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Ce musée fait partie de l’ensemble des musées Guggenheim répartis ici et là, à New York (où il y en a deux), à Venise, à Berlin et bientôt à Abu Dhabi ; il est implanté au cœur de Bilbao, une ville de dimension moyenne située à deux pas de l’Atlantique, au bord d’une rivière, au nord-ouest de l’Espagne. On est au Pays Basque qui possède sa propre langue et ses revendications autonomistes. Le musée a ouvert ses portes en 1997 et l’initiative en revient à la province de Biscaye dont Bilbao est la capitale, ceci dans le cadre d’un vaste plan de relance de la région alors en pleine mutation postindustrielle. Le pari semble réussi car le musée draine plus d’un million de visiteurs par an et a généré quelques dizaines de milliers d’emplois, dans une ville encore en rénovation, tant au plan de son architecture qu’au plan des infrastructures qui débordent largement son périmètre, comme le métro, le tramway et un superbe petit aéroport. Cette description du contexte laisse entendre que le musée n’est désormais plus un lieu coupé du monde et réservé à des initiés ou à des spécialistes mais un pôle pleinement partenaire de l’économie ; et tel est le cas du Guggenheim, œuvre d’avant-garde par son architecture déconstructionniste et postmoderne extrêmement singulière mais également espace d’accueil de l’art et du public de l’art moderne et contemporain. Ce musée mérite réellement sa notoriété car il est une véritable œuvre praticable et en même temps se révèle quasiment parfait pour les œuvres qu’il contient, depuis la collection « classique », c’est à dire d’art moderne, de la fondation Guggenheim, jusqu’aux œuvres actuelles comme les vidéos et les installations.
Le bâtiment en tant qu’architecture muséale s’inscrit dans une continuité qui passe par le Guggenheim de New York, la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence ou le Musée d’art moderne de Téhéran. Ces lieux sont des sortes de folies néanmoins fonctionnelles qui arrivent à allier performance architecturale et mise au service des œuvres présentées. En même temps, et après une visite approfondie de ce site de Bilbao, on se rend compte comparativement que le Musée national d’art moderne, Georges Pompidou, à Paris, date quant à lui dans sa capacité à accueillir au mieux les œuvres d’art, car peut être est-il comme certains musées, une œuvre autosuffisante où les collections souffrent plus ou moins de la nature même de l’architecture ; il en va ainsi par exemple, de la Fondation Cartier et de l’Institut du Monde Arabe, à Paris, où quelquefois les œuvres paraissent inutiles, tentés que nous sommes d’apprécier l’architecture avant tout. Ces musées ne semblent pas savoir s’effacer pour le libre essor des œuvres qui s’y exposent.
L’architecte du Guggenheim de Bilbao, Frank Gehry, semble avoir donné toute liberté à son inventivité pour aboutir à cette sorte de vaste navire déstructuré et brillant en même temps que sculpture géante qui se découvre et s’appréhende peu à peu selon les points de vue qu’offre le site d’implantation : en pleine ville, presque sous un immense pont et au bord d’une rivière. Ainsi depuis ce pont qui sert d’entrée dans la ville, côté aéroport, on a une vue plongeante et assez globale, alors que depuis l’autre rive du Nerviَn ou depuis les esplanades qui entourent le bâtiment on est de plain-pied et le musée apparaît comme absolument monumental (plus de 50 mètres de haut). La visite de l’intérieur du bâtiment, malgré la déstructuration de l’orthogonalité traditionnelle, se fait comme naturellement sur les trois niveaux réunis autour d’un puits central, avec une lumière tantôt zénithale, tantôt en provenance de larges baies. L’allusion au Guggenheim de New York est discrète mais évidente. Les œuvres, quelles que soient leur nature et leurs dimensions sont parfaitement présentées : installations des pièces gigantesques de Richard Serra, nombreuses vidéos de la collection ou œuvres d’art moderne, c’est-à-dire des tableaux acquis notamment par Peggy Guggenheim.
Ce musée est donc conçu comme une œuvre architecturale singulière et avant-gardiste, au contraire des nombreux musées des beaux arts bâtis il y a longtemps en Europe sur quasiment un modèle unique ; en outre il est pensé à la fois comme étant au service des œuvres dans leur extrême diversité et en même temps dans une dimension pédagogique et une ouverture culturelle très développées. Tout est là pour que le visiteur soit informé, accueilli, guidé, reçu, mais aussi pour qu’il puisse effectuer une visite sereine et détendue, à son rythme, se documenter à la librairie et jeter de temps à autre un regard sur l’extérieur du site, ses alentours et la ville. Il y a une offre conséquente d’ateliers de rencontres, de conférences, de débats et de travail d’étude autour des expositions et de la collection ainsi, par ailleurs, que de nombreux concerts. L’équilibre est harmonieux entre les collections d’œuvres acquises et la création commandée par le musée à différents artistes, c’est-à-dire les œuvres créées in situ. Ce type de musée n’échappe pas à cette caractéristique propre au musée d’aujourd’hui : être à la fois un lieu de culture, de collection et de classement mais également un lieu où se font des œuvres qui lui sont spécifiquement destinées. Cependant, il est indéniable que le contexte d’une ville moyenne et tranquille est loin d’être aussi pesant que celui des grandes capitales avec leurs musées comme le Louvre ou le Metroplolitan Museum chaque jour investis par des cohortes de visiteurs.
En cet été 2009, le musée Guggenheim de Bilbao présentait d’une part un échantillon de la collection Guggenheim, essentiellement des peintures de la première moitié du vingtième siècle, et toujours extraites de cette collection, une série de vidéos contemporaines projetées dans le cadre de belles salles spécifiques. La matière du temps : des pièces géantes de Richard Serra, le sculpteur minimaliste américain, sont là de manière permanente, accompagnées des dispositifs pédagogiques habituels : vidéos, maquettes et documentation. Il y a également une exposition assez exhaustive du travail de Cai Guo-Qiang, un artiste chinois, dont les œuvres sont faites avec le feu, les vidéos des feux d’artifices et une installation très réussie faite à partir de la carcasse d’un bateau abandonné dégorgeant de céramiques brisées blanches. Très impressionnante.
Le Guggenheim de Bilbao est un enchantement mais nul doute que le Guggenheim à venir à Abu Dhabi s’annonce plus ambitieux encore !