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Une problématique toujours vivante, la notion de la littérature a suscité d’ardentes polémiques. Mais qu’est-ce que la littérature ? Est-elle un art à part entière, un jeu gratuit visant uniquement la beauté ou un moyen de servir un idéal humain, un instrument d’engagement ?
Pour nombreux qu’ils soient, les partisans de "tout ce qui est utile est laid" n’arriveront pas à nier la dimension engagée de la littérature. Baptisée "engagée" par Jean-Paul Sartre au début du XXe siècle, la littérature l’était, à dire vrai, depuis sa genèse. Elle s’engage ; lorsqu’elle nous parle des maux et des douleurs, lorsqu’elle se préoccupe du destin de son peuple, des souffrances qu’ils éprouvent. Non seulement elle ne consent pas à rester muette à l’égard des évènements qui font trembler la vie des gens, mais encore elle cherche à y apporter des solutions.
Parmi tous les maux que l’homme subit, celui que la nature lui impose paraît le plus dévastateur, le plus touchant. La singularité et l’ampleur des catastrophes naturelles, généralement à grande échelle, affectent les esprits. Ces esprits tourmentés commencent à s’exprimer, aujourd’hui dans les médias, auparavant dans les ouvrages littéraires.
Nombreux sont les témoignages littéraires évoquant des catastrophes naturelles ainsi que les nécessaires reconstructions. Si un événement peut être catastrophique pour les populations qui en sont victimes, c’est dans bien des cas le discours tenu sur lui qui lui confère ou non un statut de catastrophe. Grâce à la plume des écrivains et poètes engagés, de nombreux évènements ont été gravés dans la mémoire de l’humanité ; témoignage des évènements passés servant ensuite de référence aux études ultérieures.
Au cours de l’Histoire, ces écrits savants ou populaires ont fait des catastrophes naturelles, dont le tremblement de terre ou le séisme, un thème récurrent de la littérature. Présent dans les discours politiques et religieux comme dans les représentations, le thème du séisme traverse toutes les périodes et tous les pays, depuis l’Antiquité jusqu’à présent.
Les récits qui en témoignent ne se limitent pas à rendre compte des événements survenus ; par la manière dont ils sont construits et présentés, ils sont l’expression de la façon dont les sociétés vivent avec la menace, acceptent ou occultent le risque. Au-delà de la description du désastre, l’écrivain trouve un prétexte pour engager une réflexion sur l’idée que le peuple se fait de celui-ci. Comment un peuple réagit vis-à-vis d’une catastrophe telle que le tremblement de terre ? Est-il possible de trouver un lien entre la foi religieuse et la façon d’interpréter les calamités naturelles ? Les prennent-ils pour un signe de colère divine, une punition de Sa part ou tout simplement pour un phénomène naturel, causé par des facteurs géologiques ? Comment arrivent-ils à se solidariser afin de réparer les dégâts et de consoler les âmes traumatisées ? On pourrait notamment esquisser une réponse à ces questions à travers les différentes lignes des récits et poèmes.
Le célèbre « Poème sur le désastre de Lisbonne » de Voltaire est à ce titre exemplaire. Le premier novembre 1755, le tremblement de terre de Lisbonne avec ses trente mille morts provoque un choc considérable. Cet événement touche profondément la sensibilité philosophique et humaniste du XVIIIe siècle et Voltaire, en particulier, restera obsédé par cette catastrophe. Si lorsqu’on évoque aujourd’hui le tremblement de terre de Lisbonne, une image particulière se présente instantanément à notre esprit, on la doit sans doute en grande partie à la description que nous en a transmise Voltaire.
Pour leur part, les Iraniens, dans un pays dont la sismicité est considérée comme élevée, ont pris l’habitude de vivre avec cette réalité parfois meurtrière, et de l’expérimenter dans leur quotidien – concrètement ou par le souvenir. On les entend parler, çà et là, d’une manière nostalgique des épreuves vécues, des blessures non cicatrisées, de la perte irréparable de leurs proches, etc. C’est aussi sous la plume de l’écrivain que s’immortalisent ces souvenirs et qu’ils atteignent leur aspect le plus pathétique. Si Ghatrân Tabrizi, poète persan de Ve siècle de l’Hégire (Xe siècle), n’avait pas entrepris d’exprimer sous forme de vers émouvants, les détails du tremblement de terre survenu à Tabriz à l’époque, nous n’aurions pas disposé d’informations sur cet évènement qui serait sans doute tombé dans l’oubli. La jeune génération iranienne découvre l’existence des tremblements de terre de Ghazvin, Roudbâr et Ardebil grâce aux écrivains et aux poètes tels Jalâl Al-e Ahmad ou Sâdeq Choubak qui y ont consacrés de longs passages dans leurs œuvres. Ce dernier adopte pour incipit de son roman intitulé Sangué Sabour une scène de tremblement de terre qui a eu lieu dans le sud de l’Iran. De même Al-e Ahmad, dans Une pierre sur une tombe, fait allusion au tremblement de terre de Ghazvin dont il dépeint l’horreur des décombres et les victimes.
Ainsi la littérature est témoin et s’engage face aux malheurs des hommes. Responsable à plus forte raison, l’écrivain recrée des scènes de tremblement de terre et en décrit l’impact sur les destins personnels. Ses efforts en vue de provoquer un effet de compassion chez le lecteur entraînent une réaction de solidarité active, ou du moins émotionnelle. Une étude attentive des ouvrages littéraires qui ont abordé le thème de la catastrophe naturelle nous révèle également certaines caractéristiques de la société concernée.