N° 23, octobre 2007

Le rôle des artistes-peintres dans le développement de la peinture qâdjâr


Mehdi Mohammad-zâdeh


La peinture qâdjâr, non seulement par ses sources d’inspiration mais également par la technique et le matériel qu’elle utilisait ; par son style, les sujets traités et la figure de l’artiste lui-même, occupe une place à part dans l’histoire de l’art persan. Avant l’avènement de la dynastie qâdjâr, la peinture était presque toujours liée à la Cour. En un mot, c’était un art royal. Les peintres étaient fonctionnaires des rois ou de leurs courtisans. Ne gagnant pas toujours d’importants salaires, ils travaillaient à la Cour, dans un atelier royal, où ils étaient parfois logés. Leurs œuvres n’étaient jamais exposées publiquement, elles restaient méconnues du reste de la société. Les artistes, à cette époque, n’étaient donc ni riches ni célèbres.

Puisant leur source d’inspiration au sein des manuscrits de la bibliothèque royale, les œuvres réalisées étaient surtout accessibles aux commanditaires et parfois également aux autres peintres de l’atelier royal. Pourtant, les peintres iraniens entretenaient des liens étroits avec d’autres disciplines concernant l’art du livre, et côtoyaient notamment des poètes, calligraphes, enlumineurs, relieurs, fabricants de papier, broyeurs et mélangeurs de couleurs rares… Ainsi, toute une chaîne hiérarchisée participait à l’élaboration des précieux manuscrits. Cette organisation des milieux picturaux dans la société iranienne pré-qâdjâr fournit une atmosphère favorable à la peinture persane, qui put se développer en conservant ses propres conventions esthétiques.

Kamâl-ol-Molk

Mais, peu à peu, le peintre persan se détacha de l’esthétique traditionnelle et des conventions habituelles de son art, sans pour autant réussir à les remplacer. En outre, l’atelier royal perdit progressivement sa force d’encadrement, et le peintre ne fut plus soutenu que par de petits mécènes régionaux, dont les goûts et connaissances artistiques étaient parfois très approximatifs. Les mécènes royaux de cette période, Afghans, Afshârs, ou appartenant à la dynastie des Zands, ne manifestaient guère d’intérêt pour les arts. Ils étaient plutôt préoccupés par leurs incessantes luttes communautaires.

Lors du règne des Qâdjârs, de grands changements bouleversèrent les milieux de la peinture persane, affaiblie par les troubles du XVIIIe siècle. Les peintres de Cour, sous le règne éclairé de Fath ’Alî Shâh Qâdjâr, commencèrent à perdre les liens disciplinaires qui les reliaient à leurs prédécesseurs ; d’autre part, la multiplication des moyens d’expression coupa les fils traditionnels qui rapprochaient ces peintres des autres artistes, poètes, calligraphes, etc. L’irruption de la culture, des goûts, et de la peinture européenne, dans la société qâdjâr ont incité le peintre à redéfinir ses repères identitaires. C’est ainsi qu’un certain nombre de peintres se dégagèrent de l’exclusivité de la cour, sortirent de la domination conceptuelle des livres de littérature et se posèrent comme indépendants de la calligraphie.

Sanî’-ol-Molk

Par ailleurs, dès le début du XIXe siècle le portraitiste engagea sa liberté individuelle et ne se conforma plus systématiquement aux normes sociales qui jusqu’alors, lui assurait une certaine protection en lui assignant une place stable. Le dernier peintre de Cour iranien, le grand portraitiste et naturaliste Kamâl-ol-Molk, a ainsi affronté le pouvoir après avoir travaillé quelques décennies à la Cour, ce qui lui valut de vivre le restant de ses jours en exil. Le portraitiste recevait des commandes des élites politiques, des marchands, des journalistes et même de missionnaires européens de passage en Perse.

