Marcher, bouder la voiture, a certains avantages, notamment à Téhéran avant le Nouvel-An (Norouz, le 21 mars). Pourquoi ? Parce qu’on évite les embouteillages, la cohue des derniers achats, parce qu’on oublie le surmenage de fin d’année, parce qu’on fait des rencontres.

Alors que je me baladais, un vendredi, une semaine avant Norouz, j’ai rencontré trois Hâdji Firouz, chantant et dansant au milieu des voitures. Tels des cigales à la belle saison, ils égayaient de leurs chants, les longues files de véhicules immobiles et de leurs chapeaux pointus rougeoyants, les rues ensoleillées mais grises de Téhéran.

Uniquement avant les fêtes de Nouvel-An, au printemps, certains musiciens de rue endossent les habits de ce personnage populaire et parcourent les villes. Accompagnés d’un tambourin ou du zarb, tambour traditionnel, ils passent en chantant : « Hâdji Firouz é, sâli yek rouz é », ce qu’on pourrait traduire par « C’est Hâdji Firouz, il ne passe qu’une fois l’an ! ». Les automobilistes, amusés, patientent derrière ces joyeux lurons qui bloquent pourtant la circulation, et les récompensent parfois de quelques billets.

Hâdji Firouz
Rue Felestin, Téhéran, le 13 mars 2009
Photos : Alice Bombardier

Selon des sources populaires, ce personnage était appelé par le passé Khâdjâh Pirouz (Gentilhomme victorieux), avant d’être désigné sous le nom islamisé de Hâdji Firouz. Dans l’Iran pré-islamique, Khâdjâh Pirouz, l’homme le plus en vue de la communauté, remplaçait durant quelques jours son chef.

Farrokh Gaffary, ancien Directeur de l’Institut des Rituels et Performances traditionnelles en Iran, écrit en effet, en 1984, que dans l’Iran ancien, la coutume de Mir-e noruzi (Prince du Nouvel-An) était pratiquée de la sorte. Durant une cérémonie carnavalesque, un roi farceur était élu pour quelque temps. Cette coutume -semblable à la Fête des Fous, qui se déroulait au Moyen-Age en Europe, le Pape des Fous à sa tête- aurait été célébrée jusqu’en 1956 à Bojnurd. [1]

Rue Felestin, Téhéran, le 13 mars 2009

Hâdji Firouz est généralement vêtu de rouge, avec un haut chapeau pointu, et le visage tout noir. Il diffère du personnage, dit Siâh (Le Noir), principal acteur de la comédie populaire iranienne (siâh bâzi), dont le visage et les mains sont également noircis. Dans ces comédies, jouées en Iran jusque dans les années 1970, au sein des maisons de thé ou dans la sphère privée, à l’occasion de naissances, mariages ou circoncisions, et également dans un théâtre téhéranais, rue Lâleh Zâr, le Noir parlait avec l’accent des anciens esclaves noirs et faisait audacieusement la satire des riches dignitaires. [2]

Si le théâtre traditionnel du siâh bâzi n’est plus pratiqué en Iran, Hâdji Firouz passe toujours une fois l’an !

Notes

[1Farrokh Gaffary, “Evolution of Rituals and Theater in Iran”, Iranian Studies, vol 17, n° 4, automne 1984, pp. 361-390.

[2Idem, p. 372.


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