N° 54, mai 2010

La France et les FRAC
(FRAC = fonds régional d’art contemporain)


Jean-Pierre Brigaudiot


La France est administrativement découpée en 26 régions (dont celles situées hors métropole) qui comportent habituellement plusieurs départements, ceux-ci étant au nombre d’une centaine. Un FRAC est implanté dans chaque région métropolitaine ; c’est un organisme doté d’une administration et d’un lieu d’exposition dont la mission est de faire connaître au public local mais également aux autres, certains aspects choisis de la création artistique contemporaine.

Avant la création des FRAC, la France provinciale était bien loin de l’art contemporain, celui-ci siégeait comme naturellement à Paris. C’est dans le cadre de la régionalisation, une ambitieuse réforme structurelle et administrative qui d’ailleurs n’en finit pas d’advenir, que le ministre de la culture, Jack Lang, a initié la mise en place des FRAC dont le projet préexistait à son premier mandat. L’ambition était de rendre l’art contemporain familier aux Français de la France profonde, de leur en permettre la fréquentation et par là même d’en acquérir une certaine connaissance. Il est indéniable qu’avant les années quatre vingt, même les grandes villes françaises vivaient tranquillement leur vie dans une certaine ignorance de cet art dit contemporain et certainement en son absence. Ceux des habitants de cette France lointaine de la capitale qui en éprouvaient le besoin devaient se rendre à Paris pour rencontrer l’art contemporain ou quelques musées, comme le Musée d’art moderne de la ville de Paris, certains salons artistiques, biennales et des galeries d’art dites d’avant-garde exposaient celui-ci ou du moins certains de ses aspects. Les Maisons de la Culture accueillaient alors un peu tout à la fois : expositions, théâtre, cinéma expérimental, poésie et musique. Au début de ces années quatre vingt, l’art dit contemporain était encore plus ou moins underground et son public se résumait à bien peu ; cet art était stimulé en même temps que défini comme tel par de rares revues à peine sorties du noir et blanc et souvent encore sous le charme de l’art américain de la décennie précédente. Mais indéniablement régnait une agitation croissante dans les provinces où de plus en plus d’artistes imaginaient pouvoir faire une carrière autre que locale. Ainsi en était il, par exemple, à Nice où dès la fin des années soixante, c’est-à-dire après Mai 68, existait une dite Ecole de Nice (en fait des activités artistiques hétérogènes) par laquelle advenaient des événements dépassant le cadre de la Côte d’azur, en relation par exemple avec l’Italie et le très international groupe Fluxus. Quelques artistes notoires contribuaient ou avaient contribué à cette effervescence, comme Yves Klein, Arman, César, Georges Brecht et Ben. Cependant ces activités restaient très saisonnières et limitées essentiellement à l’été, lorsque le monde de l’art parisien (galeristes, collectionneurs et critiques d’art) venait en vacances dans le midi. Ailleurs, les villes de province bénéficiaient le plus souvent des seules activités artistiques institutionnelles moins que contemporaines menées par leur somnolent et silencieux musée des beaux arts ; cependant il y avait, comme à Strasbourg, Bordeaux ou Nice, quelques courageuses et éphémères galeries presque toujours en difficulté économique faute de vendre aisément ce qu’elles exposaient de l’art contemporain.

Bâtiment du FRAC des Pays de la Loire, Carquefou

C’est peu après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la république, que Jack Lang mit en place les FRAC, entre 1981 et 1983. Ce fut une innovation et une aventure qui se joua entre des partenaires locaux et nationaux, principalement l’état et la région, c’est-à-dire le ministère de la culture et le conseil régional. Les DRAC (direction régionale des affaires culturelles), comme les rectorats des académies (Education nationale) étaient également partenaires des FRAC et contribuaient à leurs budgets. Plus tard se manifesteront d’autres partenaires en même temps que mécènes, mais en France, le mécénat de l’art contemporain aura bien du mal à prendre corps car cet art jouit en général de peu d’estime et sa visibilité trop modeste n’attire pas le mécénat comme ce peut être le cas pour des manifestations sportives très relayées par les chaines de télévision et la presse papier. Par ailleurs les entreprises n’ont guère cet intérêt pour l’art qui peut exister dans des pays voisins comme l’Italie ou l’Allemagne.