Rompant avec la tradition qui lui assignait une place bien précise dans le système social (à la cour et au service des princes), le peintre iranien du XIXe siècle est polyvalent : il peint à l’huile, puis exécute des aquarelles, des fresques murales, des objets décoratifs en papiers laqués, ou encore réalise des illustrations dans les journaux, fait des enluminures, des décorations en carreaux vernissés, et enfin compose des "pardeh" (grandes toiles narratives).

C’est pendant cette période riche en transformations que certains artistes proprement dit "peintres", et non artistes du livre, se rendront en Europe dans le but de mieux connaître la peinture européenne.

Les peintres iraniens formés en Occident

Après avoir poussé à la transformation de la société persane, l’Occident attire de nombreux peintres iraniens, séduits par les représentations figuratives et tridimensionnelles de l’époque. Jusque-là, peu d’éléments avaient été recueillis sur les peintres iraniens qui avaient voyagé en Occident avant les Qâdjârs. Nous savons toutefois que Mohammad Zamân, mort en 1700, s’était rendu à Rome à une époque où, comme l’écrit Jean-Paul Roux, "des Occidentaux venaient peindre en Iran et s’iranisaient". [1] C’est ainsi qu’avant de quitter l’Iran, ce dernier avait eu l’occasion de suivre les enseignements d’un peintre européen résidant en Iran. Il s’inspira ensuite surtout de l’école flamande. Il fut le pionnier des peintres s’intéressant aux courants picturaux étrangers, environ deux siècles avant Kamâl-ol-Molk.

Nâsser-ed-Dîn Shâh au salon des miroirs, par Kamâl-ol-Molk

Par la suite, au début du XIXe siècle, quelques peintres persans furent envoyés en Europe aux frais du gouvernement. Le premier d’entre eux, Kâzem, fils du peintre d’Abbâs Mîrzâ, fut envoyé en Grande-Bretagne en 1811 avec un groupe d’étudiants pour se former à la peinture européenne. Mais, d’après Ardakânî, il décéda lors de son séjour. [2]

Une lettre de Mîrzâ Abol-Khân, ministre des Affaires étrangères iraniennes, adressée à Guizot, ministre des Affaires étrangères françaises, recommande en 1844 trois jeunes Persans désireux d’aller étudier en France. Parmi eux, Mîrzâ Rezâ qui va étudier "l’art de la peinture et la fabrication des cristaux, des étoffes imprimées, et de la porcelaine". [3] Ce dernier est justement le jeune peintre envoyé par Mohammad Shâh, et dont parle Willem Floor comme successeur de Kâzem, qui ne retourna jamais en Iran. La diversité des sujets abordés dans la lettre du ministre iranien nous permet de mieux comprendre la multiplicité des fonctions qu’un peintre iranien devait exercer à l’époque.

L’agriculture à l’époque qâdjâr, par Willem Floor

Après l’Angleterre et la France, ce fut ensuite au tour de l’Italie de recevoir un peintre qâdjâr, Abol-Hassan Ghaffârî (1817-1866) connu sous le nom de Sanî’-ol-Molk, apprenti chez Mehr ’Alî (peintre officiel de Fath ’Alî Shâh) et portraitiste particulièrement doué. C’est après avoir réalisé un portrait de Mohammad Shâh en 1842 qu’il devint le peintre officiel de ce dernier. Il fut ainsi envoyé à Rome et à Florence de 1846 à 1850 pour y compléter sa formation. Resté quatre ans en Europe, il copia plusieurs peintures européennes dont il rapporta quelques exemplaires en Iran comme La Vierge au Donataire, dite la madone de Foligno d’après Raphaël (1512 environ), aujourd’hui conservée à la Pinacothèque du Vatican.

Cette copie de Sanî’-ol-Molk fut endommagée par des balles en 1908 [4], et fut ensuite exposée par Mozayyen-od-Dowleh à l’école de Kamâl-ol-Molk après sa restauration. [5] Les premières œuvres d’Abol-Hassan à son retour en Iran sont datées de 1850. A partir de cette date, toutes les nouvelles œuvres de Sanî’-ol-Molk furent fortement marquées par l’influence occidentale.

