINT-MICHEL, un début d’après-midi

Le boulevard est animé ; doublement animé. Les passants passent, en laissant se détacher de leurs cortèges des “étudiants”. Ce sont eux qui accentuent l’animation coutumière du "quartier Latin" et de ses alentours. C’est le printemps, il fait soleil. Les étudiants se dirigent vers la Sorbonne. Un étudiant se rendant à l’université, cela n’étonne personne ; ni même vingt ou cinquante étudiants. Une marée de passants, cela ne surprend guère ; ni même une marée d’étudiants dont la bonhomie revendicative écarte toute crainte de débordement. Les commerçants se souviennent cependant, et les cafés, et certains peut-être des employés de la librairie philosophique Vrin. Ils se souviennent du spectre jovial de mai 1968. En ce temps-là, ils étaient nombreux à rallier la Sorbonne pour protester contre le conservatisme de “la France du Général”. La France “postmoderne” a fait table rase de son mémorable mois de mai. Toute la France ? Assurément non. Une certaine couche de la société continue à croire en l’efficacité des débordements joviaux. A peine le “Contrat Premier Emploi” proposé, qu’ils s’amusaient déjà dans la rue, en “gesticulant” contre un contrat “inique” susceptible de fragiliser leur insertion future dans le monde ô combien (et parfois trop) adulte du travail. L’article huit de la loi sur l’égalité des chances élaboré par le gouvernement Villepin laisse deux ans aux employeurs pour se séparer, au besoin, de leurs employés CPE, sans justifications, sans contrepartie, sans garanties, pour en faire des employés “corvéables”. C’est du moins l’opinion d’une majeure partie des étudiants de France, et de l’ensemble des “gesticulateurs” inquiets qui ont une fois de plus forcé la Sorbonne à s’habiller de barricades, et les commerçants du coin à fermer boutique. Pour ce qui est du bien-fondé du CPE, les avis restent partagés entre ceux qui redoutent la précarisation future du travail des jeunes, et ceux qui saluent le providentiel CPE créateur d’emplois. Laissons aux spécialistes le soin d’analyser et de trancher. Continuons pour notre part à célébrer avec insouciance le printemps et ses odeurs stimulantes. Le printemps qui donne envie de gambader dans la campagne, de flâner dans les rues de la ville, nonchalamment, de fredonner des chansons, de déclamer des slogans, avec des gestes amples, de faire des projets, de bâtir un avenir pour notre parcelle de lendemain, et, si par malheur une idée “méchante” venait à menacer ce peu, de crier à l’unisson, enfin, d’évaluer après coup (c’est l’étape ultime) le bien-fondé de notre cri.


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