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Les affiches du festival de Fadjr
Vitrine graphique d’un événement artistique iranien
Le festival de Fadjr est une véritable rencontre artistique se tenant annuellement depuis 1983 à Téhéran à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution islamique de 1979. C’est une période exceptionnelle pour les jeunes et talentueux créateurs qui viennent y présenter leurs œuvres aux amateurs d’art iraniens. Cet événement de grande portée donne lieu également à la rencontre entre les professionnels et des artistes moins expérimentés. De cette alchimie naissent des œuvres parfois admirables l’année suivante. Jusqu’à la 24ème édition du festival, en 2006, ne furent acceptées que des œuvres conçues en vue de participer au festival. Cela amenait les artistes, par contrainte de calendrier, à des finitions hâtives. C’est donc depuis cette année que les organisateurs ont adopté une autre stratégie. Désormais, des œuvres destinées à la projection publique participent également à la compétition. Le festival de Fadjr, connu surtout pour ses activités cinématographiques et théâtrales, consacra, dès son 27ème anniversaire, une grande partie de ses programmes à de nouveaux domaines, à savoir la peinture, la céramique, les affiches, la calligraphie, la photographie, la miniature et la caricature, la musique et les arts modernes (enrichis par autant de colloques scientifiques).
Cette année, plus riche encore plus que les années précédentes, il a célébré son 29ème anniversaire en introduisant de nouvelles œuvres iraniennes, aussi bien que 46 œuvres étrangères, en provenance notamment de pays comme la France, l’Italie, la Chine, la Corée, la Russie, l’Ukraine, le Kirghizistan, l’Estonie et la Grèce. Quant aux provinces, le Khouzistân, l’Alborz, le Golestân et le Guilân ont également accueilli également quatre festivals provinciaux avant que les films ne soient projetés dans les seize salles de cinéma de la capitale. Les théâtres de rue, quant à eux, ont réussi à attirer l’attention du public par leur richesse et leur diversité. Parallèlement aux différentes représentations artistiques, cette année, les amateurs ont également pu profiter d’une exposition comprenant cent quarante-six photos acceptées au festival et regroupées dans un livre paru sous le titre « Ecrire à la caméra ». On a de même publié six pièces de théâtre et trois ouvrages de recherche lors du festival en cours.
Le festival de cette année a été une réussite. Or, il doit une grande part de son succès à sa stratégie de communication, notamment sur le site internet du festival, au numéro spécial de la revue du festival et aux affiches publicitaires. Le site internet, en mettant à la disposition du public quelques scènes extraites des cent treize films participant au festival, a contribué à faire passer les nouvelles du festival et inciter les amateurs à se diriger plus franchement vers les salles de cinéma. Ainsi ont été présentées sur le site internet du festival, différentes catégories comme celles des « expériences nouvelles » (neuf œuvres), « international » ( seize œuvres), « panorama du théâtre iranien » (dix-neuf œuvres), « mémoires et thèses universitaires » (quatre œuvres), « survol du théâtre iranien » (vingt œuvres), « invité » (vingt œuvres), « théâtres de province » (douze œuvres) et « festival des festivals » (treize œuvres).
Concernant le festival de Fajdr (et pour la majeure partie des grands événements culturels), les posters et les affiches publicitaires restent les alliés publicitaires les plus fidèles. Ils constituent des médiums d’information immédiatement accessibles et donc rapidement familiers aux yeux du public quel que soit l’appartenance sociale ou l’âge des individus. Ils jouissent ainsi d’un impact certain dans le tissu social. Leur présence palpable, leurs couleurs, les images et les symboles qu’elles véhiculent, ainsi que leurs calligraphies attirantes vivifient l’atmosphère de la ville et confèrent un souffle nouveau à l’événement qu’elles soutiennent. C’est pourquoi les affiches, traditionnellement mais aussi techniquement, constituent une part importante, voire une représentation artistique à part, dans le festival de Fajr. Compte tenu de leur nombre et de leur importance, notamment lors du festival de Fadjr, l’année en cours a accueilli la publication d’un ouvrage précieux comprenant toutes les affiches parues à cette occasion. Il faut également ajouter que des compétitions d’affiches et de posters ont annuellement lieu et accueillent de nombreux graphistes professionnels et amateurs. Les affiches sont nombreuses et varient selon le thème, le sujet, l’époque, le concepteur et les exigences du moment.
Les affiches sont nombreuses et les plus anciennes inaccessibles. Nous nous contenterons donc, dans cette courte présentation, d’un échantillon d’affiches disponible dont la plus ancienne remonte au septième anniversaire du festival du théâtre de Fadjr, réalisé en février 1989 par Mortezâ Momayez, l’un des plus importants graphistes iraniens et le père fondateur de la société de graphisme d’Iran. L’affiche du 11ème festival du cinéma de Fadjr, organisé par le Ministère du pétrole, a également été conçue par le même auteur mais dans un esprit tout à fait différent. Les affiches du 11ème festival du théâtre de 1993 aussi bien que celles du 14ème et 15ème festival du cinéma de 1996 et de 1997 furent réalisées par le graphiste Ali Vaziriân et la plus récente, celle du festival du théâtre de cette année 2011, plus abstraite, a été conçue par Mortezâ Atâbaki. Dans cette dernière affiche, très différente de celle du festival de cinéma de la même année, sur un support papier destiné à être exposé en grand format, l’impression est créée d’un papier mi-brûlé en arrière-plan, marqué par le blanc d’un cercle dont les deux bouts se touchent à peine. Cette scène, pour un spectateur iranien habitué au climat semi-aride de l’Iran, évoque le désert et l’éclipse du soleil. Le calme de cette affiche contraste avec l’affiche du festival du cinéma de la même année. Dans cette dernière, contrairement à l’éclipse solaire, on assiste à un lever de soleil au centre duquel, l’annonce du 29ème festival de Fadjr, en calligraphie persane, illumine le regard du spectateur. Les références auxquelles renvoient cette affiche sont évidemment celles de l’Iran. L’affiche est en fait l’incarnation de la Révolution iranienne, surnommée Fadjr en Iran, et qui a bien sûr prêté son nom au festival, lui-même tenu à l’occasion de cet événement historique.