Nâsser-ed-Dîn Shâh, par Mozayyen-od-Dowleh, 1898

Plus que des copies, Sanî’-ol-Molk rapporta de nombreuses gravures réalisées d’après les chefs-d’œuvre de la peinture européenne, et qu’il utilisa pour la formation des étudiants dans son école de Téhéran. Le travail le plus impressionnant d’Abol-Hassan consiste en un ensemble de sept grands panneaux peints à l’huile (Téhéran, Musée d’Archéologie) [6], dessinés dans le palais de Nézâmyyieh à Téhéran en 1857. Ils dépeignent Nâsser-ed-Dîn Shâh entouré de ses fils, courtisans et ambassadeurs étrangers. Cet ensemble est en fait un arrangement basé sur une œuvre d’Abdollah Khân exécuté en 1812-13 au palais de Negârestân, qui montre Fath ’Ali Shâh (repérage 1797-1834) et ses courtisans. Les figures des panneaux de Nézâmyyieh sont réalistes et Abol-Hassan a concentré toute son attention à la réalisation des visages.

Mozayyen-od-Dowleh Natanzî (1847-1923) était l’un des 42 étudiants envoyés en France en 1858 par Nâsser-ed-Dîn Shâh. A son arrivée à Paris, il n’avait que 12 ans. D’après W. Floor, il apprit non seulement les arts picturaux, mais également la musique et le théâtre. [7] Le français Orsolle, auteur de Le Caucase et la Perse, avait rencontré ce peintre à Téhéran avant 1885. Il avait remarqué que Mozayyen-od-Dowleh, qui avait séjourné dix ans en France, était un parfait connaisseur de la culture française et de l’aquarelle et qu’il se glorifiait de ses copies à l’huile de St. Michael et de la Vierge à la Chaise, réalisées à Rome. [8] A son retour en Iran, il débuta une carrière d’enseignement de la langue française à Dar-ol-Fonoun, et l’unique résultat artistique de son voyage fut une copie de la Vierge à la Chaise. On peut également citer un autre artiste, Mîrzâ Aghâ, peintre de Shiraz, qui avait non seulement étudié la peinture en Europe, mais y avait également séjourné et travaillé pendant plusieurs années. Selon Forsat, il s’est éteint en 1895 à Téhéran. [9] Aghâ Mohammad Hossein, un autre peintre de Shiraz, avait passé quelques années à Bombay en Inde où il avait appris les techniques de la peinture européenne. ہ Tabriz, Seyyed Ibrâhîm, ayant été formé en Russie devint, à son retour, le peintre particulier de Mozaffar-ed-Dîn Mîrzâ.

Les peintres et les peintures occidentales en Iran

La présence des peintres occidentaux en Iran, qui joua un rôle indéniable dans l’évolution des goûts picturaux des Persans, commença dès le XVIIème siècle. Cette présence est d’ailleurs affirmée par plusieurs auteurs de l’époque tels que Pietro Della Valle (1586-1652), Chardin Jean (1643- 1713), Thomas Herbert (1606-1682), Jean-Baptiste Tavernier (1605 -1689), Cornelis De Bruin (1652-1727) et Engelbert Kنmpfer (1651-1716). Les artistes européens s’étaient pour la majorité établis dans les grandes villes telles qu’Ispahan. Ils dessinaient des grands portraits de sultans, ce qui incitait les peintres persans à imiter leurs techniques.

