|
De la création du cinéma à Paris par les frères Lumière en 1895 jusqu’à l’arrivée de cinématographe en Iran sous le règne du roi Mozaffareddin Shâh en 1900, il a fallu attendre quelques années. Malgré cela, il fallut encore attendre avant de voir sur les écrans des productions iraniennes, étant donné que les salles obscures accueillirent pendant longtemps des films étrangers sous-titrés en persan. En 1929, la première production cinématographique iranienne fut réalisée par Ovanes Oganians et intitulée Abi va Rabi. Ce film muet remporta un grand succès. C’était malgré tout insuffisant pour rivaliser avec les standards du cinéma européen. Ce fut seulement en 1932 qu’Abdolhossein Sepantâ fit paraître le premier film sonore de l’histoire du cinéma iranien, Dokhtar-e lor (La fille lore). Pendant longtemps, le cinéma iranien continua à suivre le modèle des films européens sans tenir compte des spécificités nationales. De fait, ces films ne pouvaient guère être appréciés en dehors de l’Iran. Dans les années quarante, le cinéma vécut une période d’épanouissement en Iran et devint plus populaire, mais sans être pour autant capable de relever le défi de l’originalité. Ce ne fut qu’avec l’arrivée des grandes figures du cinéma iranien comme Samuel Khâchikiân, Houshang Kâvousi, Ebrâhim Golestân, Sohrâb Shahid-Sâles, Ali Hâtami et Fereydoun Rahnamâ que les films iraniens commencèrent à présenter aux spectateurs des récits filmés typiquement iraniens et à se faire connaître à l’étranger. Les aspects socio-culturels purement iraniens et la finesse de ses réalisateurs ont petit à petit fait du cinéma iranien un cinéma d’auteur dont l’Occident devint très vite friand, et qui a pu se distinguer ainsi du reste de la production mondiale. Ce mouvement fut plus tard complété par un nouveau courant des années cinquante représenté notamment par Dâriush Mehrju’i, Masoud Kimiâ’i, Bahrâm Beizâ’i et par de jeunes cinéastes assidus comme Majid Majidi, Ebrâhim Hâtamikiâ et Abolfazl Jalili. C’est ainsi que le cinéma iranien accéda aux festivals internationaux et remporta de nombreux prix de réalisation, grâce entre autres à l’originalité des sujets traités et à l’acuité du regard des metteurs en scène et des scénaristes.
Il faut savoir que le contexte socio-culturel iranien et les problèmes budgétaires n’ont jamais facilité le travail des cinéastes. C’est pourquoi la production de films suffisamment percutants pour remporter des prix internationaux et pour rivaliser avec les productions étrangères n’est pas chose aisée. C’est la raison pour laquelle le nombre de cinéastes iraniens présents sur la scène internationale varie peu d’une année sur l’autre. Pourtant, certains d’entre eux ont réussi à attirer l’attention des plus grands festivals internationaux, et même à toucher parfois le grand public occidental. Parmi ces derniers, Madjid Majidi, candidat aux Oscars 1998 pour son film Avâz-e Gonjeshkhâ (Le chant des moineaux) et Abbâs Kiârostami, Palme d’or du festival de Cannes en 1997 pour son Ta’m-e guilâs (Le goût de la Cerise), constituent deux grands moments du cinéma iranien dans le monde.
Dans les années 1950, on commença officiellement à censurer les films par l’intermédiaire d’un comité spécial. Ce qui prit l’allure d’une provocation à l’encontre des milieux artistiques incita en 1969 les cinéastes à imaginer un cinéma progressiste (sinemâ-ye motefâvet) soutenu par des réalisateurs engagés dans la critique sociale et politique de l’Iran de l’époque. Ce nouvel élan du cinéma iranien a d’ailleurs son film-manifeste, le chef-d’œuvre de Dâriush Mehrju’i, Gâv (La vache) interdit initialement dans le pays, mais projeté après son succès au festival du film de Venise. Gâv fut ensuite projeté au festival de Cannes (après six années d’absence) et à Chicago en 1971. Dix ans avant cette date, en 1961, l’Iran s’était présenté pour la première fois au festival de Cannes avec le court métrage de Mostafâ Farzâneh intitulé Kourosh-e Kabir (Cyrus le grand). Trois ans plus tard, Ahmad Faroughi Qâdjâr présenta son court métrage, Tolou-e Fadjr (Le lever du matin), qui remporta le prix du haut comité technique. Dans la même année, le premier long métrage iranien Shab-e Ghouzi (La nuit du bossu) fut également présenté par les soins de Farrokh Ghaffâri. A la suite de son premier film à Cannes en 1972, Mehrju’i présenta Postchi (le Facteur) qui fut son deuxième succès.