Les FRAC ont le statut d’Association régie par la loi de 1901, ce ne sont donc pas des établissements publics au même titre et comme le sont le plus souvent les musées. Le régime des FRAC est celui du droit privé mais leur mission est de service public, ce qui laisse supposer quelques incertitudes, par exemple quant à la gestion de leurs collections, sachant que ce ne sont pas des musées et que leur mission en diffère réellement ; même si une trentaine d’années après la création des FRAC on peut constater que les principaux musées français se sont ouverts à des pratiques qui rejoignent celles de ceux-ci. Le concept de musée a évolué vers une mission qui dépasse largement l’action de collectionner des œuvres puis d’en organiser l’exposition de manière plus ou moins pédagogique. Y a-t-il une influence des FRAC et de leurs modalités de fonctionnement sur ce qu’est devenu le musée aujourd’hui ? Peut-être mais sans doute que l’évolution progressive du concept de musée, de son statut et de son autonomisation financière les conduit à se penser en tant qu’entreprises commerciales ayant à recevoir un maximum de visiteurs donc clients pour équilibrer leur budget. Durant plusieurs décennies le ministère de la culture eut pour rengaine la fameuse démocratisation de l’art, c’est-à-dire l’accès à l’art pour tous. La récente flambée des prix d’entrée des expositions des grands et petits musées et des foires d’art pourrait faire croire à la fin de cette illusion, mais en fait ce n’est pas le cas car les missions de diffusion des institutions culturelles se sont singulièrement accrues, plutôt en direction des publics en réunion, groupes scolaires ou autres, qu’au profit des visiteurs individuels. Ainsi la fréquentation des lieux culturels ne cesse d’augmenter, du moins pour beaucoup d’entre eux.

Les FRAC ont pour mission de faire connaitre l’art contemporain à un très large public, de le lui faire fréquenter et rencontrer, autant dans les locaux qu’ils occupent que par une diffusion sous forme de prêt ou de dépôt d’œuvres. Un FRAC, au fil du temps, acquiert des œuvres, éventuellement celles qu’il a exposées et qui ont été conçues pour leur exposition ; ainsi se constitue son fonds d’art contemporain. Après une large première décennie de démarrage où les achats semblaient extrêmement conformes et prévisibles, comme s’il existait un catalogue de l’art contemporain, les FRAC ont affiné leurs choix, d’une part en se spécialisant, et d’autre part en témoignant d’une capacité à se démarquer de ce que le ministère de la culture, plus ou moins en connivence avec certaines galeries et critiques d’art définissait comme art contemporain, non sans un certain dogmatisme. Il est indéniable qu’au début de ceux-ci, les directions des FRAC ont suivi les orientations du Ministère de la culture, ces directions étant assurées par des personnels quelquefois peu formés à leur mission ou ayant eu des formations les destinant à d’autres tâches que celles impliquant à la fois la connaissance du champ de l’art contemporain, une capacité d’organisation et de gestion, y compris juridique et financière, d’une structure de plus en plus importante avec des partenaires très différents les uns des autres. Aujourd’hui les études universitaires orientées vers les métiers de la culture et de l’exposition sont bien rodées et préparent à ce type de responsabilité.

Projet du futur bâtiment du FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur réalisé par l’architecte Kengo Kuma et qui devrait ouvrir ses portes d’ici fin 2011

Désormais on peut sans aucun doute considérer que les FRAC, institutions singulières, ont atteint un niveau de performance conforme aux ambitions affichées initialement, si ce n’est davantage. Ils ont généralement su gagner la confiance et l’estime des élus locaux (souvent peu au fait de l’art contemporain, voire allergiques à celui-ci) et de l’ensemble de leurs partenaires désignés. Leurs actions ont profondément transformé le paysage régional et même national et leur modèle est exportable à l’étranger. Certes des budgets plus ou moins conséquents selon les années et les situations de crise remirent en cause les ambitions en matière d’achats et d’actions artistiques, mais les collections en 2007 atteignirent quelque chose comme 23000 œuvres en tous genres, produites par plus de 4000 artistes. Il ne faudrait toutefois pas réduire les FRAC à leurs collections et expositions, ce ne sont ni des musées ni des centres d’art contemporains tels qu’il y en a désormais par dizaines dans chaque région, avec des objectifs et des statuts très divers ; les FRAC travaillent à partir de la création contemporaine, dans ses différents aspects, et la mettent à la disposition des réseaux de la culture afin de la rendre accessible de multiples manières, y compris hors les murs. Le travail effectué durant ces trente années passées est un travail conduit dans la durée, en profondeur dont la qualité n’a cessé de s’affirmer, ceci dans une très grande transparence. Chaque année, un bilan détaillé des actions de chacun des FRAC est publié et d’un certain point de vue on peut considérer qu’ils sont exemplaires au plan d’une démocratie participative.