Fath ‘Ali Shâh, par Mehr ‘Ali, 1802

Il semblerait que ce furent les peintres hollandais qui furent les premiers à se rendre à Ispahan où ils restèrent plus d’un siècle, travaillant pour le roi, les églises arméniennes et les grandes familles. Pourtant, d’après Pietro Della Valle, le flamand Giovanni était arrivé en Iran une décennie avant le peintre hollandais Jan van Hasselt, en 1618. Le voyageur vénitien Pietro delle Valle s’était associé avec un peintre flamand appelé Giovanni qui quitta Pietro à Ispahan pour se mettre au service de Shâh ’Abbâs Ier pour un salaire annuel de 1000 Zecchini. Le Shâh envoya alors Giovanni en Europe, vers la Flandre et la France, avec pour mission d’engager des peintres désireux de travailler en Perse. [10] Thomas Herbert, qui visita l’Iran en 1629, fait allusion à un peintre hollandais, Johan, qui demeura longtemps au service du Shâh.

Indépendamment des relations commerciales, la plus grande partie des échanges entre la Perse et la Hollande était, au XVIIème siècle, d’ordre artistique ; particulièrement vers le milieu du siècle où un nombre assez important de peintres hollandais travaillaient au service du roi et des grandes familles patriciennes persanes. On peut à ce titre citer l’exemple de Jan van Hasselt qui vécut à Ispahan près de dix ans, de 1620 à 1628, et qui fut renvoyé en tant que représentant de l’Iran en Hollande. C’est ce peintre - peintre de cour selon Willem Floor - qui réalisa les peintures murales du palais Ashrâf dans le Mazandarân. Quelques années plus tard, en 1630, d’autres peintres hollandais tels que Joost Lampen et Barend van Sichem vinrent s’établir en Iran. D’après Floor, c’est probablement Van Sichem qui peignit les murales de la cathédrale de All Saviour d’Ispahan en 1639-40. [11] Cela nous semble cependant peu probable car d’après Hovhaniantz et certains autres, cette cathédrale fut bâtie au début de la seconde moitié du XVIIe siècle et achevée en 1663. [12]

Le Sultân Hossein Mîrzâ (Jalâl-o-Dowleh) et son entourage, par Sânî-ol-Molk, 1859

A l’époque de Tavernier (1605 -1689), deux Hollandais étaient au service de Shâh ’Abbâs II et lui enseignaient le dessin de telle sorte que le Shâh pût fournir ses propres modèles de tasses, de tranchoirs et un poignard qu’il avait commandé à Tavernier. [13] L’un de ces peintres fut probablement Philip Angel qui, selon Willem Floor, avait enseigné certaines techniques artistiques au Shâh. [14]

Durant cette période, d’autres artistes hollandais étaient en Perse. Parmi eux, on peut citer Hendrinck Boudewijn van Lockhorst, qui y travailla de 1643 à 1647, Juriaen Ambdis, qui devint tireur au sein de l’armée royale en 1648, Jan de Hart, ou encore Adriaan Gouda. [15]

Au début du XVIIIe siècle, les contacts culturels entre l’Iran et la Hollande diminuèrent peu à peu. Le seul peintre hollandais connu en Perse à la fin de XVIIe siècle était Cornelis de Bruin [16], qui avait travaillé à Ispahan en 1702. Il a laissé un important récit de voyage, enrichi de plus de 320 planches représentant les principales villes de Russie et de Perse avec leurs monuments historiques dont Persépolis. Les vues panoramiques de ces œuvres esquissées par ce voyageur exceptionnel du XVIIe siècle sont demeurées uniques.

