|
Voir en ligne : Deuxième partie
Gérard Macé est né en 1946 à Paris. Professeur de lettres, il a écrit une quinzaine de livres et publié plusieurs recueils de poésie. Il se distingue par un style particulier, inclassable, à mi-chemin entre la poésie et la prose. Qualifié de "poète essayiste" par la critique, il écrit, dans la lignée des grands écrivains français, des textes qui constituent autant d’interrogations sur les identités parallèles des êtres, la signifiance des symboles, la place des Autres dans l’imaginaire du Moi et le sens de l’écriture. Ainsi, à l’écart des grandes modes littéraires, cet auteur discret et exigeant a pu bâtir une œuvre littéraire qui reflète avec douceur des préoccupations partagées par tous. Depuis une quinzaine d’années, Gérard Macé poursuit également un travail parallèle de photographe.
Il est notamment l’auteur de :
- Vies antérieures, Gallimard, 1991
- Choses du Japon, Fata Morgana, 1993
- Cinéma muet, Fata Morgana, 1995
- Ex-Libris, Gallimard, 1995
- L’Autre hémisphère du temps, Gallimard, 1995
- Le dernier des égyptiens, Gallimard/folio, 1997
- Le singe et le miroir, Le Temps qu’il fait, 1998
- Un détour par l’Orient, Le Promeneur, 2001
- Le goût de l’homme, Le Promeneur, 2002
- Leçons de choses, Gallimard, 2004
Début novembre 2007, Gérard Macé était l’invité de la Faculté des Langues Etrangères de l’Université de Téhéran. A la suite de l’une de ses conférences, il a accepté de nous accorder un entretien.
A.H. : Monsieur Macé, il s’agit de votre premier voyage en Iran. Avant de venir, que saviez-vous de ce pays ?
Je savais où était l’Iran. Je savais également qu’autrefois, il s’appelait la Perse et qu’il a assez récemment changé de nom. Pour ma part, je préfère la Perse. En français, le mot "Perse" est un très beau mot, qui a longtemps fait rêver. Pour les écrivains du XVIIème et XVIIIème siècle aussi, c’était la Perse. Je savais évidement beaucoup de choses sur les monuments et l’architecture, l’Iran est un grand pays, il s’agit d’une grande civilisation, en France assez connue si l’on s’intéresse à ce genre de choses. Seulement, ce que l’on découvre, d’une part, ce sont les gens. Juste avant de partir, je m’étais un peu renseigné auprès d’amis qui avaient voyagé en Iran et tout le monde m’avait fait l’éloge des Iraniens, pour leur accueil et leur civilité, etc., cela s’est parfaitement vérifié, et de ce point de vue, je n’ai pas eu de mauvaises surprises. Ce que j’ai découvert aussi, c’est à quel point, à l’intérieur de l’Islam, l’Iran est différent. Avant de venir, je connaissais la différence entre chiisme et sunnisme. Mais je ne mesurais pas à quel point à l’intérieur de l’Islam, le chiisme avait été un moyen d’avoir son islam propre pour l’Iran, et de se distinguer à l’intérieur du monde musulman, et en particulier vis-à-vis du monde arabe. Pour la plupart des Français, il n’y a aucune différence entre les Arabes et les Iraniens. De toute façon, pour les Français non informés, non cultivés, les musulmans sont arabes. Mais heureusement, il y a des Français cultivés… En dehors des questions religieuses, ce qui me frappe par rapport au monde arabe que je connais un peu - je suis allé deux fois en Egypte, deux fois également au Yémen, une fois en Syrie, où j’ai fait le tour du pays en voiture, en Tunisie, pour le Maghreb, enfin vous voyez, je connais un peu le monde arabe-, c’est par exemple le comportement des gens, qui est très différent. D’abord, le physique n’est pas le même, mais le comportement surtout est plus réservé et beaucoup plus poli, dans le meilleur sens du terme. Et puis, il y a une différence dans les rapports humains et le rapport entre l’homme et la femme n’est pas le même. C’est-à-dire qu’il y a un rapport de couple entre l’homme et la femme ici qui n’a rien à voir avec celui qui existe dans le monde arabe. C’est très curieux, on a l’impression, en France, à cause de la tenue, du tchador, etc. que la femme iranienne