Le cinéma iranien a d’ailleurs régulièrement été présent à Cannes, du moins, depuis 1972 avec Shahr-e Khâkestari (La ville grise) de Farshid Mesghâli et Shâzdeh Ehtedjâb (Le prince Ehtedjâb) de Bahman Farmânârâ qui passa sur les écrans en 1975, et par la suite en 1979 avec Sâyeh-hâye boland-e bâd (Les longues ombres du vent) de Bahman Farmânârâ ; en 1980 Chortkeh-e târâ de Bahrâm Beizâ’i et Nazm (L’Ordre) de Sohrâb Shahid-Sâles ; en 1981 Defâ az Hagh (Défendre son droit) de Râfegh Pouyâ ; en 1988 Khâstegârân (Les prétendants) de Ghâsem Ebrâhimiân ; en 1991 Dar Koucheyây-e Eshgh (Dans les allées de l’amour) de Khosrow Sinâ’i ; en 1992 Zendegi va digar hich (La vie et rien d’autre) d’Abbâs Kiârostami et Bedouk de Majid Majidi ; en 1993 Zire derakhtân-e Zeytoun (Sous les oliviers) d’Abbâs Kiârostami et Zynat d’Ebrâhim Mokhtâri ; en 1995 Nobat-e Asheghi (Le tour d’être amoureux) et Salâmcinemâ (Bonjour le cinéma) et Bâdkonak-e sefid (Le Balon blanc) ; en 1996 Gabbeh ; en 1997 Ta’m-e Guilâs (Le goût de la cerise) d’Abbâs Kiârostami ; en 1998 Sib (La pomme), Gonâh-e Avval (Le premier péché) de Fahimeh Sorkhâbi et Ghessehhây-e Kish (Les histoires de Kish) de Nâsser Taghvâ’i ; en 2000 Takhteh siâh (Le tableau noir), Zamâni barâ-ye masti-e asb-hâ (Un temps pour l’ivresse des chevaux) et Jom’eh (Le vendredi) d’Hassan Yektâh Panâh ; en 2001 Safar-e Ghandehâr (Le voyage de Ghandehâr), A b c afrighâ (A B C Afrique) d’Abbâs Kiârostami, Zir-e nour-e mâh (Sous le clair de lune) de Rezâ Mirkarimi, Gharibeh va Boumi (L’étranger et l’autochtone) d’Ali Mohammad Ghâsemi ; en 2002 Bemâni de Dariush Mehrju’i, Avâz-hâye sarzamin-e mâdariam (Les chants de ma patrie maternelle) ; en 2003 Panj asr (Les cinq soirs), Talây-e sorkh (L’or rouge), Nafas-e Amigh (Inspiration profonde) de Parviz Shahbâzi et Do fereshteh (Les deux anges) de Mohammad Haghighat ; en 2004 Panj (Cinq) et Dah rouy-e dah (Dix sur dix) d’Abbâs Kiârostami, Khâb-e talkh (Le sommeil amer) de Mohsen Amir Yousefi, Gâvkhouni de Behrouz Afkhami ; en 2005 Yek shab (Une nuit) de Niki Karimi et Jazireh-ye ahani (L’île en fer) de Mohammad Rasoulof ; en 2007 Geryeh-hâ (Les pleurs) d’Abbâs Kiârostami, Persepolis et Orâghchi en 2008 et Tarâneh-ye tanhâ’i-e tehrân (La chanson de la solitude de Téhéran) de Sâmân Sâlvar furent les films iraniens projetés et appréciés et qui pour la plupart, ont remporté des prix prestigieux.
En bref, depuis 1961, la présence iranienne sur la scène du festival de Cannes a été couronnée de 16 prix (en 46 ans donc) et Abbâs Kiârostami avec 8 projections de films est devenu le réalisateur iranien le plus présent. Grâce à ses chefs-d’œuvre, il remporta plusieurs prix dont la Palme d’or pour Ta’m-e Guilâs et le prix Rossellini pour son film Zendegui va bas (La vie et rien d’autre).
En 2009, Che kasi az gorbeh-hâ khabar dârad ? (Qui a des nouvelles des chats ?) et Zemzemeh bâ bâd (Murmure avec le vent) furent les seuls représentants iraniens. En 2010, pour la 9ème fois, Abbâs Kiârostami participa à Cannes avec son film Kopi barâbar-e asl (Copie conforme).
Il faut également souligner que le festival de Cannes a fourni l’occasion aux cinéastes iraniens de manifester leur présence au sein du monde de l’art en général. Cannes n’a bien entendu pas été le seul festival international fréquenté par les créateurs iraniens. Partout dans le monde, les films iraniens, uniques en leur genre, ont remporté de grands succès. En 1985, Davandeh (Le coureur) d’Amir Nâderi fut projeté dans beaucoup de festivals internationaux et Jâddeh-hâye sard (Les routes froides), réalisé par Massoud Jafari Jozâni passa sur les écrans au festival de Berlin en 1987. Amir Nâderi en 1989 remporta le succès du meilleur film du festival des trois continents de Nantes et Abolfazl Jalili sept ans plus tard avec Yek dâstân-e vâghe’i (Une histoire vraie) remporta le prix du meilleur film de ce même festival. Des cinéastes femmes et des actrices iraniennes ont par ailleurs attiré l’attention des critiques étrangers, dont Mâhâyâ Petrosiân qui gagna le prix de la meilleure actrice au festival international du film de Locarno et au festival mondial du film de Montréal en 2002 ; Pegâh Ahangarâni qui remporta le prix de la meilleure actrice au 23e festival du Caire et Tarâneh Alidousti qui obtint le prix de la meilleure actrice au festival du film de Locarno en août 2002.
Ces succès internationaux permettent aussi aux réalisateurs iraniens d’améliorer l’image et la technique dans leurs films. D’après Mohammad Haghighat, cinéaste et critique iranien, plus les films iraniens sont appréciés à l’étranger, plus les cinéastes iraniens deviennent exigeants dans leur travail. Selon Bill Nicols, théoricien et historien de films documentaires, les films iraniens illustrent une critique sociale et politique de l’Iran actuel (quoique cet avis ne soit guère partagé par les réalisateurs eux-mêmes) et que la projection de films iraniens dans les festivals internationaux continue de susciter l’intérêt du public non professionnel en dehors de l’Iran.