En plus des peintres, un certain nombre d’artisans étrangers étaient également présents à Ispahan, y compris un certain Huybert Buffkens, tailleur de diamants, et deux orfèvres appelés Cornelis Walraven et "Claes," bien qu’aucun de leurs travaux n’aient été identifiés. Buffkens, qui avait été nommé au boyutât-e saltânatî [17], mourut à Ispahan en 1656. Tous ces derniers étaient Hollandais, pourtant Chardin mentionne que deux français étaient au service du Shâh, dont l’un était orfèvre et l’autre horloger. [18]

Les troubles du XVIIIe siècle entraînèrent la disparition de l’atelier royal de Perse ainsi qu’une diminution de la présence d’artistes étrangers. Cependant, le début du règne de la dynastie qâdjâr marqua un rétablissement des relations culturelles entre l’Iran et l’Occident qui se traduisit par un nouvel afflux de voyageurs, diplomates, marchands, artisans et artistes en Iran. Dans un article intitulé "From workshop and bazar to academy", Maryam Ekhtiyâr évoquait la personnalité de Moritz Von Kotzebue, [19] à qui Fath ’Alî Shâh, en lui demandant de trouver un peintre russe pour réaliser son portrait, précisa qu’il en souhaitait deux exemplaires : "un pour moi-même, un autre pour l’Europe". [20]

Pendant son séjour en Iran, l’artiste russe Alexis Soltykoff réalisa plusieurs dessins dont plus d’une vingtaine de planches furent reproduites dans la troisième édition de son récit de voyage en Perse paru à Paris en 1854. La quinzième planche montre l’artiste en train de peindre le portrait du jeune prince Nâsser-ed-din Mîrzâ en 1838. [21]

"Fath ’Alî Shâh passant en revue ses troupes autour de 1812-13" est le sujet de deux peintures non signées qui furent probablement réalisées à Tabrîz, où ’Abbâs Mîrzâ avait commencé à moderniser son armée. D’après Floor, il est possible que ces peintures aient été réalisées par un peintre caucasien qui faisait sans doute partie d’une ambassade russe. [22]

Nâsser-ed-Dîn Shâh, par E.J. Turner, 1885

Aux environs de 1860, Polak, le médecin personnel du roi, rapportait que Nâsser-ed-Dîn Shâh avait engagé un naqqâsh-bâshî (peintre officiel) à son service qui peignait souvent son portrait. Il ne posait pas longtemps et se levait une fois sa moustache finie, en laissant le soin à l’artiste de terminer le visage. Ce dernier soulignait également qu’il avait employé un peintre du Caucase, qui était probablement l’artiste arménien Akop Ovnatanian (1806-1881). Ce dernier a fait un portrait du Shâh dont le modèle est, selon Robinson, "plus européen que persan". [23]

Selon d’autres sources, Jules Laurens aurait également réalisé le portrait du nouveau roi, Nâsser-ed-Dîn en 1848. [24] Choisi presque par hasard pour accompagner X. Hommaire de Hell [25] dans sa mission en Turquie et en Perse de 1846 à 1848, Jules Laurens fut chaleureusement reçu par Mohammad Shâh Qâdjâr lors de son arrivée à Téhéran. Il peignit plusieurs portraits de la famille royale et fut autorisé à voyager librement dans l’ensemble de la Perse. Durant son voyage, il effectua plus de mille croquis et schémas des monuments et costumes locaux. Devenu célèbre, il dessina par la suite un grand nombre de portraits sur demande de personnalités persanes et européennes résidant en Perse. [26]

Cent dessins ont été présentés dans l’Atlas, les quatre volumes du Voyage en Turquie et en Perse édités par Mme Hommaire de Hell tirés du journal et des notes de son mari. Sa vaste production sera non seulement admirée à Paris (comme son Combat de Rostam et Esfandyâr), mais également dans plusieurs musées régionaux français : Campagne De Téhéran à Avignon, Ruines de palais persan à Carpentras, La mosquée bleue à Montpellier et Village fortifié dans le Khorassân à Toulon. [27]

Darvish Nour ‘Ali Shâh, par Esmâ’îl Djalâyer

Parmi les autres peintres français qui voyagèrent en Iran, nous pouvons citer Eugène Napoléon Flandin (1809-1876), élève de Horace Vernet, qui accompagna l’architecte Coste en 1840 pour une mission en Iran et y resta quatre années durant lesquelles il dessina, visita, et cartographia de nombreux sites tout en y nouant d’importantes relations. [28]