est complètement soumise ou même mal traitée, or c’est tout le contraire. On voit bien que le rapport entre les hommes et les femmes est un rapport qui me semble assez évident, qui n’a pas l’air de poser d’énormes problèmes. Et puis, troisième chose, j’ai été très frappé, par rapport au monde arabe encore une fois, par l’espace public, qui est proche de l’Europe. D’ailleurs, il y a des choses qui font penser à l’Europe, et des choses qui font penser au monde arabe. On voit bien que vous êtes à la croisée des deux mondes. L’espace public est très organisé, contrairement au monde arabe où il est souvent délaissé. Ce que j’appelle l’espace public, ce n’est pas seulement la rue, les jardins, etc., c’est aussi l’organisation de cet espace, c’est l’irrigation. J’ai été extrêmement frappé par l’importance et la maîtrise de l’eau dans ce pays. Parce que de l’eau, il y en a plus ou moins partout, et dans un pays qui est au trois quarts ou aux deux tiers occupé par le désert, il a fallu maîtriser l’eau. Dans d’autres pays ayant une situation similaire et où il fallait la maîtriser, je pense beaucoup à l’Afrique noire par exemple, cela n’a pas eu lieu. Ici, depuis l’Antiquité même, il y a eu l’irrigation, la construction de qanâts, de canaux souterrains, de rigoles pour les caniveaux pour que l’eau de pluie soit récupérée, des citernes, etc.
A.H. : Il existe aussi un symbolisme des éléments dans le zoroastrisme.
Oui, je connaissais le zoroastrisme avant de partir, ne serait-ce que par Nietzche, mais enfin, pas seulement. La grande question que je me posais en réalité au sujet du zoroastrisme, c’était comment l’islam avait submergé le zoroastrisme.
A.H. : En premier lieu, il s’agissait de deux monothéismes.
Voilà, et je pense, enfin il me semble, avoir compris maintenant que l’islam s’est présenté avec une proclamation plus égalitaire, au moins dans le discours. Il s’est présenté comme une libération. Même si après, cela peut donner d’autres formes de contrainte, voire de tyrannie. C’est l’histoire humaine, de même que la démocratie peut se présenter comme un espoir et quatre ans après, donner quelques désillusions.
A.H. : Et est-ce que l’Iran a pu vous surprendre dans votre propre domaine, la littérature ?
Effectivement, autre chose que je ne pouvais pas deviner avant de partir : la ferveur littéraire. Je suis tout à fait étonné de voir cela. On m’a dit qu’il y avait chaque année vingt millions de visiteurs aux mausolées de Hâfez à Shirâz.
A.H. : C’est un pèlerinage. En tant que poète, comment voyez-vous la poésie persane ?
J’admire d’un côté, je m’étonne et je me méfie aussi, puisque du même coup, quand quelque chose devient trop sacralisé et officiel, l’œuvre a tendance à disparaître sous les manifestations et la ferveur, ce qui n’est pas forcément bon pour elle. C’est comme le pèlerinage sur le tombeau d’un saint, on ne le fait pas forcément au nom de la foi, c’est aussi une coutume, on fait comme tout le monde. Alors qu’est-ce que cela représente au juste, je ne le sais pas.
A.H. : En Iran, la poésie tient la place de la prose en France. C’est pour cela qu’elle fait vraiment partie de la vie de tout un chacun. Même ceux qui ne lisent pas ont leur recueil de poésie. Des gens qui savent à peine lire. Une coutume aujourd’hui dangereusement en voie de disparition est celle de la récitation du Livre des Rois. Il y a encore de vieux analphabètes qui connaissent ce livre de cent vingt mille vers par cœur, intégralement. Cette récitation était en particulier une coutume répandue parmi les nomades. Il y a un théâtre de poésie, des jeux de société basés sur la connaissance poétique des participants, des émissions de télévisions, etc. La poésie a une place très importante. Peut-être que visiter la tombe de Hâfez est une mode ou une tradition, mais le lire ne l’est pas. Les livres de poésie sont parmi les plus vendus en Iran. Je ne crois pas que ce soit le cas en France où l’on préfère la prose.
