N° 64, mars 2011

Circuits céramiques-automne 2010
La scène française contemporaine
Musée des Arts Décoratifs, Paris


Jean-Pierre Brigaudiot


Anne Rochette, Figure de l’amont

Il s’agit d’une série d’expositions, organisée par les Ateliers d’Art de France, dont le déroulement, en région parisienne, s’effectue entre septembre 2010 et février 2011, avec pour objectif de montrer une partie significative de la création contemporaine dans le domaine de la céramique. Ces expositions sont accueillies autant par des lieux institutionnels prestigieux et historiques comme le Musée des Arts Décoratifs ou la Cité de la Céramique à Sèvres que par une quarantaine de galeries d’art, essentiellement parisiennes.

Andréa Shatt, installation

Le Musée des Arts Décoratifs de Paris occupe une aile du Palais du Louvre, entre les jardins du Carrousel et la rue de Rivoli. Contrairement au Musée du Louvre, il n’a pas été rénové depuis bien longtemps et il y règne une atmosphère charmante et désuète de vieux musée des Beaux Arts, comme on en trouve encore ici et là dans certains chefs lieux de province, à Montargis ou à Lunéville, par exemple : odeurs d’encaustique, parquets de bois, lambris ouvragés, pénombre et gardiens accablés d’ennui. Les collections du Musée des Arts Décoratifs qui démarrent avec le Moyen âge sont d’une grande richesse et accueillent, selon un classement chronologique, le mobilier, la vaisselle et la verrerie, les vêtements, les arts graphiques avec la publicité et l’affiche, les jouets, le papier peint… bref tout ce qui relève de ce qu’en France on appelle les Arts Décoratifs. Ceux-ci constituent un ensemble de créations fonctionnelles qui en ce sens, se distinguent des Beaux Arts, lesquels n’incluent à priori pas de fonctionnalité directe, supposés être désintéressés. Le terme Arts Déco est apparu dans les années 60 pour désigner une période de création, de 1925 à 1939, dont le point de départ est l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925 à Paris. Le style Art Déco a en fait touché, peu ou prou, toutes les formes d’art, dont notamment l’architecture avec le charme qu’on lui connaît.

Mathieu Lehanneur, L’âge du monde...

Avec cette exposition Circuits céramiques au Musée des Arts Décoratifs, c’est l’organisation en parcours à travers les salles et les époques, d’un étage à l’autre, qui en détermine en partie la singularité et l’intérêt. Les céramiques contemporaines que montre cette exposition sont d’une part regroupées dans quelques salles où les œuvres sont mises en scène entre elles. C’est sans doute, pour cette exposition, une modalité de présentation qui ne les valorise pas vraiment, quelles que soient leurs qualités inventives et leurs qualités plastiques. La scénographie aurait pu être plus inventive et les affinités thématiques ayant présidé au regroupement des pièces en trois salles sont peu convaincantes. D’autre part, au long du parcours fléché proposé par le musée pour cette exposition, les céramiques sont confrontées avec le lieu de leur présentation et son contenu, ses meubles et ses objets. Ce principe de la présentation d’œuvres contemporaines en dialogue avec des œuvres historiques s’est peu à peu développé ces dernières décennies, jusqu’à devenir un phénomène très à la mode. Cette association du contemporain et de l’historique a le mérite de donner un peu de vie à des musées dont elle semble quelquefois bien absente ; mais cela suscite quelquefois des polémiques comme ce fut le cas lors de la récente présentation d’œuvres de Jeff Koons à Versailles, ce qui pourtant n’a rien de sacrilège puisque si l’on garde l’esprit clair, il s’agit simplement d’une rencontre entre le passé et le présent, très, trop médiatisée, trop phénomène de mode, trop tapageuse. Au Musée des Arts Décoratif, les artistes n’ont nullement la notoriété bruyante de Jeff Koons et la présence des céramiques contemporaines au côté d’œuvres et objets anciens est perceptible en toute quiétude, avec des rencontres plus ou moins réussies selon chacune d’entre elles. Dommage sans doute que la pénombre, certains éclairages médiocres et les contre jours dont abuse le Musée des Arts Décoratifs ne permettent pas toujours d’apprécier pleinement ces œuvres, néanmoins certaines s’affirment avec bonheur dans ce dialogue avec l’ancien, en une rupture temporelle bienvenue qui les rend attractives et révèle leur inventivité.

Guillaume Leblon, Notre besoin de consolation.