Pour rendre la représentation de ce qu’est un FRAC un peu plus concrète, on peut prendre pour exemple le FRAC Alsace implanté à Sélestat, une petite ville à une quarantaine de kilomètres au sud de la capitale régionale et européenne qu’est Strasbourg. Celui-ci dispose, dans un bâtiment à l’architecture contemporaine, d’un vaste et bel espace d’exposition, très ouvert sur la ville (trop ouvert peut-être, ce qui crée une difficulté à y exposer les œuvres), de bureaux, de réserves, d’un atelier et d’une bibliothèque. Il a accès, dans le même bâtiment, à une salle de spectacle et de projection, utilisée également pour les conférences. Ses actions comportent certes de nombreuses expositions, sur place ou extérieures au site, des achats d’œuvres, leur prêt aux partenaires culturels que sont par exemple les établissements scolaires, ceci dans le cadre de projets de partenariat soigneusement élaborés. Les programmes de formation et d’accueil des publics scolaires ou professionnels de la culture (professeurs, étudiants en art, artistes) sont extrêmement fournis. Outre les arts plastiques, ce FRAC Alsace porte ses actions de manière affirmée en direction de la création cinématographique, audiovisuelle et du spectacle vivant. Comme la plupart des FRAC, celui-ci apporte une attention particulière à l’édition comme par exemple celle de catalogues des œuvres acquises, ce qui évidemment les rend accessibles à un large public.

Ailleurs qu’en Alsace, par exemple, le FRAC de la région Centre, implanté à Orléans, se voue principalement à l’architecture. Le FRAC Franche Comté s’est quant à lui focalisé sur la question du temps qui passe. Celui de la région Provence Alpes Côte d’Azur, implanté à Marseille, comme celui de Bretagne, pour lesquels se construisent actuellement des bâtiments spécifiques témoignent d’une évolution comme d’une extension des activités. En effet, initialement certains FRAC ont été logés de manière provisoire et trop à l’étroit dans des locaux peu adaptés à leurs fonctions et ambitions. Au fil des années, les régions ont peu à peu rivalisé entre elles et comme ce qui se passa en Allemagne avec les Lander, chacune cherche à se doter du meilleur, en matière de FRAC notamment, ces derniers étant une vitrine de la région et de son dynamisme en matière culturelle. L’autonomie régionale avance et les impôts locaux y contribuent ! Désormais les FRAC ont mis en place un outil de travail, Platform, qui leur permet de mutualiser leurs ressources et de rendre plus performant leur réseau.

Exposition intitulée Dans la forêt présentée début 2010 au FRAC Aquitaine Photo Jean-Christophe Garcia

Il est important de mesurer l’importance de cette transformation progressive mais générale des institutions artistiques en France, dont font partie les FRAC. Celles-ci sont passées en quelques décennies de la simple monstration d’œuvres à leur génération, ainsi en est-il par exemple du Palais de Tokyo, du Musée national d’art moderne Georges Pompidou, du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, de nombreux centres d’art contemporain et même en certaines occasions d’une institution comme le Louvre, mais encore bien davantage avec les FRAC. Ainsi une partie de la création artistique contemporaine est elle commandée par des institutions qui d’une manière certaine se sont substituées au mécénat tel qu’il exista par exemple à la Renaissance. Aujourd’hui, la commande publique à caractère muséal porte beaucoup sur des œuvres non pérennes, immatérielles ou activables comme les vidéos, l’art des nouveaux médias, les performances, certains spectacles ou le Net art. Les collections des FRAC sont assurément représentatives de la diversité des pratiques artistiques contemporaines sans pour autant privilégier un nombre trop restreint d’artistes officiels.

Bien évidemment, l’art contemporain ainsi pensé est un art institutionnel dont le bienfondé en tant que tel est critiqué et discuté car, notamment, c’est un art qui en grande partie échappe à la logique commerciale et à la spéculation. On lui reproche souvent d’être en quelque sorte un art d’Etat élaboré par des fonctionnaires. Mais à y regarder de près, on peut s’apercevoir que les Etats-Unis, champions du libéralisme économique et financier, ont une dépense fédérale extrêmement importante pour le soutien de la création contemporaine. En France, ce serait plutôt le marché privé de l’art et son commerce qui peinent depuis plusieurs décennies, le mécénat étant toujours peu présent et peu actif et les galeries restant le plus souvent peu puissantes en termes de capacité d’investissement en même temps que marquées par leur manque de professionnalisme, c’est-à-dire une faible capacité à promouvoir leurs artistes. Ainsi les FRAC jouent un rôle constructif indéniable dans la création contemporaine, pour sa diffusion et sa dynamique. Ils conduisent leurs actions dans la durée en matière d’éducation artistique, ce qui doit être considéré comme un véritable investissement social et culturel au profit des générations à venir.

Chaque FRAC dispose d’un site Internet tenu à jour (FRAC Auvergne, FRAC Lorraine, par exemple), qui permet d’accéder à de très nombreuses informations, tant sur les collections que sur l’actualité, l’organisation, les achats d’œuvres, les résidences d’artistes et les projets en cours.


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