Je serais très heureux chez vous. On m’a également dit que les gens avaient au moins deux livres chez eux, le Coran et Hâfez.
A.H. : Exactement, c’est le minimum.
A.P. : Nous avons également la tradition de lire Hâfez le jour du Nouvel An.
Nous avons une tradition, plus récente, semblable, dans notre tradition, qui est républicaine, avec Victor Hugo. Mais c’est un peu en voie de disparition.
A.P. : Dans la conférence, vous avez dit que la fiction tient une grande place dans vos écrits. Est-ce que la Perse garde pour vous assez de mystères pour qu’un jour vous écriviez sur l’Iran ?
C’est tout à fait possible mais je ne le sais pas encore. Je l’ai dit tout à l’heure, je ne suis pas un journaliste. Un journaliste a l’obligation d’écrire tout de suite.
A.H. : Cela vous intéresserait-il d’écrire sur Hâfez ?
Oui, mais est-ce qu’on peut écrire sur un poète dont on ne connaît pas la langue ?
A.H. : Non, en même temps, Hâfez est le plus mystérieux des poètes.
En effet, je pense que la poésie persane peut se lire en traduction, heureusement, mais si on veut écrire à son tour sur ce sujet, il faut avoir accès au texte dans la langue originale sinon la lecture serait très superficielle, on peut écrire à l’occasion d’un vers qui nous frappe, d’un détail qu’on retient, mais pas plus. D’autre part, j’écris désormais moi-même des poèmes : j’ai publié un recueil au printemps et j’en écris un autre en ce moment, et j’ai également commencé un manuscrit de notes sur tous les sujets, mais il s’agit d’enchaînements que j’espère un peu subtils. Donc, je ne crois pas que je ferais un livre comme cela, vous voyez, sur un seul sujet. Mon esprit est un peu orienté autrement. Mais il se peut fort bien que du séjour en Iran naisse un ou deux poèmes, que d’un seul livre de notes, il y ait quelque chose qui concerne l’Iran. J’étais en Chine au printemps, j’ai écrit deux ou trois poèmes. Mais je ne peux pas le savoir à l’avance. Pour écrire, du moins pour moi, il faut que les choses soient un peu décantées, presque oubliées, et reviennent. C’est un peu comme le rêve. Tout à coup, il y a quelque chose, qui est encore là, mais qui va s’effacer, et qui revient sous une forme inattendue et alors là, j’ai de nouveau une surprise, quelque chose de neuf qui se présente, et qui a une signification que je ne soupçonnais pas. C’est cela qui me fait écrire.
A.H. : En tant que photographe et quelqu’un qui aime l’architecture…
Oui, j’aime aussi beaucoup, et j’ai écrit un livre sur la Rome baroque.
A.H. : Avez-vous pris des photos en Iran et de ses monuments ? L’architecture de l’Iran vous a-t-elle plu ?
Oui, j’ai pris des photos, mais pas de l’architecture. Non, parce que des photos de ce genre, il y en a dans tous les livres, de très bien faits, de merveilleusement illustrés, et puis, ce n’est pas le genre de photos que j’aime prendre. La photographie, pour moi, c’est des gens, des portraits, ou des détails, mais des détails qui ont à la fois une signification et une valeur plastique. C’est parce que la lumière est bonne à ce moment, parce qu’il y a des contrastes qui sont favorables, parce qu’il y a tout à coup quelque chose qui s’encadre et qui fait une image, et l’image est différente de la vue. L’image est quelque chose, pour la photo, qui, dans le réel même, s’inscrit d’une manière particulière, que j’ai envie de cueillir et de donner aux autres à voir.