En revanche, le poster du 27ème festival a éveillé la mémoire littéraire des Iraniens en évoquant le Simorgh, l’oiseau légendaire mentionné à foison dans les textes antiques iraniens, notamment dans le Shâhnâmeh (Le livre des rois) de Ferdowsi, au Xème siècle. D’après le Shâhnâmeh, cet oiseau habite au sommet du mont Qâf et c’est lui qui se chargea de l’éducation du héros Zâl durant son enfance, et qui aida Rostam dans la bataille contre Esfandiâr. Mais cette affiche fait plutôt allusion au poème de Attâr Neyshâbouri, soufi et mystique iranien du XIIème siècle, qui a mis en vers l’histoire symbolique de trente oiseaux (si-morgh) à la recherche de la vérité absolue. Cette allusion directe à la mémoire collective des Iraniens est plus immédiatement recevable par un spectateur iranien. C’est également ce même oiseau qui est le symbole du festival. Le Simorgh d’Or, prix du festival de Fadjr, tire également et son nom et sa forme du même oiseau iranien. La 27ème affiche du festival fait allusion à une autre représentation culturelle iranienne, la maison en brique et la porte en bois propre au style de vie persan d’autrefois, encore en usage dans les régions traditionnelles des provinces et de la capitale. Le tapis et les fleurs grimpantes constituent d’autres motifs symboliques iraniens qui font transporter le spectateur dans un autre temps et espace. Cette rencontre entre le monde cinématographique et celui des fins fonds de la culture iranienne offre une originalité exceptionnelle aux affiches publicitaires.
Par contre, le 15ème festival va à la rencontre du public avec une teinte plutôt religieuse. Les motifs floraux sur fond bleu évoquent les mosquées à l’iranienne et la bougie au milieu éclaire la scène tout en incarnant la chaleur et la spiritualité. Dans cette affiche, c’est la bougie qui représente le cinéma tandis que dans une autre affiche de la même année, c’est l’arbre qui pousse du même arrière-plan floral, et dont les branches représentent le monde du cinéma. La 14ème affiche, explicitement associée à la littérature par un cadre qui précise « cinéma et littérature » est l’image d’une plume et d’un œil au milieu, représentant respectivement la littérature et le cinéma, qui regarde et qui met en scène, et qui concrétise les phrases écrites et le monde abstrait des livres. L’image d’une femme, apparemment une statue antique avec les yeux et la bouche fermés, remplit le fond du poster à côté de quelques noms de grandes figures du cinéma mondial.
Le poster du 11ème festival du théâtre de Fadjr, plus classique encore, est le fameux masque théâtral parfois triste, calme, content ou indifférent, ici démultiplié et multicolore, dont la neutralité est atténuée par des motifs floraux proprement iraniens en bas de l’affiche. Dans les 7ème et 8ème affiches, on retrouve encore les mêmes fleurs et le même masque, cette fois souriant, et deux mains, l’une tenant les fleurs et l’autre le masque dans la première affiche, et des négatifs volants dans la deuxième.
C’est ainsi que durant toutes ces années, on a tenu à mettre à l’honneur les valeurs nationales tout en accueillant des apports symboliques ou figuratifs étrangers. Dans certaines affiches, l’histoire iranienne a été mise en valeur, dans d’autres la littérature, l’épopée, le folklore et la culture populaire. Certaines affiches sont plus abstraites tandis que d’autres essayent de rendre de plus en plus palpable l’événement dont ils rendent compte. L’imaginaire joue également un rôle important dans la création et la combinaison des images. Comme on l’a vu, l’artiste semble avoir laissé le champ libre, dans toutes les affiches, à son imagination. Dans la quasi-totalité des affiches, l’angle de vue est vertical et la taille du plan est proportionnelle au motif et à la figure principale de l’affiche. Quant au choix du cadrage, il varie selon les affiches et les concepteurs des affiches. Parfois l’affiche donne cette impression que les images sont découpées et incrustées les unes dans les autres comme dans les affiches des 8ème et 15ème festivals. Toutes les affiches sont accompagnées d’explications écrites, la plupart du temps en calligraphie persane, comme le numéro du festival, la date et le thème principal (s’il est précis). Les images sont donc parfois stéréotypées comme le Simorgh, la porte en bois, les motifs floraux et parfois plutôt symboliques, à l’image du désert. Dans cette affiche, on retrouve de petites histoires iconologiques qui ont recours aux mythographies. Les images, dirait-on, sont parfois figées, c’est-à-dire qu’aucun sentiment de mouvement n’est suggéré dans le dessin, comme pour l’image du 7ème festival, par contre certaines autres comme celles des 8ème et 27ème festivals suggèrent un sentiment de légèreté et d’animation.
Les affiches sont nombreuses et leur traitement demande du temps et de l’espace. Elles sont remplies de détails et de finesse, et peuvent donner lieu à des analyses approfondies. Chaque petite partie, chaque motif et mot, contient une forte charge culturelle, historique, artistique et littéraire.