|
L’Iran perdit deux tiers de ses territoires pendant le règne des Qâdjârs. La politique expansionniste des puissances coloniales et des pays voisins de l’Iran, la supériorité de l’armement et l’avance technique des pays européens depuis leur entrée dans l’ère industrielle, conjuguée à la faiblesse des rois qâdjârs et leur incapacité à analyser les enjeux et la nouvelle donne politique de l’époque furent déterminantes dans ces pertes de territoires. Au XIXe siècle, l’Angleterre attisa les velléités indépendantistes des chefs des tribus afghanes et baloutches à l’encontre du gouvernement central d’Iran en leur donnant de l’argent et des armes. La ville de Hérat, une partie du Sistân et une partie du Baloutchistân furent séparées de l’Iran à cette époque.
Les frontières de l’Iran ont perpétuellement changé du VIe siècle av. J.-C au XIXe siècle. A l’époque des Mèdes, la frontière orientale de l’Iran s’étendait, des régions du nord-est du fleuve Amou-Dariâ (ou Djeyhoun) jusqu’au fleuve Helmand (ou Hirmand) dans la section proche de sa source, et des régions du sud-est du lac Hâmoun jusqu’au port Djâsk au bord de la mer d’Oman. A l’époque des Achéménides, les frontières orientales de l’Iran s’étendaient du fleuve Syr-Dariâ (ou Seyhoun) au nord-est, jusqu’au fleuve Indus au sud-est. Le lac Oural et presque tout l’Afghanistan actuel faisaient donc partie de l’Iran à l’époque. Au cours du règne des Sassanides, le fleuve Amou-Dariâ était la frontière de l’Iran au nord-est ; une grande partie du Pakistan actuel dont le Baloutchistân faisaient également partie de l’Iran.
L’histoire de l’Iran après la conquête arabe peut être divisée en deux périodes. Au cours des premiers siècles qui suivirent la conquête arabe, des pouvoirs locaux virent le jour et gouvernèrent chacun dans une région de l’Iran. Les Tâhirides (820-873) régnèrent dans le Khorâssân, une partie du Sistân et de Kermân ; les Saffârides (863-900) régnèrent sur le Khorâssân, le Sistân, le Mokrân et une partie du Kermân et de Fârs. Les régions orientales de l’Iran furent ensuite gouvernées par les Sâmânides (874-999), tandis que l’ouest de l’Iran était gouverné par les Bouyides (945-1055).
La deuxième période de l’histoire de l’Iran après la conquête arabe correspond au règne de dynasties qui unifièrent à nouveau les différentes régions de l’Iran. A l’époque des Ghaznavides (962-1150), les frontières orientales de l’Iran s’étendaient du fleuve Amou-Dariâ au nord jusqu’au Kermân et Mokrân au sud-est. Le Pamir fit partie du royaume Ghaznavide dans un deuxième temps.
L’Empire seldjoukide (v.985-1243) s’étendait jusqu’à Kandahâr, Kermân et Mokrân. Les Seldjoukides reconstituèrent géographiquement l’ancien Empire perse en étendant leur domination sur la Syrie, l’Arménie et la plus grande partie de l’Asie Mineure. L’invasion de l’Iran par Gengis Khân au XIIIe siècle aboutit à la domination de la Perse par les Mongols. Tamerlan envahit l’Iran au XIVe siècle. L’Iran fut partagé à sa mort entre ses trois fils. Les descendants de Tamerlan régnèrent dans la Transoxiane et le Khorâssân jusqu’au début du XVIe siècle. Leur capitale était la ville de Hérat.
L’Iran fut réunifié sous le règne des Safavides, au XVIe siècle. Sous leur règne, les frontières orientales de l’Iran s’étendirent du fleuve Amou-Dariâ au nord-est jusqu’à Kandahâr à l’est et Tchâbahâr (au bord de la mer d’Oman) au sud-est.