Il ne faut également pas oublier Alberto Pasini (1826-1899), l’un des peintres orientalistes les plus célèbres et les plus talentueux, qui entra dans l’atelier de Chassériau avant d’effectuer en 1855 un voyage en Perse à la place de son maître malade, afin d’accompagner une mission auprès du Shâh de Perse Nâsser-ed-Dîn [29], où il passa un an et demi. Il réalisa de nombreuses peintures à partir de ses croquis lors de son retour à Paris en 1856. Il rencontra entre autre Jules Laurens et les artistes amoureux de la Perse. [30] Ce voyage fut déterminant pour Pasini : les paysages, les personnages, l’atmosphère, la lumière, les monuments des contrées traversées vont lui laisser une empreinte durable et des sentiments très vifs qu’il va par la suite retranscrire dans ses toiles.

Le voyage de Mozaffar-e-Dîn Shâh en Belgique, par H. Seghers, 1902

Parallèlement, passionnés de peinture occidentale, certains peintres iraniens reproduisaient ou s’inspiraient d’œuvres chrétiennes tout en inventant parfois de nouvelles manières de représenter un même sujet biblique. C’est le cas de la plupart des peintres séfévides des quatre dernières décennies du XVIIe siècle : Mohammad Zamân, Alî Qulî Jubbhdâr, Mîrzâ Aghâ, et bien d’autres. Certaines sources historiques indiquent également qu’un peintre iranien d’origine arménienne de Jolfa, avait été en partie formé par des peintres occidentaux, quelques décennies avant Mohammad Zamân : "Minas avait effectué un apprentissage de la peinture européenne à Alep. Il avait peint les maisons des plus riches arméniens de Jolfa avec l’aide de ces élèves". [31] Il était par la suite entré à l’atelier royal de la cour Perse et il avait réalisé avec Mârdirus les peintures de l’église de Bethlehem à Jolfa. [32]

Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, ce phénomène sera encouragé suite à l’apparition de la nouvelle vague de la peinture et du papier mâché laqué en Iran. Bien qu’ils n’aient jamais visité l’Europe, Najaf ’Alî, Mohammad Esmâ’îl, Mohammad Kâzem, Ja’far et Ahmad, les plus grands maîtres de la peinture laquée, reproduisirent de nombreuses œuvres occidentales d’inspiration chrétienne.

Notes

[1Roux, Jean-Paul, Ispahan et l’art des Séfévides.

[2Ardakânî, Hossein Mahbobî, Târikh-e Moassesât-e tamaddoni-ye jadîd dar Irân (Histoire des instituts de la nouvelle civilisation en Iran), 3 volumes, Téhéran, 1980, Vol.1, p.124.

[3Lettre de Mîrzâ Abol-Khân, ministre des affaires étrangères d’Iran, à Guizot, ministre des affaires étrangères de la France (1840 à 1847), Téhéran, 27 septembre 1844.

[4A cette date, ce tableau avait été exposé au château d’Atâbak qui, suite à la guère civile entre les combattants constitutionnels et les partisans de la monarchie, fut criblé de balles. Voir Zoka, Yahya, "Mîrzâ Abu’l-Hasan khan Sanî’-ol-Mulk, fondateur de la première école de peinture en Iran", in Honar wa Mardom, No.10 et 11, Mordâd va Shahrivar,1963.

[5Floor, Willem, Wall paintings and other figurative mural art in qajar Iran,1999, p.142.

[6Les croquis préliminaires de plusieurs des figures sont également exposés au Musée d’archéologie de Téhéran.

[7Floor, Willem, Ibid., p.146.

[8Orsolle, Ernest, Le Caucase et la Perse, Paris, Plon, 1885, p.253.

[9Hosseinî Shîrâzî, Forsat, Assâr-e ajam, Téhéran, 1896, p.548.

