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Regard sur l’émergence des premiers restaurants iraniens : les ghahveh-khâneh
Habib Râsi Tehrâni
Traduit et adapté par
Au vu de sa longue et riche histoire et de la diversité de ses climats et de ses productions agricoles, l’Iran a une gastronomie unique au monde. Des produits comme la pomme de terre et la tomate ont été importés en Iran il y a 200 ans. Ils ont ainsi été offerts par l’ambassadeur britannique de l’époque, Sir Gore Ouseley (1770-1844) à Fath Ali Shâh (1771-1834), deuxième souverain de la dynastie qâdjâre, afin de combattre la famine qui affectait le pays à l’époque. Ces deux produits acquirent par la suite une place importante dans la gastronomie iranienne. Le riz et le thé font également partie des autres produits alimentaires importés en Iran. Sous le règne de Nâssereddin Shâh (1831-1896), il y eut une forte croissance du volume des importations de thé, notamment du fait de l’ouverture des marchés iraniens aux produits étrangers. Le thé renforça sa présence en Iran à la suite des voyages de Nâssereddin Shâh en Europe. Le samovar fut alors importé de Russie et devint une partie intégrante des foyers iraniens. Ainsi, on trouvait des verres à thé, des soucoupes, une théière et un samovar aussi bien chez les familles traditionnelles que modernes. Les textes historiques nous révèlent également que la culture du café avait une place importante dans la péninsule arabique, et que les souverains safavides et ghaznavides en consommaient dans leurs palais. L’histoire des rois iraniens comporte également de nombreux éloges des plats royaux. Outre la dimension cérémoniale et protocolaire de la cuisine royale, il faut également prendre en compte l’aspect artistique et le savoir-faire unique des cuisiniers perses de l’époque. A titre d’exemple, on préparait alors une sorte de rôti à la fin de l’été qui pouvait être gardée tout l’hiver. La viande était grillée dans du suif ou de l’huile pour être ensuite conservée dans des outres ou des grands vases d’argile.
L’histoire des ghahveh-khâneh (littéralement "maisons de café") et des salons de thé remonte à 400 ans en Iran et peuvent être considérés comme les premiers restaurants iraniens. D’après les données historiques, les premières maisons de café apparaissent sous les Safavides, et plus précisément sous le règne de Shâh Tahmasb (1524-1576). A cette époque, ces maisons étaient considérées comme des lieux très importants et étaient même fréquentées par les rois. Dans chaque ghahveh-khâneh, il y avait une grande place nommée Shâh Neshin ou "lieu ou s’assied le roi". Dans son journal de voyage Chardin explique ainsi que les maisons de café sont des grandes salles intégrées dans des bâtiments volumineux et de différentes formes. Il souligne que ces espaces sont des lieux de rassemblement social et de divertissements au centre desquels se trouvaient de grands bassins. Certaines de ces maisons comprenaient des terrasses de 3 à 4 mètres où les clients s’asseyaient. Les ghahveh-khâneh attiraient les clients à partir du coucher du soleil plutôt que dans la journée.
Le prix du thé étant moins cher que celui du café, ces centres se transformèrent progressivement en maisons de thé. Pourtant le nom de "maison de café" est resté utilisé jusqu’à nos jours. En raison du faible nombre de médias et de lieux de d’échange public, les gens se rassemblaient dans les ghahveh-khâneh afin de se mettre au courant des nouvelles et d’échanger leurs opinions sur les problèmes sociaux. La population masculine en grande majorité illettrée venait y écouter les nouvelles publiées dans les deux quotidiens de l’époque Sour Esrafil et Rouh-ol-Qodous. Par ailleurs, ces espaces furent parmi les premiers à être équipés de la radio et de la télévision. Véritable lieu de vie sociale, les gens y participaient à des jeux et à des activités divertissantes comme les échecs, la récitation de poèmes ou du Shâhnâmeh (Livre des rois) ainsi que la narration de récits religieux et héroïques. La déclamation du Shâhnâmeh y occupait une place de choix. Ceux qui le déclamaient étaient eux-mêmes parfois des hommes de lettres. Shâh Abbâs (1588-1629), cinquième souverain de la dynastie safavide, appréciait particulièrement ces déclamations. L’un de ses aèdes, Abdol-Razzâgh Gaznavi était également un célèbre maître de calligraphie. Selon la coutume, les récitants s’installaient sur une plateforme et commençaient par faire l’éloge des douze Imams chiites.
A Téhéran, les maisons de café se trouvaient aux axes s’acheminant vers les quartiers peuplés, notamment près du bazar de Téhéran. Le repas principal qui y était servi était le âbgousht signifiant littéralement "eau de viande". L’âbgousht est habituellement fait avec de la viande d’agneau, des pois chiches, des haricots blancs, des oignons, des pommes de terre, des tomates et du curcuma. L’utilisation du narguilé dans les maisons de café était aussi largement répandue de sorte qu’une des fonctions principales des garçons consistait à préparer le tabac pour les clients. Bien que les ghahveh-khâneh n’ont pas disparu des paysages urbains de l’Iran, ils ont aujourd’hui perdu leur rôle déterminant et ont le plus souvent été remplacé par des chaînes de restauration rapide.