L’Afghanistan a fait partie du territoire iranien pendant des millénaires sauf pendant certaines périodes, entre 250 et 125 av. J.-C. par exemple, où il fit partie du royaume indépendant de Bactriane. A l’époque des Safavides comme au cours des dynasties précédentes, chaque province d’Iran avait un gouverneur qui était souvent l’un des chefs des tribus de la région. Ainsi, les chefs de tribus afghans régnaient sur leur territoire mais étaient les sujets de l’empereur perse : ils déclaraient leur allégeance au roi à la prière du vendredi et envoyaient une partie des tributs de leur province à la capitale. Abbâs Ier fut le plus grand roi safavide ; il mourut en 1628. Les rois qui lui succédèrent ne furent pas aussi compétents que lui pour maintenir la paix et l’unité de l’Iran, et les chefs des tribus afghanes se soulevèrent contre le pouvoir central.
Le chef de la tribu afghane de Kandahâr, Mir Mahmoud, traversa le désert de Lout au sud du Sistân en 1720, et encercla Kermân. Il fut vaincu par le gouverneur de Kermân, mais celui-ci fut destitué de ses pouvoirs et son armée dispersée à la suite des complots de ses rivaux, ce qui attisa la convoitise de la tribu afghane de Hérat, qui envahit plusieurs villes importantes du Khorâssân. La tribu afghane de Kandahâr attaqua à nouveau Kermân en 1722. Elle réussit à prendre cette ville et s’achemina vers Ispahan, la capitale de l’Iran, en passant par Yazd. Ispahan fut encerclé et ne fut pris que sept mois plus tard, en novembre 1722, alors que les habitants de la ville mouraient de faim. Le 23 novembre 1722, le roi safavide sortit de la ville et remit les insignes de la royauté au chef de la tribu afghane, qui entra deux jours plus tard dans la ville et ordonna de massacrer les habitants. Les tribus afghanes régnèrent en Iran pendant sept ans.
En 1727, Nâder (ou Nâdir), l’un des chefs de la tribu Afshâr, - une tribu kurde de Ghoutchân, région située dans le nord du Khorâssân - et un chef d’une tribu qâdjâre originaire de Gorgân réunirent leurs hommes et formèrent une armée de 8000 soldats qui entreprit la libération des territoires occupés. Cette armée, dirigée par Nâder, reprit en 1728 les provinces du Khorâssân et de Hérat, puis se dirigea vers Ispahan qu’elle reprit aux Afghans en 1729.
Le roi afghan fut vaincu dans une bataille qui eut lieu dans une région située à une trentaine de kilomètres de Shiraz. Il tenta de s’enfuir vers Kandahar par le désert de Lout avec 200 soldats, mais ces derniers furent presque tous tués par les Baloutches. En 1730, Tahmâsp II, roi safavide, fut couronné à Ispahan. Il nomma Nader Afshâr gouverneur des provinces du Khorâssân, Sistân et Kermân, mais ce dernier était beaucoup trop ambitieux pour se contenter de gouverner quelques provinces au nom du roi ; il ordonna que l’on frappât les pièces de monnaie des provinces qu’il gouvernait à son effigie. Nâder, qui était également le chef de l’armée du roi, fit abdiquer ce dernier en 1732 à cause de ses défaites dans les guerres avec les Ottomans et se proclama régent du nouveau roi, Abbâs III, un adolescent chétif et malade. Ce dernier mourut en 1736 et Nâder Afshâr fut proclamé roi par un concile.