[10Carswell, John, New Julfa, The Armenian Churches and Other Buildings, London, Oxford University Press, 1968, p.22.

[11Floor, Willem, "Dutch Painters in Iran during the First Half of the 17th Century", Persica 8 (1979), p.147.

[12H. Der Hovhaniantz, Histoire de la Nouvelle Jolfa, Iraj Bashiri, Jolfa, University Libraries, Virginia Tech, 1999.

[13Tavernier, Jean-Baptiste, 1981, p.183.

[14Floor, Willem, "Dutch-Persian Relation", Encyclopوdia Iranica, Vol. 7, Winona Lake, IN, 1996.

[15Floor, Willem, "Dutch Painters in Iran during the First Half of the 17th Century", Persica 8 (1979), pp.145-61.

[16Bruin, Cornelis de, Voyages par la Moscovie, en Perse et aux Indes Orientales, Amsterdam, 1718.

[17Ensemble des personnes qui avaient touché des revenus réguliers de la cour.

[18Ekhtiyâr, Maryam, "From Workshop and Bazaar to Academy : Art Training and Production in Qajar Iran", in Diba Layla (ed.), Royal Persian Paintings : The Qajar Epoch, 1785 - 1925, 1998, p.65.

[19Kotzebue, Moritz von (1789-1861) est un officier russe ayant travaillé à l’ambassade de Russie en Perse, et dont le récit de voyage a été publié sous le titre de Narrative of a Journey into Persia, in the Suite of the Imperial Russian Embassy, in the Year 1817, Longman, London, 1819. Il y ajouta également plusieurs croquis de la vie locale.

[20Ekhtiyâr, Maryam, ibid, p.63.

[21Soltykoff, Alexis, Voyage en Perse, Paris, Curmer & Lecou, 1851, p.15 ;Ekhtiyâr ; Maryam, ibid, p.53.

[22Floor Wellem, 1999, p.129.

[23Ibid. p.128.

[24Peintre et lithographe orientaliste français. Les dessins de Jules Laurens (1825-1901) sont conservés à la bibliothèque de l’Ecole des Beaux Arts.

[25Hommaire de Hell (Ignace-Xavier Morand) est un explorateur né à Altkirch (Haut-Rhin) en 1812 et mort à Ispahan le 29 août 1848. Il mourut avant d’avoir terminé un second voyage, dont les événements furent écrits et publiés par Jules Laurens, son compagnon de voyage (4 vol., 1854-60).

[26Calmard-Compas, Jacqueline, Jules Joseph Augustin Laurens, Encyclopédie Iranica, 2003. http://www.iranica.com/articles/supp4/Laurens.html

[27La toile Jardins abandonnés d’Aschref (Perse) de Jules Laurens (Huile sur toile, 145,8 x 111 cm) réalisée en 1872 d’après le croquis exécuté sur place, fut exposée au Musée des Beaux-arts de Rouen du 24 septembre au 10 janvier 2005, Catalogue du Musée des Beaux-arts de Rouen.

[28Flandin, Eugène Napoléon, Voyage en Perse de MM. Eugène Flandin, peintre, et Pascal Coste, architecte, attachés a l’ambassade de France en Perse pendant les années 1840 et 1841 : Tome 1,Adamant Media Corporation, 2006.

[29Peintres orientalistes italiens : http://orientaliste.free.fr/biographies/artistes3.html

[30Catalogue du Musée des Beaux-arts de Rouen, exposition du 24 septembre 2004-10 janvier 2005. Dans cette exposition, la toile Pâturage sur la route de Téhéran à Tabriz (Huile sur toile, 119 x 206 cm) d’Alberto Pasini réalisée en 1864 était exposée.

[31Carswell John, 1968, p.25.

[32Minasian, Léon, "Ostâd Minas Nagâsh-e Mashhor-e Jolfa " (Maître Minas le peintre célèbre de Jolfa), in Honar wa Mardom, No.179, p.29.


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