La céramique, comme la peinture ou la poésie, appartient à tout le monde ; je veux dire que chacun peut la pratiquer tant professionnellement que comme activité de loisir ; c’est une pratique vieille comme le monde dont on retrouve les traces chez la plupart des peuples sédentaires, avec des objets simplement utilitaires, beaux en leurs formes et en leurs matières ou avec des objets utilitaires et artistiques. Les techniques de la céramique vont des plus rustiques et aventureuses aux plus sophistiquées, de celles des maîtres céramistes qui savent étonnamment contrôler et anticiper un résultat à, aujourd’hui, celles de la céramique industrielle terriblement précise et efficace avec un produit final qui échappe à tout hasard. Cependant, pour beaucoup de ceux qui la pratiquent et notamment les artistes pour lesquels elle peut être et est souvent une expérience supplémentaire par rapport à leur création habituelle, quel qu’en soit le médium, une expérience et une aventure, avec un sursaut de créativité et d’inventivité. Dans le cadre de cette exposition tout est là, comme une mémoire et un inventaire du savoir faire de l’homme, depuis des millénaires, en matière de terres cuites : terre cuite brute, porcelaines, pierre de lave, empreintes de végétaux ou de feuillages, incisions dans la pâte en rotation, poinçonnages, terres cuites peintes à l’acrylique… L’explosion de la diversité des pratiques artistiques depuis les années soixante a permis d’intégrer la céramique, de plain pied, aux arts majeurs et sa présence est désormais usuelle et non contestée. Elle n’est plus seulement un artisanat, elle sait être un art, elle est quelquefois l’un des aspects de la sculpture, elle se fait aussi installation, accumulation, objet esthétique dépourvu d’autres fonctions que celle-ci, elle imite quelquefois le réel ou s’empare de l’histoire même de la céramique ; elle est telle qu’en elle-même, et sans regrets pour sa fonctionnalité initiale, elle s’invente, se réinvente chaque jour. Avec cette exposition Circuits Céramiques, on mesure la distance parcourue depuis l’époque où à Vallauris - un paradis de l’artisanat de la céramique qui a mal tourné -, Picasso peignait en un clin d’œil quelques douzaines de plats sans pour autant s’emparer des techniques établies ni chercher à les subvertir, ainsi que le font la plupart des artistes présentés ici. Mais bien d’autres artistes ont fait une œuvre significative qui se prête à tous les genres en passant ou non par des techniques éprouvées.

Wade Saunders, Convey

Dans ce Parcours Céramique, une vidéo est remarquable où l’artiste, Valérie Delarue, en Sisyphe, lutte sans fin et littéralement au corps à corps contre la terre meuble et informe et la modèle sans autre but que la modeler vainement. Ruth Gurvich plonge dans l’histoire et montre, dans un rapport particulier à la céramique, des pseudos vases de la Chine ancienne… en papier rehaussé à la peinture acrylique. Ce travail évoque une tendance repérable sur la scène mondiale, chez certains artistes, qui s’emparent des œuvres du passé ; on peut rencontrer cette tendance dans les grandes manifestations artistiques internationales comme la Biennale de Venise ou la Dokumenta de Kassel. Wade Saunders, sculpteur à la pratique ouverte à des rencontres sans cesse renouvelées, avec l’objet ordinaire autant qu’avec la pierre, propose Convey, une pièce évoquant une roue à aubes ou celle d’un char antique, constituée de dalles de céramique polychromes. Anne Rochette, également sculpteur, expose Figure de l’amont, une colonne surmontée d’une figure mythologique, un Bouddha stylite peut-être, qui peut faire penser à une revisitation du tableau de Goya, Saturne dévorant son fils ; mais la dévoration des enfants, dans la mythologie, c’est aussi Chronos : le visiteur greffe des sens imprévus à l’œuvre, bien au-delà de l’intentionnalité de l’auteur. Guillaume Leblon avec Common heat, et à partir d’un poêle ancien et banal, joue l’imitation du réel, réussie à s’y méprendre, et en terre réfractaire, c’est-à-dire celle qui résiste aux hautes températures ; d’autre part, il a réalisé un vaste claustra de terre rouge brute constitué de grandes lettres de l’alphabet constituant ainsi une longue phrase au caractère poétique et quelque peu sibyllin : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Michaële Andréa Schatt joue l’harmonie et la tradition de la céramique avec ses animaux, chiens et lapins parfaitement vernis et luisants, associés au mobilier pompeux qu’ils accompagnent. Evidemment avec près d’une centaine de propositions que comporte l’exposition, il en y a de moindre qualité ou mises en scène trop approximativement ; l’association d’une œuvre contemporaine avec un contexte lourdement meublé et historique nécessite certes plus qu’une simple juxtaposition ; il faut qu’entre l’une et l’autre s’instaure un dialogue, un rapport critique, de tension ou d’harmonie et que cela soit perceptible au visiteur au moins au niveau de ce qu’il peut pressentir ou ressentir. Ainsi, se peut-il que certaines œuvres de céramique aux qualités intrinsèques échouent quant à se mettre en scène de manière convaincante ; ici le travail de l’artiste ne prend pas fin avec la dernière cuisson de la pièce, il lui faut encore opérer une scénographie, ce qui certes ne s’improvise pas.

Emmanuel Peccatte, Grande coupe

Cette exposition, par son envergure comme par le nombre et la diversité des artistes qu’elle accueille, fait à peu près le point sur le rapport actuel, en France, entre des artistes et un médium, la terre informe, qui à la rencontre du feu devient céramique avec ses innombrables possibilités formelles et plastiques. La manière dont les artistes, occasionnellement ou ordinairement, s’emparent de techniques ou les transgressent, attribue à la céramique d’autres possibilités que celles que lui confère sa seule fonctionnalité. Cette circulation entre l’objet fonctionnel et l’objet d’art est à l’évidence un échange où l’un et l’autre se renseignent et s’enseignent.

Le catalogue, enfin, m’est apparu comme un peu chiche, notamment quant à son iconographie.

Guillaume Leblon, Common heat
Xue Sun, Grand people

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