Nâder Shâh Afshâr réussit en une dizaine d’années non seulement à repousser les Afghans, mais à faire également sortir les Ottomans et les Russes des territoires iraniens qu’ils avaient occupés. Ses victoires dans les guerres avec le roi de l’Inde et le chef de la tribu des Ouzbeks lui permit d’établir les frontières de l’Iran de la rivière Amou-Dariâ au nord-est jusqu’à l’Indus au sud-est. L’empire qu’il créa était plus étendu que celui des Safavides. Mais Nâder Shâh Afshâr devint tyrannique après une tentative d’assassinat fomentée contre lui. Dès lors, il ordonna fréquemment que l’on assassine ou que l’on aveugle ses opposants. Au cours des dernières années de sa vie, il fut détesté par le peuple à cause de son comportement sanguinaire et impitoyable ; des mouvements d’insurrection commencèrent dès lors partout en Iran. Au début de l’année 1747, son neveu, qui avait pour mission de réprimer le soulèvement des Kurdes de la région de Ghoutchân (région dont Nâder était lui-même originaire) rejoignit les insurgés et se proclama roi d’Iran. Nâder partit à Ghoutchân en juin 1747 pour mâter cette révolte. Il y fut assassiné par des soldats de son armée.
Après l’assassinat de Nâder Shâh Afshâr, tous les chefs de son armée sauf un - Ahmad khân Dorrâni, qui était le chef d’une tribu afghane - approuvèrent ce meurtre. Ahmad Khân Dorrâni tenta de venger Nâder, mais il fut vaincu par les autres chefs et s’enfuit à Kandahâr avec une partie des joyaux de la couronne. Il réussit à y établir une royauté, à former une armée et à conquérir progressivement tous les territoires de l’Afghanistan et entama ainsi la séparation de l’Afghanistan de l’Iran. A sa mort, en 1773, les guerres de pouvoir éclatèrent entre les chefs des tribus afghanes. Ceux-ci réitérèrent leur allégeance au roi d’Iran quelques décennies plus tard.
En 1739, Nâder Shâh Afshâr occupa le Baloutchistân et nomma Nâsser Khân Brahoui gouverneur de cette province. Après l’assassinat de Nâder Shâh Afshâr, Nâsser Khân Brahoui annonça son allégeance à Ahmad Shâh Dorrâni, roi de Kaboul, mais déclara peu après son indépendance. Nâsser Khân Brahoui gouverna ainsi pendant une longue période de façon autonome dans le Baloutchistân. A sa mort, en 1795, le Baloutchistân entra dans une période d’anarchie et de guerres de pouvoir incessantes entre les clans tribaux. Mohammad Shâh Qâdjâr (1834-1848) annexa à nouveau le Baloutchistân à l’Iran.
A la mort de Nâder Shâh Afshâr, quatre chefs de tribus, qui luttaient âprement pour devenir roi, gouvernèrent chacun pour un temps sur une partie de l’Iran. L’un d’entre eux, Karim Khân Zand, sortit vainqueur de ces luttes et régna pendant dix-sept ans. Les guerres de pouvoir recommencèrent à sa mort. Finalement, après une vingtaine d’années de troubles, Aghâ Mohammad Khân, de la tribu qâdjâre, s’imposa en 1794. La dynastie des Qâdjârs régna en Iran jusqu’en 1925.
La séparation définitive de l’Afghanistan fut la conséquence de la politique coloniale de l’Angleterre au XIXe siècle. Quand en 1800, le roi de Kaboul (Zamân Shâh) attaqua l’Inde, l’Angleterre encouragea le roi d’Iran (Fath-Ali Shâh) à attaquer l’Afghanistan ainsi qu’à destituer Zamân Shâh ; cette guerre ne profita guère à l’Iran. Entre temps Napoléon Bonaparte, qui avait des visées sur l’Inde, tenta d’arriver à un accord avec l’Iran pour pouvoir attaquer l’Inde - colonisée par l’Angleterre - en passant par l’Iran. En vue de contrecarrer les tentatives de Bonaparte, l’Angleterre décida de donner des avantages à l’Iran ; ainsi, dans tous les accords que l’Angleterre signa avec l’Iran entre 1800 et 1814, elle reconnut que l’Afghanistan faisait partie de l’Iran. La défaite de Napoléon à Waterloo changea la donne. L’Angleterre, rassurée, décida de changer sa politique et de séparer l’Afghanistan et le Baloutchistân de l’Iran pour créer une zone de sécurité entre l’Iran et l’Inde, afin que les autres puissances coloniales ne puissent empiéter sur le territoire qu’elle avait conquis. L’Angleterre commença alors à provoquer chez les Afghans et les Baloutches des sentiments hostiles vis-à-vis du gouvernement iranien.
