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Molânâ Seyfeddine Abol-Mohammad est l’un des grands poètes des VIIe et VIIIe siècles de l’hégire (XIII et XIVe siècles). Son goût pour l’ascèse et son refus de la compromission firent de lui un poète éminent au style unique. Il mourut pourtant discrètement dans un couvent de derviches à Aksaray, petite ville située en Turquie actuelle, importante dans l’Asie mineure à l’époque des Seljoukides. Il ne laissa qu’une faible trace dans l’histoire de la littérature persane, notamment du fait qu’il mourut à une époque où l’Asie mineure était sous la domination des Mongols et qu’il y régnait misère et désordre. Ceci s’était notamment traduit par une désagrégation des relations entre l’Asie mineure et l’Iran.
Nous ne savons pas la date exacte de la naissance de Farghânî, mais selon quelques indices dans ses poèmes, il semblerait qu’à la fin de la deuxième moitié du VIIe siècle, il fut déjà un poète assez connu d’âge mûr. Il est mort entre 1327 et 1371 alors qu’il était octogénaire. Il fut nommé Farghâni d’après le nom de sa ville d’origine, Farghâna (فرغانه), située près de Mavara’onahr.
Seyf Farghânî avait une grande admiration pour Sa’adî avec qui il entretint une correspondance soutenue. Il séjourna pendant quelques temps à Tabrîz et sa découverte des poèmes de Homâm Tabrîzî remonterait à la même époque. De Seyf Farghânî, il reste un recueil (dîvân) d’environ 12 000 vers qui contient l’ensemble de ses poèmes : odes (ghasîdeh), ghazals et quatrains, qui attestent de sa grande éloquence et de sa maîtrise parfaite des ressources poétiques de la langue persane. Ses odes sont le plus souvent des louanges à Dieu ou au prophète Mohammad, des conseils, ou encore la critique des problèmes et failles de la société de son temps. Certaines de ses odes furent également composées pour répondre aux poèmes de ses prédécesseurs tels que Rudakî, Kamâleddîn Esmâ’îl, Sa’adî et Homâm Tabrîzî. A une unique exception, il ne se servit jamais de ses odes pour faire l’éloge des rois, des émirs ou des personnalités politiques de son temps.
Pour composer ses odes, il choisissait des rimes particulièrement difficiles, et Mohammad ibn ’Alî Kâteb Aksarâî, l’auteur de son divan, le nomma "Seyed-ol-mashâyekh va-l-mohagheghîn" (la haute figure des religieux et des chercheurs).
Le langage de Seyf Farghânî est influencé par le style des rhétoriciens de Khorasan du VIe siècle de l’hégire (XIIIe siècle). L’influence du style khorasânî est à remarquer non seulement dans les structures mais aussi dans l’emploi des singuliers et de certains verbes. Les mots arabes sont peu nombreux dans son œuvre, pourtant, il mélangeait parfois des combinaisons arabes avec des combinaisons persanes et dans certains cas, on y trouve des vers entièrement rédigés en arabe.
Dans ses ghazals, forme poétique pour laquelle il avait un penchant particulier, le poète se consacre plutôt à prodiguer des conseils, ou encore à formuler des critiques sociales ou à exprimer des vérités mystiques.
De même, il recommande aux autres poètes d’éviter de glorifier les "mondains avares" (simparastân-e gedâ). Il leur conseille également de composer leurs œuvres sous forme de ghazal, d’honorer leur bien-aimée et de prodiguer des conseils permettant à la société de s’élever intellectuellement et moralement.
Farghânî fut à ce titre le seul poète de son époque qui dénonça avec autant de fougue la corruption et les absurdités de la société de son temps. Selon lui, la réforme et la paix du monde agité de son temps ne pouvaient se réaliser que dans le cadre de la religion, à travers l’invocation de Dieu, l’obéissance aux instructions islamiques et aux préceptes du Coran. Il était sunnite de rite hanafite, pourtant il fut l’un des premiers rhétoriciens qui composa des poèmes de complaintes pour les martyres de Karbalâ.
Ne sois pas chagrin d’un corps
Dont la vie dépend de la vie,
Cherche ce dont la vie de la vie en dépend,
Joindra la bien aimée celui
Dont l’âme légère soit lourde du poids de l’amour.
Comme le squelette d’un mort,
L’amour d’un vivant, toi,
Ne sert à rien