Les rois qâdjârs tentaient d’imiter le faste de la cour safavide et des dynasties perses de l’Antiquité, mais en réalité, ils n’étaient pas un pouvoir fort et ne régnaient que sur leur capitale (Téhéran), tandis que le reste du pays était aux mains des chefs des différentes tribus qui contrôlaient chacun une région de l’Iran. L’Angleterre souffla le chaud et le froid, encourageant une fois les rois qâdjârs à envahir Hérat quand elle se rendit compte que Hérat était la voie d’accès à l’Inde pour la Russie, et déclarant la guerre à l’Iran en débarquant ses troupes dans les ports et les îles du golfe Persique lors d’une autre tentative iranienne visant à reconquérir Hérat. L’Angleterre manipula les rois qâdjârs et intrigua tant et si bien qu’elle fut désignée comme Etat tiers dans la détermination des frontières définitives et fixes entre l’Afghanistan et l’Iran. Les frontières actuelles du sud-est de l’Iran furent également fixées par des commissions présidées par l’Angleterre.
-En 1870, une commission présidée par le Général Goldsmith fixa la frontière entre l’Iran et l’Inde, de Gavâter à Kouhak. Le Baloutchistân fut ainsi séparé en deux régions : celle située à l’ouest de la frontière nouvellement fixée resta dans le territoire iranien, et celle située à l’est de cette frontière fut annexée par l’Angleterre et prit le nom de « Baloutchistân anglais ». L’Angleterre put ainsi préserver la région de Kalât. Le « Baloutchistân anglais » fait partie du Pakistan depuis 1947.
-En 1872, une autre commission présidée par le Général Goldsmith délimita la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan au niveau du Sistân. Cette commission divisa le Sistân en deux régions, nommées « Sistân principal » et « Sistân extérieur ». Le Sistân principal, situé sur la rive occidentale de la rivière Helmand fut attribué à l’Iran. Le Sistân extérieur fut attribué à l’Afghanistan.
- Les deux commissions précitées fixèrent donc la frontière orientale de l’Iran entre le port Gavâter et Kouhak au sud, et jusqu’au Mont Malek Siâh plus au nord. Entre Kouhak et le Mont Malek Siâh se trouvait un désert de 500 km de long, qui faisait l’objet de disputes entre les pays voisins. L’Iran occupa cette région et sa principale ville, Kouhak, ce que l’Angleterre contesta. En 1891, une commission présidée par le colonel Thomas Holdich fixa le mont Mirdjâveh comme étant la limite nord du désert en question.
- Les désaccords à propos de la frontière au niveau du Sistân aboutirent à la formation d’une nouvelle commission entre 1903 et 1905 présidée par le Colonel Mac Mahon. La frontière entre l’Iran et l’Afghanistan ne changea pas au bout du compte, et le problème de l’approvisionnement en eau de la région du Sistân perdura.
Bibliographie :
Badi’i, Rabi’, Djoghrâfiâ-ye mofassal-e Irân (La géographie détaillée de l’Iran), Ed. Eghbâl, Téhéran, 1991.
Houchang Mahdavi, Abdol-Rezâ, Târikh-e ravâbet-e khâredji-e Irân (Histoire des relations diplomatiques de l’Iran), Ed. Amir Kabir, Téhéran, 1971.
Mourre, Michel, Le petit Mourre (Dictionnaire d’Histoire universelle), Ed. Bordas, Paris, 2004.